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Comment enseigner une question socialement vive (QSV) dans le cadre de l’enseignement de l’HG-EMC-HGGSP en Nouvelle-Calédonie ?

samedi 29 juillet 2023 par Patrice FESSELIER-SOERIP

 QSV dans l’académie de Versailles

Répartition des QSV à l’échelle nationale dans nos trois enseignements :

  • 50 % des QSV relèvent de l’histoire (colonisation, esclavage, décolonisation)
  • 33 % de la géographie (frontières, migrations internationales, mobilités, fait urbain)
  • 17 % de l’EMC (justice sociale, débat démocratique et politique, questions bioéthiques).

Dans un lycée de l’académie de Versailles, l’équipe d’histoire-géographie a conçu un questionnaire destiné aux élèves de leur établissement. Quasiment tous y ont répondu (128 élèves) avec des questions à choix multiples et la possibilité de développer ou d’expliciter leurs réponses ; cela été le cas pour la moitié d’entre eux. Leurs réponses révèlent :

  • les sujets qu’ils considèrent sensibles : les attentats terroristes, l’assassinat de Samuel Paty, le fait religieux, la Shoah, la guerre, la concurrence des mémoires, l’homosexualité, l’égalité femmes/hommes. La laïcité a été peu cochée ;
  • les sujets qui ont pu déstabiliser leur enseignant : les sujets religieux, la famille, la politique, le racisme ;
  • les sujets ayant surpris leurs camarades : les propos des autres élèves sur l’homosexualité et sur l’égalité filles/garçons ;
  • les gestes pédagogiques de leur enseignant jugés positifs face aux QSV : l’instauration et la gestion d’un débat constructif, la capacité de l’enseignant à gérer l’imprévu et à apaiser une tension, le souci de libérer la parole pour que chacun puisse s’exprimer et écouter les avis de ses camarades, contrôler le langage pour ne pas vexer les autres, ou bien arrêter le débat s’il y a un risque que ça dégénère, l’usage d’une vidéo pour apporter des connaissances avant d’en débattre ;
  • les situations où leur enseignant ne paraissaient pas gérer le débat : en demandant aux élèves ou à un élève de se taire, en décidant de clore le débat sans explication, en finissant par punir, en refusant tout débat ;
  • l’utilité pour la majorité des élèves d’aborder une QSV en justifiant leur réponse : besoin d’approfondir ses connaissances, besoin de s’informer, aimer débattre, faire confiance au professeur.

Ainsi, pour la plupart des nombreux sujets qui peuvent être abordés en classe, la condition d’une séance sereine est la capacité de l’enseignant à instaurer et à gérer le débat afin de permettre à chaque élève de s’exprimer.
Pour traiter des QSV dans leurs classes, les enseignants de Versailles ont également mis en place des situations d’apprentissage leur permettant de nouer dès le début de l’année une relation de confiance avec leurs élèves. Ils ont instauré des moments de discussions en classe sur des sujets leur tenant à cœur et leur ont proposé un livre d’expression qui a permis à chaque élève de s’exprimer tout au long de l’année.

 Enseigner la période dite des « Événements » : entre Histoire et mémoire(s)

L’enseignement de la période dite des « Événements » est assuré en classe de troisième et de terminale.
Il est possible de proposer une démarche pertinente en suscitant d’abord la curiosité des élèves à partir des unes des Nouvelles calédoniennes, par l’étude de photographies, de gros titres de la presse écrite, puis d’évoquer le terme d’« Événements » à partir duquel on les invite à s’interroger (cf. guerre d’Algérie). Un travail de recherche permettrait de dégager les acteurs (représentants de l’autorité de l’État, indépendantistes-nationalistes et loyalistes), les ruptures, les enjeux, le contexte national et à l’international, les médias, radio et presse écrite comme outils de propagande politique, et les victimes.
On peut scénariser un fait historique : on peut utiliser des textes littéraires, de théâtre qui traitent de sujets sensibles, mettre en scène des personnages, des acteurs qui n’ont pas la même vision de la guerre, à l’exemple de la guerre d’Algérie (FLN, armée française) qui permet aux élèves de constater que la vision des uns diffère de celle des autres et que certaines Unes de journaux peuvent être étudiées pour faire appel à l’esprit critique des élèves. Un travail peut être mené en collaboration avec le Service des archives de la Nouvelle-Calédonie par l’étude des unes des Nouvelles calédoniennes et le traitement des faits par ce journal. En outre, le SANC dispose de fonds sur la presse écrite engagée.
Les QSV sont des vecteurs pour transmettre les valeurs de la République et les valeurs océaniennes où la parole est partagée, respectée, empreinte d’humilité. Un débat réglé ou argumenté peut être proposé à la classe comme « un moyen pour tout individu d’exprimer son point de vue dans le cadre d’un échange régi par des règles. C’est une discussion entre différentes personnes sur une question controversée où chacune doit savoir maîtriser sa parole, laisser la place à celle de l’autre, comprendre son point de vue ». Cette pratique démocratique permet dans le cadre de l’EMC, par exemple, de pratiquer la liberté d’expression en veillant à ce que les règles du débat soient respectées, accepter d’être en désaccord et la divergence de point de vue. Toutefois, « il ne doit pas entretenir l’idée que toutes les opinions se valent » lorsque le respect de l’autre et les valeurs démocratiques sont transgressés.
Au lycée, l’enseignement de la spécialité HGGSP peut permettre de s’appuyer sur les notions du thème 2 « Faire la guerre, faire la paix » pour traiter, en tronc commun, de la période 1981-1988 : comment la Nouvelle-Calédonie devient-elle un espace de conflit ? De quelle forme de conflictualité s’agit-il ? Ce conflit est-il une « continuation de la politique par d’autres moyens » (cf. Clausewitz). L’étude des différents formes de violence permet d’apporter des réponses pour que les élèves caractérisent ces « Événements » de guerre civile, de conflit intercommunautaire, de conflit intraétatique. Ensuite, la classe peut décrypter le processus de paix de 1988 à 1998 montrant ainsi comment les acteurs font la paix, les raisons qui expliquent la fragilité de cette paix, les conditions qui ont permis de rétablir puis de maintenir la paix, est-elle consolidée et acquise aujourd’hui ? Quelles seraient les conditions d’une paix durable ? Comment l’École peut-elle jouer un rôle ? Quelle serait la mission de l’Histoire dans ce processus de paix ?
Aussi, le thème 3 du programme de terminale HGGSP invite à se questionner sur le lien entre « Histoire et mémoires ». Les QSV peuvent être des prétextes pour traiter en classe des concepts et des enjeux liés à l’Histoire et ceux liés à la mémoire ou aux mémoires. La mémoire familiale ou sociale même si elles peuvent être sujettes à controverse ne sont pas à opposer à l’Histoire : travail de l’histoire et devoir de mémoire sont liés mais l’un n’est pas l’autre, toutefois l’un peut puiser en l’autre de quoi se nourrir : le travail de l’historien se base aussi sur les récits des hommes et de ses mémoires. Le devoir de mémoire peut être contextualisé et mis en perspective par l’Histoire pour en comprendre les enjeux. L’accès aux archives est essentiel pour l’historien et permet de compléter, nuancer, prolonger, contextualiser, rectifier certaines mémoires.
Dans le jalon 1 de l’axe 2 « Histoire, mémoire et justice », l’étude des tribunaux gacaca au Rwanda, après le génocide des Tutsi, est l’occasion d’ouvrir le débat sur l’amnistie totale des crimes de sang qui a suivi la signature des Accords de Matignon-Oudinot en Nouvelle-Calédonie :

  • Rwanda : faire interroger les élèves sur la libéralisation de la parole, la reconnaissance des violences et de ses responsables et du traumatisme subis par les familles des victimes durant les tribunaux dans les villages qui ont permis de mener un travail de réconciliation.
  • Nouvelle-Calédonie : l’impossibilité pour les familles des victimes, quelque ethnies qu’elles soient (y compris les familles des gendarmes), d’entamer le même chemin parce que l’amnistie totale a privé « à jamais les familles des victimes de la vérité » (cf. annexe 2). Cette décision n’a pas permis de poursuivre les enquêtes et de finaliser les procédures pénales. Concernant la « tragédie d’Ouvéa », du « drame d’Ouvéa » (autre exemple de la difficulté à caractériser et à nommer cette forme de conflictualité), il n’existe pas, à ce jour, de réponse unique à donner quant à la responsabilité des acteurs. Une déclassification ou une communicabilité des archives de l’État permettrait aux historiens d’accéder aux archives liées aux « Événements » : cf. la décision de l’État, en 2020, de déclassifier les archives de la guerre d’Algérie dans le but de « réconcilier les mémoires » et de « regarder l’histoire en face » selon l’historien Benjamin Stora dans son rapport, Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie, remis au président de la République en 2021. Et en 2023, lors de son discours à Nouméa, le chef de l’État annonce la mise en place d’un « comité mémoire, histoire, vérité, réconciliation » pour recueillir « la parole et les témoignages de ceux qui ont vécu les « Événements », de collecter les mémoires et de permettre l’apaisement ».
  • Un exemple de sujet de débat à proposer en EMC : « En quoi l’amnistie totale, des crimes de sang perpétrés pendant les années 1980, a-t-elle impacté le travail de l’Histoire et le devoir de mémoire en Nouvelle-Calédonie ? »

La politiste et sociologue Marie-Claire Lavabre (directrice de recherche au CNRS) explique que « la mémoire collective ne constitue pas un fait, et encore moins un fait unifié, mais un enchâssement instable et très évolutif de quantité de mémoires, forgées et appropriées par toute une série de groupes sociaux bien différents d’une nation ou d’un État ». La mémoire collective se construirait donc à partir de mémoires vives qui finiraient par être partagées par tous mais dont le contenu serait fixé par l’État pour en faire une histoire commune, « une grande histoire partagée par tous » d’après Sandrine Lefranc, politiste et sociologue au CNRS, qui précise que « les politiques mémorielles, quelles qu’elles soient, s’inscrivent toujours dans des contextes politiques précis. » (cf. annexe 1).
Par nos enseignements, en Nouvelle-Calédonie, nos élèves doivent pouvoir « se construire libres des conflits mémoriels engendrés par l’Histoire et dans la pleine reconnaissance de chacun ». L’émergence ou la reconnaissance d’une Histoire commune oblige chacun à dépasser son histoire au profit de celle de l’Autre, le « cloisonnement mémoriel » empêche un devoir de mémoire commun et apaisé. Les commémorations qui marquent, en 2023, les 70 ans de la disparition des 126 passagers et membres d’équipage de la Monique, montrent l’exigence d’une mémoire et d’une douleur partagées.


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Comment enseigner une question socialement vive (QSV)

29 juillet 2023
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Mise au point épistémologique des QSV


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