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La civilisation kanak de l’an mil à l’arrivée des Européens

lundi 17 avril 2023 par Patrice FESSELIER-SOERIP

 Introduction

Thème 4 – La civilisation kanak de +1000 à l’arrivée des Européens (1774)

Problématique – Comment la civilisation kanak s’organise-t-elle et se structure-t-elle pendant près de 800 ans ?

Mise au point scientifique

Après deux millénaires d’occupation ininterrompue de l’archipel et d’enracinement de la Grande Terre et des îles (Belep, île des Pins, Loyauté), les hommes de la période de Naïa diversifient leurs traditions, adaptent leur héritage et modifient leur mythe fondateur pour aboutir à une différenciation culturelle avec leurs ancêtres Lapita. Ils se différencient ainsi des autres sociétés austronésiennes des archipels voisins. C’est donc l’émergence autour de 1000 après J.-C. d’une nouvelle civilisation océanienne, la civilisation kanak.
Durant les sept à huit siècles qui suivent et avant la période des premiers contacts avec les navigateurs européens, les groupes humains kanak organisent leur espace, leur environnement, leur quotidien, leurs croyances, leurs techniques agricoles, leurs relations, leurs échanges autour d’un élément patrimonial hérité des premiers hommes, l’igname. Véritable fil conducteur et marqueur culturel depuis toute la période de peuplement, l’igname est le cœur de cette nouvelle civilisation ; son élément identitaire, telle la liane du tubercule qui attache les hommes entre eux et les rattache aux premiers hommes. Le taro, la pirogue et la céramique demeurent des éléments secondaires du bagage culturel transmis de génération en génération depuis les Austronésiens, les hommes Lapita et ceux des périodes de Koné et de Naïa.

La place de chacun est définie dans le groupe par son rôle dans les activités horticoles liées à l’igname et au taro. L’année est rythmée par un calendrier de l’igname, où chaque tâche agricole est réalisée en interprétant les signes de la nature (saison, animaux, plantes). Chaque travail agricole définit les permissions (couper le bois, ramasser la paille) ou les interdits (la présence de femme menstruée dans un champ, commencer le champ familial après celui du maître des cultures). Ainsi, la répartition des tâches communautaires finit par fixer le rôle de chacun au sein de son groupe qui se spécialise dans une activité spécifique jugée nécessaire pour le fonctionnement du clan. L’Aîné du clan relève d’un aspect sacré car issu du premier homme et possède la capacité d’interagir avec le monde invisible, celui des Esprits. Il est le garant du respect du calendrier horticole et de l’élément totémique, représentant son clan. Il est aussi le Grand frère, le Verbe ou la Parole.
De plus, les familles se répartissent de plus en plus en différents clans. Certains d’entre eux peuvent parfois rassembler plusieurs familles ayant un ancêtre commun, un Aîné. Ces structures claniques se regroupent en hameaux, implantés dans un territoire que les hommes transforment en terroir. L’ensemble de ces terroirs et de ces territoires, sous l’autorité de clans de la terre, aboutit à une multitude de pays kanak à la fois unis et divers. Et, durant les travaux agricoles, les liens entre les membres d’un clan se renforcent.

Aussi, les hommes délimitent le foncier par des bornes naturelles comme un arbre (un cocotier, un pin colonnaire, un banian) ou parfois par un bloc rocheux perpétuel et gravé, un pétroglyphe. Des structures horticoles monumentales apparaissent : des linéaires mesurant plusieurs kilomètres de billons d’ignames surélevés ou de tarodières et de systèmes de canaux d’irrigation sur la côte est ou bien de grandes fosses creusées pour cultiver le taro d’eau à Ouvéa ou encore de longs murets de pierres pour dévier l’eau et assécher une zone marécageuse comme à Yaté. Ces aménagements remarquables témoignent aussi d’une population nombreuse, probablement autour de 100 000 individus voire davantage durant la première moitié du deuxième millénaire.
L’espace foncier est de mieux en mieux organisé. À proximité des espaces agricoles, les Kanak, regroupés en hameaux, structurent leur espace de vie : alignement des maisons, implantation des maisons selon son statut au sein du clan, aménagement d’une allée centrale comme dans la vallée de la Tiwaka à Tuo Cèmuhî (Touho), plantation d’arbres symboliques (pins colonnaires, cocotiers) identifiables de loin comme dans le col d’Ö Chönaxwéta à Xûâ Chârâmèa (col d’Amieu à Sarraméa). Sur la Grande Terre, des structures en pierre permettent de surélever les maisons construites de forme ronde autour d’un poteau central comme à Pwöpwöp (Bopope) et dans les vallées de Hyehen (Hienghène). Ce dernier supporte à la fois la charpente, liant chaque élément entre eux, et devient l’intermédiaire entre la terre et le ciel, entre le visible et l’invisible. Chaque élément de la maison dépend de l’autre ; chaque individu est ainsi lié aux autres. Ce sont des générations successives au service de l’innovation technique qui ont pu pour aboutir à la construction d’une maison parfaite : répondre aux besoins (s’abriter, se chauffer en saison fraîche, se rafraîchir en été, échanger, palabrer), faire face aux aléas (architecture résistante et adaptée aux vents violents, aux fortes pluies, à un sol gorgé d’eau, à une forte humidité), exploiter les ressources environnantes (paille, écorce de niaouli, pierre, feuilles de cocotier et de pandanus, pierre ponce, lianes, bois). La grande maison, celle de l’Aîné, est un symbole à la fois visible et immatériel du clan. Elle est le lieu où les liens entre les individus se resserrent. Elle est l’endroit où la cosmogonie kanak se complexifie et se transmet, où l’on narre l’origine du monde : une origine que le Verbe ou la Parole, c’est-à-dire l’Aîné, retrace en parallèle avec l’apparition de l’Aîné du clan et de son totem. Un récit dans lequel l’igname joue un rôle essentiel. Un récit où les premiers hommes deviennent mythiques et où les génies de la forêt et autres lutins deviennent réels.

Dans les mondes kanak, en temps de paix, les groupes préservent des liens, gardent contact entre eux : entre groupes du bord de mer (clans de la mer) et groupes de la vallée (clans de la terre), entre côte est et côte ouest, entre Grande Terre et les îles. Le « cycle du Jade » comme observé à Bourail ou le « cycle du vert du blanc » comme décrit à Maré illustrent ces échanges. Les échanges de femmes font naître des alliances entre clans ou permettent de les renforcer entre clans alliés.
Le monde invisible, où vivent notamment les Esprits des ancêtres, n’est pas cloisonné de celui des vivants. Les croyances kanak se manifestent quotidiennement dans le travail au champs, durant une grossesse, dans la construction d’une pirogue, dans la forêt ou pendant un deuil. Les traditions funéraires s’organisent autour de l’idée que le corps du défunt peut encore renfermer une part de son âme, de sa force et de sa puissance totémique. L’ensevelissement partiel ou l’enterrement en position assise ou fléchie se ritualisent, notamment sur la Grande Terre comme à Deva (corps ligaturés). Ailleurs ou en fonction du statut du défunt, les ossements sont déposés dans des lieux tels qu’un abri-sous-roche où les crânes sont tournés vers l’extérieur (Ouvéa), déposés sur de petites pirogues (Lifou). Le prélèvement d’ossements comme un crâne, un tibia ou une phalange, après la période de décomposition du corps, devient une pratique courante. La partie prélevée est alors chargée d’un pouvoir mystique (fertiliser un sol, apporter de meilleures récoltes, hériter des mêmes capacités physiques d’un guerrier).
Ainsi, s’accaparer les pouvoirs d’un guerrier devient essentiel lorsque des tensions apparaissent. Souvent en rapport avec le foncier, les litiges peuvent évoluer en un conflit armé. Agrandir le territoire d’un clan, faire rayonner son autorité au-delà de la ligne de crête ou soumettre ses voisins encouragent certains clans à exercer une autorité plus forte voire à instituer une organisation hiérarchique verticale comme à Maré.

Après un enracinement sur les plaines littorales, dans les basses collines, ce sont les hautes vallées de la côte est de la Grande Terre qui finissent par être peuplées. Les territoires de chaque clan s’agrandissent au fur et à mesure que les familles s’accroissent et que de nouvelles générations obligent les anciennes à leur transmettre de nouvelles terres. Face à la croissance démographique et donc à la pression exercée sur les moyens de subsistance et sur le foncier, les groupes kanak sont à la recherche de nouvelles terres, toujours plus fertiles, et toujours plus éloignées des autres groupes. Les hommes pratiquent une culture itinérante sur brûlis qui finit par provoquer un appauvrissement des sols. Le foncier devient alors un enjeu, d’abord alimentaire puis politique.
De fait, la pression sur la terre est un facteur de tensions voire de conflits. Une guerre ou une alliance sont des alternatives fréquemment utilisées pour asseoir l’autorité d’un clan dans un territoire et pour la perpétuation d’un lignage. Les violences et les guerres entre clans peuvent obliger un clan à quitter son terroir pour se réfugier plus haut, plus loin. Les déplacements de clans ne sont pas rares. Un nouveau clan, implanté dans un nouvel espace, le territorialise en l’aménageant, mais aussi en l’intégrant dans le récit fondateur de son clan, pour légitimer sa présence dans son nouveau terroir comme Téâ Nànyàrâmî qui ancre le clan Näbai dans la vallée de Göièta à Pwäräiriwa (Ponérihouen). Les XVIIe et XVIIIe siècles sont une période marquée par des troubles entre les différents pays kanak. L’accroissement des populations, les migrations polynésiennes, la présence menaçante de ses voisins sont autant de facteurs d’instabilité, sources de rivalités et de guerres. L’archéologie et la paléodémographie tentent d’estimer la population kanak à 150 000 individus.

C’est dans ce contexte qu’un matin, des Kanak de la région de Nyelâyu (Balade), sous l’autorité du chef Téâ Buumêê, aperçoivent un surprenant navire qui s’approche de leur récif. Trois pirogues à voile partent alors vers sa direction en restant, à l’abri, à l’intérieur du lagon. Ils aperçoivent des hommes blancs dans cette gigantesque pirogue monocoque à voile avec trois mats. Il est 8h00, nous sommes le 4 septembre 1774, le pays kanak Nyelâyu entre en contact avec les premiers Européens …

Élargissement sur le thème suivant

  • Capsule vidéo réalisée par la DAAC et le SRPEIE du Vice-rectorat « La médaille de Cook »
  • Texte de la voix-off de la capsule vidéo

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Activité chapitre 1


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Activité chapitre 2


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