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La Nouvelle-Calédonie durant la Première Guerre mondiale

dimanche 19 juillet 2015 par Sylvette BOUBIN-BOYER
  Sommaire  

Intervention prononcée lors du stage « Construire des situations d’apprentissage formatrices pour enseigner la Première Guerre mondiale » effectué le jeudi 30 avril 2015 au Musée de la Ville de Nouméa

 Introduction

La contribution militaire des Néo-Calédoniens à l’effort de guerre de la France durant
la Grande Guerre a été conservée précieusement dans la mémoire des familles des différentes communautés. Elle est restée longtemps du domaine des associations d’anciens combattants et de celui des FANC (Forces armées de Nouvelle-Calédonie) qui commémoraient l’armistice du 11 novembre 1918. Les travaux universitaires, à ce jour, restent rares et ignorés. Les programmes d’histoire adaptés à l’histoire du pays sont trop récents pour que plusieurs générations aient pu s’approprier l’historiographie de la « Grande Guerre ». En cette année 2015, les commémorations en métropole et la Mission du Centenaire rappellent peu aux Néo-Calédoniens que bien des leurs, réunis au sein des « petits contingents » de l’armée française sont partis défendre une lointaine et utopique patrie.
En août 1914, l’Europe entre dans une guerre dont nul n’envisage la durée, alors que
les empires coloniaux sont impliqués. Colonie française à part entière depuis le 14 janvier 1860, la Nouvelle-Calédonie et ses dépendances [1] est la colonie la plus éloignée de la métropole, environ 22000 km par voie maritime. En 1914, il faut environ huit semaines au vapeur des Messageries Maritimes pour couvrir la ligne Marseille - Sydney - Nouméa. Le canal de Panama n’entre en service que le 15 août 1914 mais n’est utilisé pour les transports de troupes qu’en 1917. Le mercredi 5 août 1914, La France Australe annonce à la une que « La guerre est officiellement déclarée ». Une « Proclamation du Gouverneur » est affichée à la mairie de Nouméa et en brousse. Les hommes ressentent cet élan patriotique que l’École, l’Église ou la famille leur ont inculqué. Comme dans les autres colonies françaises, les Calédoniens de nationalité française, en âge de porter les armes, sont alors mobilisés comme le sont tous les citoyens français de métropole depuis le 1er août. Quatre contingents quittent Nouméa sur le Sontay, le Gange et l’El Kantara entre 1915 et 1917, emportant 1040 (ou 1047) citoyens français sur 1217 mobilisés et 978 sujets kanak [2] sur 1137 (ou 1134) engagés volontaires [3]. Aucun n’imagine que, le 10 mai 1919, lorsque les survivants embarquent sur l’El Kantara pour rentrer au pays, 193 Européens et 382 tirailleurs seront « morts pour la France » même si tous n’ont pas été tués au front. En outre, la contribution humaine de la colonie ne doit pas masquer la contribution économique et les changements qui ont découlé du monde nouveau dans lequel étaient entrées les puissances en guerre, entraînant leurs empires coloniaux.
Dans la colonie, qui détient l’autorité pour conserver l’intégrité des colonies françaises
océaniennes et faire participer les hommes à la guerre ? Malgré l’éloignement, contraints ou consentants, comment les Océaniens des colonies françaises sont-ils engagés dans ce conflit ? Comment la Nouvelle-Calédonie va-t-elle s’adapter au conflit ?

 La Nouvelle-Calédonie dans la guerre

 Les institutions de la colonie

En Nouvelle-Calédonie, le gouvernement français est représenté par le gouverneur
dont les pouvoirs sont très importants. C’est un fonctionnaire qui dirige l’administration, exerce l’autorité civile et militaire seul et sans partage, chargé de la défense intérieure et extérieure de la colonie [4]. Le gouverneur prend l’avis du Conseil privé dont le rôle est purement consultatif, sans qu’il soit tenu de s’y conformer. Le gouverneur est chargé de l’exécution des décisions du Conseil général et de la Commission coloniale. Parti en congé en métropole le 27 juillet 1914, le gouverneur Brunet, à sa demande, est mobilisé sur place dès le début des hostilités. Jules Repiquet, secrétaire général en Nouvelle-Calédonie depuis 1913 est alors chargé de l’intérim. Titularisé en 1918, il reste gouverneur de la Nouvelle-Calédonie jusqu’en 1923, devenant ainsi l’un des gouverneurs ayant effectué l’un des plus longs séjours.
C’est un ancien élève de l’École Coloniale, adepte des idées de Gallieni ou de Lyautey. Il a une bonne connaissance de la région puisqu’il a été précédemment commissaire-résident aux Nouvelles-Hébrides de 1911 à 1913. Trente ans avant le début de la guerre, les institutions de la colonie se sont quelque peu démocratisées avec la création du Conseil général [5] composé de dix-neuf membres élus pour six ans. La Commission coloniale est élue parmi ses membres. Son attribution principale est le vote du budget de la colonie, la gestion du patrimoine de la colonie et la gestion des grands travaux.
En 1914, le découpage administratif de la colonie correspond à 23 commissions
municipales formant neuf circonscriptions électorales chargées d’élire les Conseillers
généraux. La commune de Nouméa est la seule commune de plein exercice avec les mêmes attributions que celles de France métropolitaine. En Brousse, les commissions municipales correspondent aux centres de colonisation. C’est un système de gestion décentralisée, généralisé en 1879 et réorganisé par arrêté du 7 avril 1888. Trois membres élus pour quatre ans ont pour attributions, entre autres, l’administration des biens communaux, les travaux d’intérêt local ainsi que le vote et l’exécution du budget local. À l’exception de la commission municipale de Bourail, supprimée en 1916 (en raison de l’élection d’un président issu de la colonisation pénale) et gérée dès lors directement par le gouverneur, rien ne change durant la
guerre puisque les élections sont reportées à la fin des hostilités.
Un découpage différent redéfinit 28 circonscriptions pour le Service des Affaires
indigènes. En 1859, avaient été mis en réserve les terrains reconnus nécessaires pour les besoins des indigènes. En décembre 1867, l’arrêté gubernatorial n°147 déclare l’existence légale de la « tribu », notion qui ne correspond pas véritablement à l’organisation sociale précoloniale kanak. Pour faire suite à cet arrêté, le 22 janvier 1868, les réserves sont déclarées biens collectifs, inaliénables, incommutables et insaisissables. En 1895, le Conseil général vote l’impôt de capitation par lequel tous les indigènes mâles valides sont contraints de payer 10 francs par tête. Puis le cantonnement des indigènes est décidé par arrêté du 23 novembre 1897. La colonisation Feillet va achever la spoliation foncière des indigènes de la Grande Terre. La décision organique du 9 août 1898 définit l’organisation des Affaires indigènes : les circonscriptions sont sous la responsabilité d’un syndic (gendarme chef de poste) ou d’un délégué (un gendarme, un fonctionnaire ou plus rarement, un colon). Chaque
circonscription est découpée en districts (73 en tout) ayant à leur tête un grand-chef indigène nommé par l’administration. Chaque district est lui-même divisé en tribus dirigées par un petit-chef nommé par l’administration. Grands-chefs et petits-chefs administratifs ne sont pas toujours entérinés par les Conseils des Anciens. Le nombre de tribus est variable puisqu’elles peuvent être regroupées ou supprimées. Le grand-chef est responsable de l’ordre dans son district, du recouvrement de l’impôt de capitation dont il perçoit vingtième, du paiement des amendes infligées à ses sujets, de l’isolement des lépreux. Il touche une prime sur les salaires de ses sujets. Ses pouvoirs sur ses sujets ne sont pas définis réglementairement. Les indigènes
calédoniens ne jouissent pas de la citoyenneté française, ils sont « sujets » français (ou « sujets de la République française »). Ils ne sont ni électeurs ni éligibles et ne participent donc pas à l’élaboration des règles régissant leurs droits et devoirs sur le sol de la colonie. De ce fait, le Kanak subit la double autorité de son chef et du régime de l’Indigénat.

 La population en Nouvelle-Calédonie

Les autochtones, population indigène de l’archipel calédonien, sont appelés Canaques
ou Kanak. L’édition 1908 du Petit Larousse illustré cite l’exemple suivant : têtu comme un kanak, selon l’imaginaire européen de l’époque. Le terme le plus courant pour désigner la population autochtone est le mot « indigène ». Le Service des Affaires indigènes, sous l’autorité directe du gouverneur, procède à des relevés annuels réguliers de la population indigène, afin de contrôler le paiement de l’impôt de capitation et d’organiser les corvées. L’absence d’état civil dans les tribus, parfois très éloignées du lieu de résidence du syndic rend les déclarations des décès et des naissances pas toujours fiables [6]. La très légère augmentation de la population kanak (d’environ 200 individus supplémentaires régulièrement d’année en année : 20 075 en 1911 – 28 704 en 1914) est comparable à celles des autres îles de la région, après la forte décrue de la fin du siècle précédent. Presque partout christianisée, cette population vit presque exclusivement en tribu, parfois regroupée en réduction autour d’une mission catholique ou protestante. Elle participe peu à l’économie du territoire, enfermée dans les réserves, protégée par les missionnaires, rarement embauchée sur mine en raison d’une constitution fragile, plus souvent utilisée, dans le cadre du travail obligatoire par les colons pour ramasser le coprah ou à la cueillette du café. Les hommes sont soumis à l’impôt de capitation et aux corvées pour des travaux d’intérêt public organisés par les syndics des affaires indigènes. Les Loyaltiens, dont la propriété du sol de leurs îles n’a pas été contestée, s’embauchent plus volontiers, habitués à émigrer pour trouver du travail salarié. Le régime de l’Indigénat auquel cette population est soumise depuis le décret du 18 juin 1887, place les Kanak hors du droit commun pour une période de 10 ans, statut reconduit régulièrement jusque en 1946.
En 1911, le recensement de la population paru au Journal Officiel de Nouvelle-
Calédonie du 16 mai, évaluait l’ensemble de la population calédonienne, autochtones,
européens et autres, à 50 098 habitants. Les Mélanésiens, les plus nombreux (28 075), vivent en tribu. La population européenne est d’origine et de condition fort diverses (libre : 13 138 ; pénale : 5 671). Une forte proportion de main d’oeuvre immigrée sous contrat [7] forme le troisième élément (3 214) d’une population assez disparate et répartie irrégulièrement sur tout le territoire de la colonie.
L’élément libre correspond au quart de la population totale, mais le recensement fait
état, inclus avec les Français, de 2 010 étrangers, principalement Japonais, Autrichiens, Belges, Italiens et Australiens, auxquels s’ajoutent quelques Allemands travaillant dans le commerce mais surtout sur mines comme à Thio, où tous les ingénieurs et techniciens du transbordeur de minerai de nickel sont Allemands. Les citoyens français sont 11 128, dont 7044 nés dans la colonie ; beaucoup sont des descendants de la population d’origine pénale. Quelques-uns sont les fils ou les petits-fils des premiers colons, quelquefois étrangers, arrivés dans l’archipel parfois avant la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie par la France.
Leur statut n’est pas toujours bien déterminé. La population française d’origine métropolitaine est constituée de fonctionnaires en poste, la plupart à Nouméa, d’anciens militaires (gendarmes, surveillants de la Pénitentiaire) démobilisés sur place, ayant bénéficié de conditions favorables à leur installation comme colons, enfin des troupes stationnées en Nouvelle-Calédonie (396 personnes en 1911 considérées comme résidents de passage). La population d’origine pénale, issue du bagne dont le gouverneur Feillet a fermé le robinet d’eau sale avec le dernier convoi en 1897, représente encore le dixième de la population totale. Ceux qui n’ont pas accompli leur peine sont encore 1 109 en 1911. Les libérés ne peuvent (double peine ou perpétuité) ou ne souhaitent pas toujours quitter la colonie : c’est le cas de 3 227 d’entre eux en 1911.
La main d’oeuvre immigrée sous contrat forme un élément particulier de la population
calédonienne, plus ou moins importante selon les périodes de boom minier ou de crise de production agricole. L’immigration est réglementée, sous la responsabilité et la surveillance du service de l’Immigration dont le chef de service a conjointement la responsabilité des Affaires indigènes. En 1911, les immigrants sont principalement des Asiatiques (Hindous : 166, Tonkinois : 366, Javanais : 1 254) ou des Indigènes originaires des Nouvelles-Hébrides (722). Le groupe des Asiatiques représente 5% de la population totale de la Nouvelle-Calédonie. Les Javanais sont une main d’oeuvre réputée travailleuse, docile et peu exigeante, en principe réservée aux travaux agricoles, que certains « engagistes » n’hésitent pas à employer dans les exploitations minières.

[1L’île principale : la Grande Terre et, au sud : l’île Ouen et l’île des Pins, à l’ouest : les îles Chesterfield, au nord : l’archipel des Bélep et les récifs d’Entrecasteaux, à l’est : l’archipel des Loyauté (Maré, Tiga, Lifou, Ouvéa) et les îlots Walpole, Hunter et Matthew.

[2Pour tenir compte des revendications d’indépendance d’une partie des Mélanésiens de Nouvelle-Calédonie, le mot « kanak », invariable en genre et en nombre, a été officialisé en 1988 par les Accords de Matignon-Oudinot. L’orthographe adoptée est parfois celle des documents d’époque.

[3Les chiffres des militaires, mobilisés et engagés volontaires sont au total : 1678 Niaoulis (citoyens français de Nouvelle-Calédonie et des Nouvelles-Hébrides), 1080 Tahitiens et 1144 Kanak. Les mobilisés sur place, absents, sursis d’appel, insoumis, déserteurs,... sont inclus. Ces chiffres ne correspondent donc pas au nombre de Créoles calédoniens qui embarquent réellement.

[4Décret du 12 décembre 1874, décret d’application du 1er mars 1875.

[5Décret du 2 avril 1885.

[6En cas d’épidémie, les mesures sanitaires strictes découragent parfois les chefs de déclarer les décès mais les missionnaires tiennent à jour la liste des naissances. Les tribus non encore évangélisées sont situées généralement dans la « Chaîne » centrale, loin de toute mission et tout centre de colonisation.

[7Principalement des Japonais, citoyens libres, originaires d’une puissance amie de la France, des Indochinois et Néo-hébridais, sujets français, ainsi que des Javanais, sujets néerlandais.


titre documents joints

La Nouvelle-Calédonie durant la Première Guerre mondiale

19 juillet 2015
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591.5 kio

Conférence prononcée lors du stage effectué le jeudi 30 avril 2015 au Musée de la Ville de Nouméa


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