La Nouvelle-Calédonie durant la Première Guerre mondiale
- Introduction, p1
- La Nouvelle-Calédonie dans la guerre, p1
- La société calédonienne : une société de castes, p2
- Les transports maritimes et l’impact de la (…), p2
- L’intrusion de la guerre dans la vie de l’archipel, p2
- Les mesures financières et économiques, p2
- Les infrastructures sur la Grande Terre, p2
- La présence des Océaniens français dans la (…), p4
- Les soldats au départ pour la métropole, p4
- Le cas particulier des Tahitiens, p4
- Les soldats océaniens au front, p4
- L’appel de la France aux indigènes de ses (…), p5
- L’engagement des tirailleurs indigènes en (…), p5
- Le départ des contingents du bataillon des (…), p5
- Bilan, p5
- Compléments, p7
Une opération de maintien de l’ordre (avril 1917-janvier 1918)
Le gouverneur utilise son pouvoir de décréter la censure. À la mi-avril, Poindet
Apengou, un Kanak de la région réputé contestataire est convoqué par Fourcade mais ne se rend pas à la convocation. En le recherchant, les marins du Kersaint et les gendarmes se rendent à Tiamou, village du petit-chef Noël. Comme lors des campagnes de pacification d’antan, ils en profitent aussi pour visiter les cases pour voir s’il n’y avait rien à piller. Fourcade tient alors à rencontrer les protagonistes des troubles précédents. Il se rend à Tiamou à la tête d’un détachement de tirailleurs tahitiens. Le chef Noël ne se présente pas mais observe la troupe depuis une crête et dépêche une estafette auprès du chef du service des Affaires indigènes qui décide l’arrestation des Kanak venus parlementer. Au retour, un coup de feu blesse un soldat à l’arrière, les tirailleurs ripostent. Le 3 mai, la propriété Azémat à Poindio est pillée, le colon essuie un coup de feu. deux colonnes prennent la région en tenaille. Le lendemain, la tribu de Panéqui est incendiée. Une méprise, due à la configuration
du terrain fait que les deux parties de la colonne tirent l’une sur l’autre. Le 4 mai, des
munitions, un fusil, quatre chevaux sont dérobés à la station Chautard, à Pombeï. Deux semaines plus tard, la station Bardet à Forêt Plate est pillée. Le domestique, un libéré est assassiné, on apprendra lors du procès en juillet 1919 que son coeur a été l’objet d’un acte d’anthropophagie rituelle. Le 22 mai, deux colons d’origine pénale, le père et le fils Bousquet et leur domestique sont assassinés à la Haute Pouembout, leur coeur aurait été arraché pour être remis au sorcier Paétou.
La panique gagne les Européens de la région. Des lettres et des pétitions sont envoyées aux journaux et au gouverneur. Le chef d’exploitation de la mine du Kopéto alerte sa direction de la Société le Nickel à Nouméa, qui fait pression sur le gouverneur. Les conseillers généraux, les présidents des commissions municipales usent de leur influence pour alerter les plus hautes autorités. Dans cette atmosphère de peur et de rumeurs, des employés kanak de la mine du Kopéto sont reçus à coups de fusil alors qu’ils allaient toucher leur paie. Le 23 mai, Poindet Apengou et Maurice Paétou dirigent 80 hommes de Netchaot sur le campement minier. L’attaque échoue mais on compte deux morts de chaque côté. En raison de la censure,
Nouméa et la brousse ne sont informés que par les rumeurs et les communiqués officiels de l’administration. Fin mai plusieurs stations de la chaîne sont pillées et incendiées.
Le 16 juin, à Oué Hava, une vallée proche de Hienghène, le colon Henri Grassin, sa
femme Clémence, leur domestique javanais, Sastiviredjo et leur voisin Ludovic Papin sont massacrés par les hommes de Noël Kaveat et une quarantaine de guerriers de Pamalé, de Ouenkout et d’Atéou. Le cadavre d’Henri Grassin a été éviscéré. L’indignation des Européens de Brousse et de Nouméa est d’autant plus grande qu’il s’agit de « colons Feillet », dernière vague de colons français venus coloniser et fonder, au nom des valeurs de l’époque, « la France australe ». L’équipage du Kersaint est chargé par le gouverneur d’aller réprimer la rébellion. Par ailleurs, les colons se sont organisés pour se protéger, malgré la présence, au sein des compagnies du BICNC, d’un détachement de tirailleurs loyaltiens et tahitiens dont
les unités sont cantonnées dans les principaux centres de colonisation, parfois chez les colons eux-mêmes.
C’est alors que le gouverneur va demander au Ministre des Colonies -et obtenir- que
258 permissionnaires des fronts d’Europe ne rejoignent pas la métropole pour être mobilisés et réincorporés sur place. En effet, dès le mois de mai, le gouverneur Repiquet avait déclaré abusivement le centre et le nord de la Grande Terre front de guerre. De plus, des supplétifs kanak de Houaïlou, de Lifou, de Bourail, comme lors de la grande révolte kanak 1878, sont engagés comme auxiliaires du BICNC. Le père Rouel, curé de Hienghène mobilisé, participe à la répression. Il porte un regard sévère sur les actions de représailles de l’armée et sur l’attitude tant des Européens que des Kanak, tirailleurs ou rebelles. Le 5 juillet, la station Laborderie, dans la vallée de la Tipinjé, en aval de Oué Hava est attaquée, mais les marins du Kersaint repoussent l’assaut. Pour la première fois, un fusil mitrailleur est utilisé contre une tribu, celle de Ouenkout. Le bilan est difficile à établir. Le lendemain, deux marins sont tués
dans une embuscade. Le corps de l’un d’entre eux est retrouvé dépecé. De juillet à septembre, des actions de guérilla se produisent contre des postes militaires et des stations, le câble téléphonique entre Tiwandé et Touho est sectionné. Mais les représailles des colonnes de militaires sont rigoureuses. En même temps, les redditions de rebelles vont se succéder, influencées par les pères des missions maristes, le pasteur Leenhardt et ses natas ainsi que par certains colons. Le froid et la pluie d’un hiver particulièrement rude, la faim et le découragement viendront à bout de la résistance des hommes et des femmes pourchassés dans les montagnes. En janvier 1918, contre une prime, le chef Noël est assassiné près de Koné par
un libéré chez qui il venait se ravitailler. Les principaux responsables, dont Poindet Apengou, se sont rendus ou, comme Kaveat, ont été tués. Faute de navires pour regagner la métropole, en raison également de circonstances familiales favorables, le retour des permissionnaires maintenus dans la colonie pour réprimer la révolte kanak tarde jusqu’à l’armistice du 11 novembre 1918.
Si la répression de la révolte de 1917 a été menée comme celles du passé, avec prise
en main des opérations par le gouverneur à la tête d’une « colonne de pacification », le procès va révéler un changement dans le traitement des indigènes accusés, une manière nouvelle de considérer les Mélanésiens. Aucune tribu, aucun clan n’est considéré comme responsable collectivement. De nombreux Kanak du centre et du nord de la Grande Terre ont été traumatisés par la répression et les condamnations prononcées à la fin du procès des révoltés en 1919. Cinq prévenus sont condamnés à mort, deux sont exécutés. Même si des remises de peine des condamnés aux travaux forcés ou à la prison sont rapides (avant la fin du mandat du gouverneur Repiquet), l’impact réel n’a jamais été évalué complètement, amplifié par les conditions d’existence des femmes prisonnières remises aux supplétifs et les interdictions de séjour des libérés dans leur tribu.
Pour certains rebelles, il s’agit d’une guerre menée contre les Français depuis le début
de la colonisation. Pour le chantre de l’indépendance kanak, Jean-Marie Tjibaou, « calmer les gens pour longtemps », telle a été l’intention de l’administration en 1917, par une gestion « de maintien de l’ordre » aussi rude, sans tenir compte du millier de tirailleurs kanak volontaires en métropole. Néanmoins, au lendemain de la Grande Guerre, en dépit des réactions du Conseil général et des colons qui n’y voient que dépenses inutiles, l’État, par la voix de l’administration inaugure une nouvelle politique indigène (NPI) [30] qui ne donnera ses fruits qu’après la Seconde Guerre mondiale et dont les finalités sont, comme le relève l’historien Jean-Marie Lambert : « à la fois de satisfaire les revendications légitimes des Mélanésiens et les aspirations normales des colons. »
La gestion gubernatoriale d’une colonie en guerre
Selon les gouverneurs en poste, le Conseil général peut se révéler un adversaire
redoutable à la politique gubernatoriale ou au contraire un appui majeur. Le gouverneur
Pardon, dont l’hostilité du Conseil général avait provoqué le départ en 1892 ainsi que le
gouverneur Feillet en 1898 en avaient fait les frais avant guerre. Le gouverneur Repiquet, au contraire, conserve son soutien pendant toute la période de la Première Guerre mondiale. Le Conseil général se trouve pris en tenaille entre les pouvoirs accrus du gouverneur et une nécessaire prise en charge de la vie de la colonie.
Les Commissions municipales voient aussi leur rôle redéfini pendant cette période. Le
gouverneur, dès le début du conflit, gère la défense de la colonie quelques semaines avec l’aide de l’amiral Huguet, puis seul, après consultation du Conseil privé, toute la vie institutionnelle, même s’il reste en liaison permanente avec le ministre des Colonies. En raison de la situation de guerre, bien des décisions lui sont personnelles. Ainsi prend-il quelques libertés avec le droit : déclarer la Nouvelle-Calédonie front de guerre en 1917 est un abus qui lui est vivement reproché par les inspecteurs de la mission d’inspection du ministère des Colonies en 1918-19.
À maintes reprises, de nombreux conflits éclatent entre le commandant supérieur des
troupes et le gouverneur, entre les représentants de l’armée et ceux de l’administration. La timide démocratisation des institutions entamée au début du siècle n’a pas résisté à quatre années de pouvoir presque sans partage du gouverneur Repiquet. Le juriste Guy Agniel fait ainsi remarquer que toute l’organisation administrative de l’île, tant au niveau territorial qu’au niveau communal, est marquée par le personnage du Gouverneur, qui exerce un contrôle très lourd et très étendu sur le fonctionnement et les attributions des premiers organes locaux mis en place ; outre le contrôle de la légalité, il exerce un contrôle d’opportunité qui est la marque de l’absence de décentralisation véritable. Il est facile d’en conclure que l’organisation dont est dotée la colonie a certes la possibilité de se transformer
en administration décentralisée mais que, jusqu’à la fin du second conflit mondial, cette évolution ne dépasse pas le stade de l’ébauche, en parfait accord avec son statut, celui d’une colonie. [31]
Par ailleurs, malgré les reproches des inspecteurs Bougourd et Pégourier, le
gouvernement français a apprécié la gestion de la révolte indigène de 1917 en Nouvelle-Calédonie par le gouverneur en poste, puisque, loin d’être désavoué par un renvoi comme d’autres gouverneurs dans le passé, Jules Repiquet est titularisé en 1918. S’inspirant de stratégies tirées des enseignements des fronts de guerre en Europe, sachant reconnaître et utiliser les rivalités entre chefs indigènes, déplaçant le syndic des affaires indigènes de la circonscription de Koné, il s’est imposé comme le réducteur de la dernière révolte indigène du moment. Lorsque Jules Repiquet quitte la Nouvelle-Calédonie, il est nommé à la Réunion puis termine sa carrière d’administrateur comme commissaire au Cameroun.
Compléments
Les tableaux de recensement
Loi 1905 art 10 : les mairies doivent dresser dans le courant de décembre les tableaux de recensement où figurent tous les hommes en âge d’être appelés pour le service militaire. Sont appelés : les jeunes gens nés ou domiciliés dans la commune ayant atteint l’âge de 19 ans révolus ou qui atteindraient cet âge à la fin de l’année.
On doit indiquer la profession, le degré d’instruction, le signalement, les infos/mariage et renseignements divers.
Les ajournés sont sur une liste à part.
Le conseil de révision : effectue la lecture publique des tableaux de recensements puis constate à huisclos l’aptitude physique des jeunes gens.
À l’issue de la visite, le conseil de révision établit la liste des Bons pour le service armé (BSA), des ajournés, des exemptés (doivent repasser l’année suivante), et des bons absents.
Insoumis : n’ont répondu ni aux ordres d’appel ni aux ordres de route.
Bons absents ne se sont pas présentés aux conseils de révision ou aux commissions de réforme devant lesquels ils devaient passer.
Registre matricule établi pour tous ceux qui ne sont pas déclarés impropres à tout service armé ou auxiliaire. Le numéro matricule suit l’homme jusqu’à sa libération définitive du SM ou sa radiation des contrôles de l’armée.
Les Sursis d’appel émanent de maires, députés, industriels, particuliers.
La mobilisation : lors de la mobilisation d’août 1914, les tableaux de recensement servent à établir les registres de mobilisation.
Jules Repiquet, un représentant type de l’École coloniale
Jules Repiquet, en fonction de sa personnalité mériterait une étude biographique approfondie. Né en 1874, il est un ancien élève de l’École coloniale. Il a été commissaire résident de France aux Nouvelles-Hébrides de 1911 à 1913, date à laquelle il est nommé secrétaire général en Nouvelle-Calédonie. Il reste gouverneur de la colonie durant toute la guerre après avoir été titularisé en février 1918. Son mandat s’achève en 1923. Son âge (40 ans en 1914) et sa situation de famille (son
quatrième enfant naît à Nouméa en 1917) lui permettent d’être mobilisé dans la réserve, sur place et de ne pas être contraint de rejoindre la métropole, même lorsque la loi Dalbiez d’août 1915 aura réajusté les critères d’appel [32]. Les pouvoirs du gouverneur, déjà importants, se sont trouvés renforcés dès le début du conflit et pendant toute la durée de la guerre.
Jules Repiquet a déjà eu l’expérience des opérations de répression d’une révolte indigène à Chirocamba et dans les autres villages indigènes du district occidental d’Anjouan dans les Îles Comores. Aux Nouvelles-Hébrides, il a organisé l’arrestation des auteurs d’assassinats de colons français. Très estimé des Européens de l’archipel, il a accompagné de sa signature la pétition des colons qui réclamaient le rattachement définitif des Nouvelles-Hébrides à la France.
Son rôle dans la guerre est de mettre la colonie en état de défense, d’assurer la mobilisation puis de prescrire et d’obtenir l’enrôlement des indigènes volontaires lorsque les troupes noires du Pacifique sont constituées. Sa qualité de commissaire général de la République dans le Pacifique le conduit à représenter la France et à assurer la protection des nationaux et locaux dans les archipels océaniens pendant toute la durée de la guerre, après avoir mobilisé les citoyens français du Pacifique.
Jules Repiquet doit également ordonner les opérations militaires de répression contre les tribus révoltées en 1917. Il assume la responsabilité de la gestion financière de la colonie. La politique de grands travaux qu’il met en route permet de résorber le chômage et de rassurer les colons. En 1919, il ordonne les mesures quarantenaires et sanitaires contre la grippe espagnole en dépit des protestations des commerçants calédoniens.
En 1918, la titularisation de Jules Repiquet au poste de gouverneur emporte l’adhésion de presque tous les Calédoniens. Au nom du Conseil général, le président Vincent le félicite « pour l’avancement si hautement mérité dont il vient d’être l’objet et en lui exprimant (notre) satisfaction de le voir maintenir à la tête de cette colonie à laquelle il a donné tant de preuves de son dévouement. » [33] William Puget, le directeur de La France Australe écrit sobrement « Nous sommes profondément heureux de la titularisation de M. Repiquet et encore plus de son maintien à la tête des affaires de la Nouvelle-Calédonie, où il compte de très nombreuses sympathies, et dont il connaît admirablement les aspirations et les besoins… il aura certainement à coeur de continuer l’oeuvre qu’il a entreprise et qu’il poursuit depuis près de quatre ans avec autant de zèle que d’activité et de dévouement.33 ». En revanche, Le Bulletin du Commerce comble Repiquet d’éloges en rappelant « la déclaration inattendue de la guerre - lors de laquelle le gouverneur - s’était trouvé dans une situation hérissée de difficultés, exigeant des qualités d’énergie, de droiture et de capacité qui n’ont pas manqué au nouveau chef de la colonie, subitement appelé à se mouvoir au milieu des plus graves responsabilités… M. le Gouverneur peut se montrer fier et heureux d’avoir puissamment contribué à assurer à la colonie une ère de calme et de prospérité relative (…) - Enfin, le journal met en évidence - Une grande aménité de caractère, accessible à tous et une valeur professionnelle de premier ordre. [34] »
Tableau de la dispersion des Calédoniens
Bilan de la Première Guerre mondiale en Océanie
(Attention : chiffres en cours de vérification grâce à de nouveaux documents d’archives ; variation probable de quelques unités)
[30] Nouvelle politique indigène dans les domaines de l’enseignement, de l’hygiène, de la santé, du désenclavement des tribus, de l’insertion dans l’économie monétaire par la caféiculture, etc.
[31] AGNIEL Guy, De la collectivité humaine à la collectivité locale de droit commun, L’évolution vers la structure communale en Nouvelle-Calédonie (1853-1977), Publications de la Société d’Études Historiques de Nouvelle-Calédonie, n° 51, 1993, p. 53.
[32] La loi Dalbiez d’août 1915 ajoute la disparition quasi absolue des sursis d’appel pour les citoyens français, sursis qui seront dès lors accordés par le ministre de la Guerre seul. Elle enjoint aux conseils de révision et autres commissions de réforme le réexamen des hommes reconnus inaptes au service militaire.
[33] La France Australe, 5 février 1918
[34] Le Bulletin du Commerce, 9 février 1918.
titre documents joints
La Nouvelle-Calédonie durant la Première Guerre mondiale
Conférence prononcée lors du stage effectué le jeudi 30 avril 2015 au Musée de la Ville de Nouméa
Sylvette BOUBIN-BOYER
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