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La Nouvelle-Calédonie durant la Première Guerre mondiale

dimanche 19 juillet 2015 par Sylvette BOUBIN-BOYER
  Sommaire  

 Les créoles océaniens : contraints ou forcés ?

En ce qui concerne les mobilisés contraints de partir, les Français et les créoles, à
quelle patrie, à quelle nation avaient-ils le sentiment d’appartenir ? Qu’éprouvent les créoles dont les parents ont été bannis ? Le patriotisme et l’envie du départ ont été, la plupart du temps, un sentiment partagé par les Calédoniens et les Tahitiens lorsqu’ils sont encore à Papeete, à Port-Vila ou à Nouméa. Mais l’évolution de leurs sentiments est rapide : horrible, funeste, maudite, associés à devoir sont des mots qui reviennent souvent dans leurs correspondances. Durant le voyage, dès juin 1916, Ferdinand Goyetche va plus loin : Nous travaillons par ordre, c’est pas par bonne volonté que nous le faisons. Tu as de drôles d’idées en tête parfois même des idées révolutionnaires. Et Charles Giraud, en 1917 résume l’évolution mentale des créoles : Après ce que j’ai vu je ne conseillerai jamais à qui que ce soit d’être volontaire ; faisons simplement tout notre devoir. Camille Vautrin, un des 6 frères mobilisés en 14-18, écrit à son frère en février 1917 : Ne parle pas à Gaston de patriotisme car il n’aime pas beaucoup ça et il n’a pas tous les torts car quand tu vois la manière dont on te récompense ! Espérons que la guerre finira vite et que nous pourrons retourner dans notre beau pays ! Si j’ai le bonheur d’y retourner, on viendra encore m’en parler de la France ! Ceux qui viendront m’en causer seront bien reçus ! Que la paix arrive vite, c’est tout ce que nous demandons. Ces réflexions montrent la disparition rapide des sentiments d’exaltation du début remplacés par la résignation.
Départ pourtant parfois voulu comme un tremplin pour se fixer en métropole, comme
pour Charles Giraud, chez qui la perception de la Calédonie et le regard porté sur la France ont changé : Je ne compte plus rester en France comme je l’avais escompté ; dès les hostilités terminées je prendrai la route de la Nouvelle, ce pays vraiment enchanteur. Je commence à avoir hâte de retrouver cette liberté et ces bonnes choses dont j’ai tant goûté avant cette maudite guerre.
En avril 1917, le gouverneur Julien écrit aux chefs des districts de Mooréa : La
France, a voulu, en appelant quelques contingents tahitiens dans les rangs de son héroïque armée, démontrer qu’elle vous considérait comme ses fils et vous permettre d’être fiers d’avoir, dans une modeste proportion, participé à l’oeuvre qu’elle accomplit pour la sauvegarde de l’humanité menacée par un ennemi implacable et sans scrupules. Peu avant sa mort, le prince Hinoï, petit-fils de Pomare V, chef d’Arue écrit au gouverneur Julien : la population tahitienne est fière d’être appelée à servir dans les rangs de la valeureuse armée française où elle fera tout son devoir.
Au delà des proclamations pompeuses des années de guerre, la France a appelé ses
ressortissants océaniens pour deux raisons : tout d’abord, la nécessaire égalité de tous ses citoyens devant la loi. Mais l’appel aux indigènes répond ensuite au besoin éperdu d’hommes à faire travailler dans les usines et les arsenaux, et surtout aux combattants pour remplacer les pertes inimaginables du début des combats. Dans les colonies océaniennes, d’aucuns, comme le gouverneur Julien à Tahiti, imaginent que la nationalité française se mérite et qu’en donnant leur sang pour la France, les indigènes auraient accès à la nationalité française, après s’en être rendus dignes. Ainsi, l’engagement volontaire des indigènes aurait consisté en une oeuvre
d’assimilation de ces « bons Français » que seraient devenus les indigènes kanak et tahitiens au retour du front.

 Le retour des soldats océaniens français

Lorsque les anciens combattants océaniens rentrent au pays, à Port-Vila, puis à
Papeete et à Nouméa, les Anciens combattants fondent des associations d’anciens combattants destinées à venir en aide à leurs frères d’armes, à conserver le sentiment d’union sacrée ressenti durant la guerre, à participer à la vie sociale et politique de la colonie pour en améliorer les conditions de vie. Leur prestige puis leur pension en font parfois des notables ; des emplois réservés les insèrent dans la société et l’économie modernes. Mais ils pansent leurs plaies physiques et morales dans leurs tribus et dans leurs îles, sous la protection du missionnaire et du responsable des Affaires indigènes, un capitaine de gendarmerie qui applique la Nouvelle politique indigène mise en place par l’État à partir de 1923. Cette politique concerne la santé, l’hygiène, l’enseignement, la participation à l’économie marchande
du pays... Un nouveau type d’homme se forge dans l’entre-deux-guerres.
Le nationalisme qui éclos dans les ÉFO et dans les autres colonies françaises n’est pas revendiqué en Nouvelle-Calédonie ni aux Nouvelles-Hébrides malgré l’inquiétude des gouverneurs des colonies françaises d’Océanie à propos de l’esprit quelque peu bolchevik des anciens poilus et tirailleurs de 14-18. Tous les combattants français d’Océanie répondent sans doute aucun à l’affirmation de l’historien Charles Ridel, qui écrivait en 2009 : Sous l’épaisseur et la profondeur du consentement à la guerre, derrière l’homogénéisation des expériences de guerre, il y a une prodigieuse variété des comportements et d’ambiguïtés.

 L’impact de la guerre : ruptures et permanences

La fermeture des marchés européens entraîne, avant la fin de 1914, le licenciement
d’une grande partie du personnel des mines, 800 ouvriers, dont 255 à 275 blancs qui se trouvent sans travail. Mais le départ du premier contingent en métropole, au début de 1915, permet à une partie de cette main d’oeuvre de retrouver du travail. En 1916, cent travailleurs maltais arrivent à Nouméa, pour en repartir peu après, mécontents des conditions proposées. En 1917, le Conseil général envisage de faire revenir des travailleurs javanais. Pourtant, la main-d’oeuvre immigrée sous contrat a été la première à supporter les conséquences de la guerre, en effet, après les licenciements, il leur est presque impossible de retourner au pays. Bien des Japonais et des Indonésiens vont se trouver à Nouméa, sans moyens de transport pour le rapatriement. Quelques-uns vont alors récupérer leur pécule, acheter une petite
propriété (Pouembout, Koné, Voh) et s’installer dans le maraîchage. Les moins fortunés deviennent métayers, en résidence libre.
La mobilisation a entraîné bien des rancoeurs chez les Calédoniens. Après
l’enthousiasme patriotique de certains lors de la proclamation de guerre, le Bulletin du
Commerce du 26 septembre 1914 titre certains mobilisés jouiraient-ils de faveurs ? Les Nouméens sont en effet mobilisés sur leur lieu de travail, ils peuvent rentrer chez eux le soir, alors que les broussards restent à la caserne malgré le travail qui les attend sur leurs stations. Plus tard, certains sont « embusqués », soit qu’ils aient réussi à prouver qu’ils travaillent dans une industrie ou une fonction utile à la défense nationale, soit qu’ils aient réussi à obtenir un ajournement ou une réforme médicale. Un profond sentiment d’injustice est alors ressenti par ceux qui sont contraints de partir et leurs familles. Les nouvelles du front, l’annonce des premiers morts calédoniens au champ d’honneur frappent vivement les imaginations. De métropole, les permissions pour rentrer au pays ne sont données qu’au début de l’année 1917.
En brousse, la ponction est importante, tous les hommes en âge et condition d’être
mobilisés l’ont été. L’intérieur se dépeuple, des propriétés agricoles sont mises en vente ou en gérance, beaucoup de femmes ne peuvent rester seules. Une grande misère apparaît. L’armée, la gendarmerie ont presque disparu de l’intérieur, tout occupées à mobiliser les Européens et à recruter des volontaires kanak. Des actes de petite délinquance se multiplient. Dans la région de Voh, plusieurs lettres de femmes seules manifestent l’inquiétude des broussards au gouverneur dès le mois de mars 1917. On a peur des Jaunes, des indigènes et des libérés. Les missionnaires font état de la grande misère des tribus, amplifiée par la propagation de la lèpre
et des cas de peste. Ils stigmatisent souvent les conditions dans lesquelles est effectué le recrutement des tirailleurs et les abus, comme lorsque des Kanak sont envoyés aux Nouvelles-Hébrides au lieu de partir en France. Le volontariat des indigènes est également mis en cause. Ainsi, le père Chalandon, à Touho note : notre chef Ferdinand doit partir avec son fils, le jeune Emmanuel également. C’est le départ de ces chefs qui a déterminé l’engagement d’un grand nombre d’autres. Le brigadier Faure, témoigne que le Chef des Affaires indigènes, Émile Fourcade, lorsqu’il est venu chercher des volontaires a dit qu’il lui en fallait, il a également menacé les chefs de les exiler. Aussi, les chefs qui lui en amèneraient seraient ses
amis, tandis que les autres, ils seraient binglés, parole appuyée par la menace d’un geste d’étranglement. De plus, quel chef pourrait résister à quelques billets de 100 francs ? [29]

 L’impact de la levée des tirailleurs indigènes

Le recrutement des Kanak s’effectue sur la base d’un homme pour dix imposables. En 1916, le quantum est dépassé dans plusieurs localités de la Grande-Terre. En tout, 716 volontaires ont été admis et 30 réformés après la visite médicale. Mais il arrive que certains individus soient indispensables pour accompagner les recrutés comme l’explique Acôma Nerhon, nata de Houaïlou : Nous avons passé la visite pour partir et il arriva une difficulté :Acôma Nerhon n’était pas apte à cause de ses yeux. J’ai alors parlé au Commandant et demandé le conseil de réforme pour qu’il examine son oeil mauvais et il a dit qu’il était bon. Les Kanak sont encouragés par certains missionnaires catholiques et par le pasteur Leenhardt, très patriotes. D’autres missionnaires, au contraire, cherchent à éviter le départ de leurs néophytes. En outre, les antagonismes nés de la colonisation et particulièrement de la spoliation des terres sont toujours présents. Le pasteur Leenhardt évoque un pilou qui s’est
tenu à Tiendanite, en 1915, où l’on a parlé de révolte, en faisant référence à une précédente réunion secrète ou des noeuds et des cordes avaient été distribuées. Un petit chef, Atéou Sergent, avait déjà organisé une réunion en 1913 à Pamalé, dans la réserve supprimée en 1904, ce qui avait donné lieu à des troubles entre Touho, Hienghène et Koné, suivis de représailles par l’armée. Depuis le décret du 20 novembre 1916 sur la reprise du recrutement volontaire des indigènes, les tribus n’ayant pas envoyé de tirailleurs sont sollicitées de manière pressante, à la fois par le chef des Affaires indigènes, Émile Fourcade sur la côte Ouest et par le Commandant Supérieur des Troupes de Pacifique, Émile Durand, sur la côte Est, chacun tentant de lever le plus possible de recrues. De nombreux signes précurseurs de mouvements de mécontentement dans la population kanak sont alors reconnaissables mais le gouverneur Repiquet les néglige.

 La révolte kanak de 1917 (ou « guerre kanak » de 1917)

Les causes de la révolte kanak de 1917 ont fait l’objet de nombreuses tentatives
d’explication mais on ne peut oublier que la colonisation et ses effets n’ont jamais été acceptés par certains clans. Ceux-ci, au moment du procès des inculpés parleront de « guerre kanak ». Des troubles débutent dès le 17 février, lorsque les catholiques de Koniambo, près de Koné, sont attaqués par des Kanak des tribus protestantes voisines de Tiamou, Panéqui, Pana et Pamalé. Le 5 avril, le petit chef de Koniambo, au retour d’une rencontre avec le gouverneur pi. Repiquet à Koné, trouve la porte de sa case défoncée et un paquet de guerre devant son seuil. Au soir, une rumeur agite le village de Koné au sujet de l’attaque probable du village par les Kanak. Le lendemain, alors que la plupart des villageois sont allés accompagner au wharf de Foué les soldats mobilisés en instance de départ pour la France, un petit groupe de
Kanak se présente au village. Ils sont revêtus de leurs attributs guerriers, comme lorsque les volontaires viennent s’engager lors des séances de recrutement. Ils obtempèrent à la demande du gendarme Faure de déposer leurs armes pour entrer dans le village, se rendent au magasin, paient leurs achats et repartent. Le Saint Antoine ayant été retardé, les Konéens rentrent au village. Le lendemain, le Bulletin du Commerce titre qu’une attaque de la gendarmerie et du village s’est produite à Koné. L’affolement gagne la population, les colons des stations isolées vont se réfugier à la gendarmerie.

[29SANC (service des archives de Nouvelle-Calédonie), 130W, Gendarmerie de Thio, Rapport du brigadier Faure.


titre documents joints

La Nouvelle-Calédonie durant la Première Guerre mondiale

19 juillet 2015
info document : PDF
591.5 kio

Conférence prononcée lors du stage effectué le jeudi 30 avril 2015 au Musée de la Ville de Nouméa


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