La Nouvelle-Calédonie durant la Première Guerre mondiale
- Introduction, p1
- La Nouvelle-Calédonie dans la guerre, p1
- La société calédonienne : une société de castes, p2
- Les transports maritimes et l’impact de la (…), p2
- L’intrusion de la guerre dans la vie de l’archipel, p2
- Les mesures financières et économiques, p2
- Les infrastructures sur la Grande Terre, p2
- La présence des Océaniens français dans la (…), p4
- Les soldats au départ pour la métropole, p4
- Le cas particulier des Tahitiens, p4
- Les soldats océaniens au front, p4
- L’appel de la France aux indigènes de ses (…), p5
- L’engagement des tirailleurs indigènes en (…), p5
- Le départ des contingents du bataillon des (…), p5
- Bilan, p5
- Compléments, p7
L’appel de la France aux indigènes de ses colonies océaniennes
Jusqu’en 1915, la France se désintéresse de « cette population en voie de
disparition. [21] » que sont les indigènes de Nouvelle-Calédonie et des ÉFO restés en dehors de la souveraineté reconnue à la monarchie tahitienne et qui ne sont pas soumis à la conscription (Iles-Sous-Le-Vent, Marquises, Gambier, Rurutu, Rimatara et Rapa). Les ÉFO comptent un peu plus de 26 000 indigènes français et 2 700 européens français. D’après le recensement de 1911, en Nouvelle-Calédonie, la population indigène kanak, composée de sujets de la République française, est d’environ environ 28 000 personnes dont 8 000 en âge de porter les armes. Le régime de l’Indigénat auquel ils sont soumis depuis 1887 [22] place les Kanak hors du droit commun et de la citoyenneté, ils ne sont pas mobilisables. Des travailleurs sous contrat, Javanais, Indochinois ou indigènes néo-hébridais se portent volontaires à la levée des tirailleurs.
Presque tous les soldats coloniaux indigènes sont appelés tirailleurs par le ministre de la Guerre. Le terme tirailleur, désignant à l’origine un combattant doté d’une certaine liberté de manoeuvre qui tire en dehors du rang. En 14-18, il s’applique indifféremment à des soldats indigènes servant comme fantassins, cavaliers, artilleurs mais également comme conducteurs, infirmiers, ouvriers des bataillons d’étape. Les créoles français d’Océanie les appellent familièrement : babaos, boys, canaques.
En 1923, le ministre des colonies Albert Sarraut affirme que "la France fit appel à ses
guerriers de la terre exotique accourus par centaines de milliers ". Dès le milieu de l’année 1915, les pertes importantes provoquées par les combats violents de la guerre des tranchées nécessitent le recrutement d’un grand nombre d’hommes supplémentaires. Le Parlement français vote une loi d’appel aux indigènes de ses colonies, y compris les plus lointaines, et malgré le peu d’hommes à recruter, comme en Océanie. Un bataillon indigène océanien est levé à titre d’essai au début de 1916.
Le décret relatif aux engagements volontaires des indigènes des colonies françaises
paraît le 9 octobre 1915 au Journal officiel de la République française. C’est la première fois, depuis le début de la guerre, que les indigènes de la Nouvelle-Calédonie et des Établissements Français d’Océanie sont cités dans un texte juridique en tant que combattants potentiels. En Nouvelle-Calédonie, le 29 décembre 1915, le gouverneur Repiquet arrête l’application du décret du 12 décembre 1915 qui reprend les termes du décret du 9 octobre 1915 sur l’engagement volontaire pour la durée de la guerre des indigènes sénégalais, dans le but de former un corps de troupe indigène.
Dans les ÉFO, le gouverneur Julien autorise officiellement les indigènes citoyens
français à s’engager par arrêté du 29 janvier 1916. Mais les indigènes des ÉFO restés en dehors de la souveraineté reconnue à la monarchie tahitienne ne sont acceptés qu’à titre d’engagés volontaires. 18 indigènes volontaires partent pour Nouméa le 21 janvier 1916. Néanmoins, le 25 septembre 1916, le gouverneur Julien reçoit l’ordre du ministre des colonies de cesser le recrutement dans les archipels éloignés.
L’engagement des tirailleurs indigènes en Nouvelle-Calédonie
Depuis le début de la guerre, les Kanak sont généralement peu concernés par la
mobilisation, à l’exception de quelques métis se croyant « indigènes » que les gendarmes vont chercher en tribu et d’un certain nombre de chefs comme Naisseline à Maré ou Amane, chef des Poyes en résidence à Ouvéa revendiquant le droit d’aller aider la France à vaincre ses ennemis.
Les décrets d’application sont publiés au Journal Officiel de la Nouvelle-Calédonie
entre le 6 et le 8 janvier 1916. Ils précisent les conditions de l’engagement. Dans les tribus, on assiste alors à des journées de recrutement au cours desquelles le chef administratif de la tribu désigne les volontaires. Les tirailleurs sont organisés par île ou groupe d’îles parlant la même langue. Les pasteurs ou les prêtres dans les missions, les colons parfois, peuvent avoir une grande influence sur le recrutement. Si aucun Kanak n’envisage la France comme sa patrie, beaucoup pensent qu’ils doivent défendre la Mère Patrie de ceux qui leur ont apporté l’Évangile. Tout comme les citoyens français d’Océanie sont destinés à devenir des soldats pour un front qui manque de plus en plus d’hommes, de leur côté, les indigènes océaniens vont progressivement être capables d’assumer des fonctions d’ordre subalterne, avant
d’accéder au statut de combattant. De plus, ceux qui ont été alphabétisés par les missionnaires sont reclassés sous-officiers à partir de 1917, au moment de partir sur le front.
Les compagnies ainsi formées sont donc constituées de petits noyaux de personnes
unies par des liens familiaux, claniques ou religieux, ce qui leur évitera la déstructuration identitaire qu’ont pu subir les créoles. L’État n’offre rien d’autre que le métier des armes aux engagés. Après guerre, ce sera source de bien des désillusions, car les tirailleurs ne se verront attribuer ni la citoyenneté française ni la restitution de leurs terres promises par les recruteurs.
Le recrutement des tirailleurs indigènes commence dès la parution de la circulaire
d’application gubernatoriale en date du 22 janvier 1916 : ils intègrent le bataillon des
tirailleurs des îles du Pacifique. En Nouvelle-Calédonie, l’objectif quantitatif fixé par le
gouverneur est d’un homme pour dix payant la capitation (un pour 8 citoyens français en métropole). Toutefois, après deux campagnes de recrutement, la levée des tirailleurs sur la Grande Terre est ressentie dans certaines tribus comme une nouvelle contrainte. Partie de Koné en avril 1917, la révolte indigène s’étend vers le nord-est. Exactions et assassinats de colons sont suivis d’une opération dite de maintien de l’ordre qui est de fait une répression militaire impitoyable. En juillet, le gouverneur Repiquet déclare la région front de guerre pour pouvoir mobiliser et conserver les permissionnaires au pays. Les Tahitiens font partie des compagnies de militaires qui poursuivent les insurgés, ainsi, le soldat tahitien Elizzera Mai tombe frappé d’une balle au coeur le 9 juillet 1917.
À la suite de trois campagnes de recrutement en 1916 et1917, 1 105 tirailleurs kanak
sont retenus parmi les engagés volontaires. Globalement 1/3 viennent de la Grande Terre, 1/3 des Loyauté, 1/3 s’est engagé à Nouméa. De racines souvent guerrières, les Kanak acquièrent rapidement les compétences militaires. Les Kanak ne sont pas les seuls engagés dans le bataillon du Pacifique. Des sujets d’autres colonies françaises travaillant en Calédonie signent aussi comme un Wallisien, 12 indigènes néo-hébridais, 18 Indochinois qui eux, sont versés ensuite dans le bataillon indochinois.
Le départ des contingents du bataillon des tirailleurs du Pacifique
Le 3 juin 1916, le Bataillon d’étapes des tirailleurs du Pacifique à deux compagnies
kanak et deux compagnies tahitiennes [23] est créé à Nouméa. Le 4 juin 1916, 958 hommes de troupe dont 134 Français et Créoles, 727 indigènes kanak et tahitiens et 53 Japonais embarquent sur le Gange. Les tirailleurs sont très encadrés : Nous faisions toujours la prière tous les soirs, et la Tempérance [24], écrit leur nata. Ce second contingent débarque à Marseille le 11 août 1916. Surnommé bataillon canaque ou bataillon de la roussette, le BTP deviendra le bataillon mixte du Pacifique (BMP) après adjonction d’une compagnie d’artillerie en 1917.
En dépit de nombreuses difficultés, le 3 décembre 1916, un troisième contingent de
912 soldats mobilisés, calédoniens et tahitiens et 60 tirailleurs kanak et 46 Japonais part sur le Gange. Après 71 jours de voyage, le soldat Mayet écrit : C’est avec une ineffable joie que nous contemplons la France, terre de nos aïeux pour laquelle nous avons répondu présent ! [25] Débarqués à Marseille, les tirailleurs sont dirigés sur la Côte d’Azur ; les Niaoulis, s’ils n’encadrent pas les tirailleurs du BMP, spahis ou tirailleurs sénégalais, incorporent des régiments coloniaux.
Enfin, le 10 novembre 1917, un dernier détachement de 756 (ou 773) soldats dont 396
mobilisés calédoniens et tahitiens, 357 tirailleurs et cent Japonais embarque sur l’El Kantara. Le journal L’Écho de la France catholique écrit : Les soldats qui forment le 4e contingent calédonien, Niaoulis, Tirailleurs indigènes, Tahitiens etc.…, ont quitté la caserne Gally-Passebosc, précédés des clairons sonnant allègrement. Ils s’embarquèrent ensuite, non sans émotion, mais confiants et courageux. Que Dieu les garde et soit avec eux ! [26] Mais il n’évoque pas les cris des soldats en partance contre les embusqués restant au pays.
Ces deux derniers contingents sont des renforts du bataillon mixte du Pacifique. En
métropole en 1916, le bataillon est d’abord un bataillon d’étape dans lequel les Océaniens sont dockers sur le port de Marseille, ouvriers et cantonniers en différents endroits de la Côte d’Azur entre Marseille et Fréjus. Le mot canaque désigne alors tous les soldats indigènes océaniens. Un inspecteur écrit : La commission militaire du Port est particulièrement satisfaite des services rendus par les Canaques employés au chargement des approvisionnements destinés à l’Armée d’Orient. L’impression produite par le bataillon des tirailleurs du Pacifique est excellente en tous points. Les Canaques se montrent particulièrement soumis. La tenue et l’attitude en ville sont très bonnes. Peu de cas d’ivresse. Relations avec la population civile bonnes. Dans ce cas, le mot Canaques désigne aussi bien les indigènes de Nouvelle-Calédonie que ceux des ÉFO.
Puis, en avril 1917, le bataillon devient bataillon de marche, c’est-à-dire propre à
combattre sous le nom de bataillon mixte du Pacifique (BMP). Les créoles calédoniens, néohébridais et Tahitiens sont alors incorporés dans le BMP. De juin à octobre 1917, leur première campagne les conduit de l’Oise à l’arrière du Chemin des Dames. Ils réparent et construisent des tranchées, installent des liaisons téléphoniques, nettoient les champs de bataille. Au sein du BMP, l’entente entre Océaniens n’est pas toujours parfaite comme le révèle la lettre censurée du sergent tahitien Tabanou en août 1917 : Dimanche dernier, le pinard avait commencé à faire son effet, il y a eu querelle entre les Calédoniens de tribu à tribu, mais nos loustiques de Fei au lieu de rester tranquille ont pris fait et cause pour une tribu. Aussitôt une bataille rangée a eu lieu, bouteilles, pierres, lattes de barrière, tout était bon. Résultat plusieurs têtes fendues chez nous, yeux au beurre noir mais le plus regrettable
un tout jeune de Hapape a été trouvé sur le bord d’un petit étang avec la gorge ouverte et 14 autres blessures.
Après l’hivernage dans le sud de la France, de juillet à octobre 1918, le BMP repart en
Champagne et participe aux combats de l’Oise et surtout de l’Aisne. Les tirailleurs et les créoles océaniens sont dispersés dans des régiments de la 72e division d’infanterie. Ils combattent en particulier au Bois Roger, à Craonne et sur le plateau de Pasly au nord ouest de Soissons. Durant la bataille de Vesles-et-Caumont sur la ligne Hunding, dernière des défenses allemandes, deux semaines avant l’armistice, 24 Kanak, 10 Tahitiens, 4 Niaoulis, encadrant les compagnies canaques et tahitiennes sont tués à l’ennemi à Vesles-et-Caumont.
Le Journal des Marches et Opérations du 164e RI révèle : Dans la nuit du 24 au 25
octobre 1918, le lieutenant-colonel Leyraud commande le bataillon mixte du Pacifique
(commandant Gondy) et le 164e RI dans la Plaine de Marois et à Vesles et Caumont. À 5h 50, tout le dispositif se met en branle, et malgré la résistance acharnée de l’ennemi, Vesles-et-Caumont, Petit-Caumont, et la ferme Caumont, tombent en notre possession. À 9 heures, le bataillon mixte, dans une brillante charge à la baïonnette, refoule le boche. Dans l’aprèsmidi, notre effort continue, et vers 15 heures, le bataillon mixte du Pacifique, dans un élan admirable, enlève la cote 79. À 17 heures, l’ennemi déclenche sur nos positions une contreattaque violente, menée par de forts effectifs et appuyée par de nombreuses mitrailleuses. Sans fléchir sous l’effort ennemi nous résistons à la poussée de l’adversaire, puis, reprenant l’offensive, nous les chassons et améliorons nos gains.
Ainsi, le régiment, selon son habitude, a atteint et au delà, tous les objectifs qui lui ont été assignés : il capture une soixantaine de prisonniers du 119e régiment d’infanterie (régiment de la reine Olga), plus une quinzaine de mitrailleuses et une quantité d’armes de tous genres. Le 164e se trouve largement en flèche, orienté vers Cuirieux. L’unité de droite n’a pu sortir de Pierrepont, et l’unité de gauche n’a pu dépasser la Souche et le Canal que de 200 à 300 mètres.
Les grenadiers belges diront à propos des éléments océaniens du 418e RI : « Quels sont donc ces soldats ? nous n’avons jamais rien vu de si admirable ! »
Bilan
193 mobilisés calédoniens et néo-hébridais meurent au champ d’honneur (19 % des
mobilisés). Le bilan s’alourdit avec les 383 tirailleurs morts pour la France (35,24 % des 1134 engagés volontaires ; 20 % sur le champ de bataille, 75 % sur la Côte d’Azur). Les Nouvelles-Hébrides déplorent 4 mobilisés ou volontaires citoyens français (nés aux Nouvelles-Hébrides) et 5 indigènes ou métis non citoyens morts pour la France. Les Tahitiens (nés dans les ÉFO en général) dénombrent globalement entre 202 et 300 morts pour la France.
Les noms des soldats sacrifiés figurent sur les Monuments aux morts de Nouméa,
Port-Vila, Papeete et de bien des villages d’Océanie française. Nous n’avons aujourd’hui que peu de traces écrites de la vie de beaucoup de ces hommes pendant ces trois ou quatre années de guerre. Le livre de Félix Vautrin, Les 6 frères
Vautrin reste un témoignage irremplaçable. Pourtant, les combattants calédoniens ont sans doute été fort remarqués, puisque, lorsque le ministre de la Guerre commande en 1920, à un artiste peintre, le portrait d’un combattant du bataillon mixte du Pacifique, c’est le tirailleur maréen Ingha, un magnifique métis indigène, qui est choisi pour représenter le BMP dans le Livre d’Or de la Grande Guerre [27]. Par ailleurs, les soldats calédoniens, kanak et tahitiens ont été considérés comme de « bons et beaux soldats, sur le champ de bataille, ils firent honneur à nos îles du Pacifique et à la France. [28] »
[21] Exposition coloniale internationale de Paris, 1931, Les Armées Françaises d’Outre-mer, Les petits contingents indigènes, Paris, Imprimerie nationale, p.243-244.
[22] Prorogé tous les 10 ans jusqu’en 1946.
[23] Ferdinand Goyetche, Le journal d’un combattant calédonien, in Bulletin de la Société d’Études Historiques de Nouvelle-Calédonie, n°31, 1977.
[24] La tempérance est le serment de l’individu promettant de ne pas boire d’alcool, avec l’aide du nata (catéchiste), dans la prière, cité par R.H. Leenhardt, Acôma NEHRON, DEFAP, p.56.
[25] Coll. Musée de la Ville de Nouméa, Henri Mayet (parti comme volontaire avec le grade de caporal), Récits de la guerre 1914-18, manuscrit.
[26] L’Écho de la France Catholique, 17/11/1917.
[27] Historial de la Grande Guerre, Péronne (Somme), le Livre d’Or de la Grande Guerre. La loi du 25 octobre 1919 a ordonné le dépôt au Panthéon du registre contenant les noms des militaires morts pour la France pendant la Guerre 1914-1918. Cette loi a également prévu la remise à chaque commune d’un « Livre d’Or » de ces militaires qui sont nés dans cette commune ou qui y résidaient à la mobilisation. Seront inscrits au Livre d’Or, les combattants décédés entre le 2 août 1914 et le 24 octobre 1919.
[28] Service historique de la Défense (SHD), n° 4579 du 3 juin 1991, Exposition Coloniale Internationale de Paris 1931, L’Armée de Terre Les Armées françaises d’Outre-Mer. Les troupes coloniales pendant la Grande Guerre, Paris, Imprimerie Nationale, 1931, 238 pages.
titre documents joints
La Nouvelle-Calédonie durant la Première Guerre mondiale
Conférence prononcée lors du stage effectué le jeudi 30 avril 2015 au Musée de la Ville de Nouméa
Sylvette BOUBIN-BOYER
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