La Nouvelle-Calédonie durant la Première Guerre mondiale
- Introduction, p1
- La Nouvelle-Calédonie dans la guerre, p1
- La société calédonienne : une société de castes, p2
- Les transports maritimes et l’impact de la (…), p2
- L’intrusion de la guerre dans la vie de l’archipel, p2
- Les mesures financières et économiques, p2
- Les infrastructures sur la Grande Terre, p2
- La présence des Océaniens français dans la (…), p4
- Les soldats au départ pour la métropole, p4
- Le cas particulier des Tahitiens, p4
- Les soldats océaniens au front, p4
- L’appel de la France aux indigènes de ses (…), p5
- L’engagement des tirailleurs indigènes en (…), p5
- Le départ des contingents du bataillon des (…), p5
- Bilan, p5
- Compléments, p7
La société calédonienne : une société de castes
La Nouvelle-Calédonie, colonie française depuis soixante ans à la veille du premier
conflit mondial, n’a pas de catégorie « métis » dans les recensements de population,
contrairement aux autres colonies françaises. La société calédonienne est encore une société de classes (de castes ?). Pourtant, les critères de recensement du Conseil Supérieur des Colonies prévoient trois catégories, européens et assimilés, métis, indigènes. Le recensement calédonien distingue la population par origine de provenance alors qu’entre individus, un antagonisme réel se fait sentir. D’une part, entre « blancs », les colons Feillet vont souffrir d’être des métropolitains, arrivés de trop fraîche date pour être entendus ou même élus au Conseil général ; les Européens d’origine libre vont se méfier des descendants des chapeaux de paille ; les libérés, souvent âgés sont connus pour être ivrognes et indigents. D’autre part,
la main d’oeuvre immigrée a la réputation d’être « joueuse et sournoise » comme les
Indochinois, ou bien « docile et travailleuse » à l’image des Javanais. Les clivages et la ségrégation sont nombreux et les mésententes fréquentes, le racisme et l’ostracisme souvent présents, reconnaissables à la lecture des journaux ou des débats au Conseil général. Quant au Kanak avec le souvenir des révoltes, jamais très éloignées dans le temps, l’imaginaire collectif européen en fait un sauvage, cannibale, menteur, alcoolique et inapte à la plupart des travaux, mais surtout imperméable à la civilisation (gouverneur Repiquet/inspecteur Bougourd-1918). Certains indigènes, christianisés le plus souvent, ont opté pour la reconnaissance de la prise de possession par la France et sont alors dits « alliés à la France ». Beaucoup portent néanmoins un regard résigné ou révolté sur la civilisation européenne qui les envahit. Pour le colonisateur, les indigènes représentent donc le plus souvent une menace
et sont économiquement improductifs. Les plus nombreux, ils sont cependant la base de cette société dont l’étage suivant serait les travailleurs immigrés, indigènes eux-aussi, puis les bagnards, ensuite les étrangers, puis les Français de métropole (colons, militaires ou fonctionnaires) et au sommet de la pyramide, les Français nés en Nouvelle-Calédonie de parents colons libres, devenus des édiles, ayant réussi à la fois dans la mine, l’agriculture et le commerce. La fonction publique représente pour tous le summum de la réussite sociale.
En 1914, 15 % de la population totale vit à Nouméa. En Brousse, Mélanésiens et
Européens rescapés de la colonisation Feillet ou d’autres tentatives de la colonisation agricole, civile ou pénale, sont en grande majorité pauvres et parfois isolés au fond de vallées accessibles seulement à cheval. Les villages de l’intérieur, à part Bourail, gros centre de colonisation agricole, rassemblent quelques rares habitants autour d’un store, de la mairie, de la gendarmerie, parfois d’une école publique [8] et d’une église. La mission, catholique ou protestante, est toujours sur les terres tribales, excentrée par rapport au village. L’état sanitaire de la colonie est assez sombre, mais il fait ressortir les mesures prises en faveur des populations autochtones. De 1914 au début de 1915, une épidémie de peste s’est déclarée dans des tribus du nord de la colonie, de Bondé à la Foa. Les mesures draconiennes, précisément énumérées par le gouverneur, vont limiter à 70 les décès des Kanak durant l’année 1914. Nouméa reste indemne grâce à l’efficacité du service de prophylaxie et de dératisation mis en place au début du siècle. La lèpre, autre fléau endémique, poursuit ses ravages dans la colonie. L’isolement des malades est immédiat, soit à l’île aux Chèvres près de Nouméa pour les Européens, soit dans les léproseries partielles proches des tribus pour les indigènes (environ 750 malades). Deux manuels d’hygiène, l’un à l’usage des tribus, l’autre à celui des futurs moniteurs de l’école de Montravel et des écoles indigènes sont diffusés. Durant la guerre, on note une augmentation de la population kanake [9]. Ce bilan positif du gouverneur Repiquet aura une influence certaine lors de la prise de décision de lever des troupes indigènes.
Les transports maritimes et l’impact de la guerre en Nouvelle-Calédonie
En 1914, la Nouvelle-Calédonie commence tout juste à se remettre de la crise
économique du début du siècle. Le commerce général, pour les trois premiers trimestres de 1914, est en augmentation de 3,8 % par rapport à la période correspondante de 1913. Les instructions en cas de guerre prévoient qu’en cas de conflit, les navires des Messageries Maritimes seront réquisitionnés par la marine de guerre. La ligne Marseille - Sydney - Nouméa, qui assurait douze rotations par an, est donc interrompue en septembre 1914. Mais le gouverneur Repiquet obtient de l’amiral Huguet le maintien du navire annexe des Messageries maritimes, le Pacifique, qui reste donc affecté aux liaisons Australie - Nouvelles- Hébrides - Nouvelle-Calédonie. Le vapeur Saint-Louis, de l’Union Commerciale et de Navigation Calédonienne continue ses rotations bimensuelles sur Sydney.
Depuis l’Australie, les navires anglais assurent la liaison avec la France, via Glasgow.
Malgré ces arrangements, l’isolement de la colonie est grand, surtout dans les premiers mois du conflit en raison de la présence réelle ou supposée, des croiseurs allemands dans le Pacifique et l’Océan Indien. Or, la Nouvelle-Calédonie connaissait avant guerre une augmentation régulière de son trafic maritime depuis la reprise du nickel en 1910. Les navires des compagnies commerciales restreignent leurs relations, mais les sociétés minières permettent d’utiliser le complément de fret de leurs navires pour les besoins de la colonie, à l’importation et à l’exportation, sans permettre toutefois le retour aux chiffres de 1914. Le tonnage des marchandises débarquées et embarquées des navires diffère selon l’origine des sources (Douanes ou travaux Publics), mais on constate une chute de plus de la moitié entre 1914 et 1915, un léger redressement entre 1915 et 1916, puis un fléchissement en 1917, et selon les sources, soit une stagnation de 1917 à 1918, soit un nouveau fléchissement.
Les navires des Messageries Maritimes ayant assuré la liaison Marseille - Nouméa
pendant la durée de la guerre sont au nombre de 2 en 1915, 3 en 1916, un seul en 1917 et en 1918, dont les navires affrétés pour le rapatriement des contingents sur la métropole. Les difficultés causées par la cessation des relations maritimes régulières sont avérées, sachant qu’en 1914, un seul navire est arrivé à Nouméa après la déclaration de guerre et qu’en 1917, le Gange fut torpillé en Méditerranée en avril, le bateau suivant n’arrivant qu’en décembre. Néanmoins, dès l’année 1915, des navires français accostent régulièrement à Sydney et le transbordement de marchandises à l’importation ou à l’exportation peut avoir lieu, en même temps que les transports de passagers ou de soldats vers ou de la colonie par les vapeurs Pacifique ou St Louis.
L’intrusion de la guerre dans la vie de l’archipel
En 1914, la Nouvelle-Calédonie, comme toutes les colonies, subit le contrecoup de la
guerre européenne. Son éloignement de la métropole est à la fois un atout et un handicap. Ses liens avec les pays proches, comme l’Australie s’en trouvent renforcés. Son développement industriel, agricole et commercial est rapidement affecté en raison de la guerre sous-marine. À mesure que la guerre se prolonge, l’éloignement de la métropole lui fait préférer des centres d’approvisionnement plus proches. La baisse des exportations de nickel n’est pas encore sensible en 1914. Dès l’ouverture des hostilités, le gouverneur, en vertu des « Instructions en cas de guerre » et des pouvoirs qui lui sont conférés ainsi que l’administration locale
s’emploient à modérer les effets de l’état de guerre sur la vie économique. Jules Repiquet peut ainsi montrer sa satisfaction : En résumé, la situation générale aurait été excellente si nous n’avions pas eu à souffrir, dans le deuxième semestre, de la crise de l’état de guerre. On peut dire, sans optimisme, que, malgré tout, elle a été aussi bonne que possible [10].
Les mesures financières et économiques
Dès le début de la guerre, le gouverneur Repiquet applique les mesures recommandées dans toutes les colonies par le Ministre des Colonies dans les domaines économique, social et financier. Les plus importantes, outre la réquisition des navires, touchent la fixation des prix, la suppression des droits à l’entrée et la sortie sur les denrées d’alimentation de première nécessité et l’accaparement des denrées. Les échéances bancaires sont prorogées, les retraits d’espèces dans les banques ou établissements de crédits sont limités. Les sociétés régies par les lois françaises ont la faculté de suspendre le remboursement de leurs obligations, les
communes, l’État, les établissements publics également. Mais la banque de l’Indochine assure le nombre de numéraires en circulation qui atteint, au 31 août 1918, six fois la valeur de la réserve métallique.
Cette inflation est amplifiée par la part plus grande des marchandises étrangères sur le marché calédonien et la hausse des prix des produits importés de France. Le gouverneur crée les premiers Magasins Généraux, ce qui permettra au service des Douanes, qui en est le gestionnaire, de warranter les marchandises d’exportation pour la durée de la guerre et par conséquent de permettre aux entreprises minières en particulier de payer les salaires de leurs employés en hypothéquant les stocks.
Cependant la mesure la plus grave va être le décret du 5 octobre 1914 interdisant
l’exportation du nickel et du chrome, « métaux stratégiques », mesure destinée à éviter le ravitaillement des puissances ennemies. L’examen des ports de destination des minéraliers avant guerre est éloquent, une grande partie du minerai partait à destination de la société Krupp à Hambourg. Cette interdiction, atténuée en décembre 1915, est abrogée le 14 janvier 1918 en direction des pays alliés. La réglementation du fret, instituée en septembre 1917, va toucher également tous les autres produits. Les dérogations accordées à la Nouvelle-Calédonie sont de plus en plus nombreuses avec la prolongation de la guerre, devenant urgentes en raison des liens accentués et nécessaires avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande et le Japon.
Le commerce a souffert au début de la guerre de l’optimisme de ses dirigeants croyant en une guerre courte. Les stocks sont écoulés sans restriction début 1915, les approvisionnements, commandés en métropole, n’arrivent qu’en 1916. Les commerçants se tournent donc vers les pays voisins, Australie et Nouvelle-Zélande qui s’approvisionnent en Grande-Bretagne. Le gouverneur, dès décembre 1914, obtient le transport en droiture [11] des marchandises de Nouvelle-Calédonie en France par l’Australie et les lignes maritimes britanniques ou inversement, ce qui permet à ces marchandises de ne pas être taxées à l’arrivée en métropole ou à Nouméa. Mais cette mesure est peu utilisée en raison du manque de place dans les moyens maritimes entre l’Australie et l’Europe, eux aussi réquisitionnés. Toutefois, le coût moyen des marchandises dites de première nécessité augmente de 54% entre 1914 et 1916. Malgré les contraintes, la commission chargée d’évaluer les bénéfices de
guerre des sociétés produits dès la fin de la guerre, des rapports positifs pour deux types d’entreprises : les sociétés minières dans leur ensemble et les entreprises de conserves de viande de boeuf.
La participation économique de la Nouvelle-Calédonie à la guerre est donc très
confidentielle. En effet, elle exporte principalement vers l’Europe du minerai et des mattes de nickel, de la nacre, des cultures tropicales d’exportation (café, coton, coprah...), des conserves de viande. Très vite, les difficultés de transport maritime vont affaiblir les exportations vers les marchés européens. Mais les États-Unis continuent durant quelques mois à bénéficier des exportations de la Société des Hauts-Fourneaux vers sa filiale du New-Brunswick. Le Japon, de 1916 à 1918, se tourne vers la Nouvelle-Calédonie pour s’approvisionner en nickel et autres métaux stratégiques, ainsi que l’Italie en 1917, de façon très marginale. En 1916, la
Nouvelle-Zélande achète du phosphate en provenance des îles Surprises.
En 1916, une commission d’experts métropolitains se rend en mission dans la colonie
afin de voir de quelle manière celle-ci pourrait contribuer à l’effort de guerre. Ses études se portent vers les minerais autres que le nickel et surtout vers les fournitures de peaux brutes et de conserves de viande pour l’armée. La fourniture de café et de coton est également envisagée. Mais aucune suite n’est donnée en raison de l’éloignement de la colonie et surtout du manque de navires. La colonie continue de fournir les pays proches (Nouvelles-Hébrides, Australie, Nouvelle-Zélande) en café, coton et conserves de viande, mais n’est plus en mesure de les fournir en produits venant de métropole.
Le bilan économique de la colonie est décelable dans chaque discours d’ouverture de
la session budgétaire annuelle prononcé par le gouverneur suivi des débats du Conseil
général : la Nouvelle-Calédonie est quasi abandonnée à elle-même car trop lointaine et doit rechercher un nouvel équilibre économique et budgétaire. Dès le début de la guerre, l’interdiction d’exporter les minerais vers l’Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas a fait chuter de moitié les exportations de nickel, mais elle a conduit la Nouvelle-Calédonie à rechercher de nouveaux marchés et à resserrer ses liens avec l’Australie pour ses importations. Si elle a souffert dans ses relations avec la métropole, la colonie a dû surmonter par elle-même ses difficultés, elle apparaîtra d’ailleurs à certains comme un nouvel eldorado dans les années vingt avec l’arrivée des colons du Nord de la France. Mais déjà l’agriculture n’est plus vraiment rentable et l’avenir de la mine est incertain car le Canada se pose désormais en rival.
Les infrastructures sur la Grande Terre
En 1914, la colonie poursuivait laborieusement le développement de ses
infrastructures. L’ouverture de la section Dumbéa-Païta de la voie de chemin de fer, la mise en place de la première étape d’une usine électrométallurgiste à Yaté, le dragage du port de Nouméa, l’aménagement d’un dépôt de matières inflammables, l’ajout d’un nouveau pavillon à l’infirmerie de l’Orphelinat, laissent envisager un avenir meilleur. Le réseau télégraphique a subi une réfection complète sur 160 kilomètres entre Nouméa et le nord de la côte Ouest et le téléphone s’étend désormais sur toute la périphérie de la Grande-Terre. La guerre touche précocement la Nouvelle-Calédonie 17 août 1914, lorsque le câble sous-marin reliant Téoudié à Bundaberg sur la côte orientale de l’Australie est rompu. Les communications ne sont rétablies normalement que le 4 décembre.
Toutefois, au début de la guerre, Nouméa est le centre des opérations interalliées
franco-britanniques. La présence, début août, en rade de Nouméa des flottes angloaustralienne et néo-zélandaise offre l’occasion aux autorités calédoniennes de découvrir la radiotélégraphie. En effet le vice-amiral Patey, commandant en chef les forces du Commonwealth a ordonné l’installation sur la colline du Sémaphore des appareils de TSF appartenant à l’amirauté australienne en vue des opérations conjointes dans le Pacifique. Quelques semaines plus tard, le 7 septembre, l’Amiral Huguet, commandant du navire-amiral de la flotte française d’Extrême-Orient, le Montcalm donne l’autorisation d’ouvrir la radio à la correspondance privée. La continuité des relations extraterritoriales de la Nouvelle-Calédonie est donc maintenue durant toute la guerre dans des conditions de rapidité jamais égalées avec le câble. La déclaration de guerre permet donc à la Nouvelle-Calédonie d’entrer beaucoup
plus rapidement que prévu dans le cercle des communications transocéaniques modernes.
[8] L’école devient obligatoire pour tous les enfants européens domiciliés à moins de 3 km du village en 1919.
[9] En augmentation de 686 individus depuis le recensement officiel de 1911.
[10] ANOM, Affaires Politiques - carton 163, Analyse du rapport annuel des services administratifs pour l’année 1914 du gouverneur par intérim Jules Repiquet au ministre des colonies (service de l’Amérique et de l’Océanie, 2e section), en date du 30 octobre 1915.
[11] Dès décembre 1914, les marchandises entre la Nouvelle-Calédonie et les Nouvelles-Hébrides et la France sont transportées via l’Australie puis les lignes maritimes britanniques ou inversement, ce qui leur permet de ne pas être taxées à l’arrivée en métropole ou à Nouméa.
titre documents joints
La Nouvelle-Calédonie durant la Première Guerre mondiale
Conférence prononcée lors du stage effectué le jeudi 30 avril 2015 au Musée de la Ville de Nouméa
Sylvette BOUBIN-BOYER
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