HG/NC Le site académique d'histoire-géographie de Nouvelle-Calédonie

La Nouvelle-Calédonie dans la Première Guerre mondiale

samedi 17 juillet 2010

Synthèse

Sur les fronts, comment les soldats néo-calédoniens et les tirailleurs kanak ont-ils « tenu » ? En nouvelle-Calédonie, quelle transformations démographiques, sociales, économiques, la première Guerre mondiale induit-elle ?
Début août, la flotte alliée anglo-australienne et néo-zélandaise est en rade de Nouméa en compagnie du navire amiral de la flotte française d’Extrême-Orient. Elles partent pour une campagne de conquête des colonies allemandes du Pacifique, associées jusqu’au bombardement de Papeete le 22 septembre 1914.
En Nouvelle-Calédonie, lointain « arrière » de la Grande Guerre, la mobilisation est décrétée le 5 aout 1914 suscitant maintes déclarations patriotiques. Au cours des années de guerre, le patriotisme n’est plus guère qu’institutionnel.
Lors de la mobilisation générale, des étudiants et des Calédoniens présents en métropole ont rejoint les centres de recrutement pour être incorporés sur place. Dès septembre 1914, l’armée rapatrie 117 gendarmes et militaires en poste en Nouvelle-Calédonie. Les ressortissants allemands et autrichiens sont expulsés et leurs biens mis sous séquestre, d’autres étrangers sont naturalisés puis mobilisés (Belges, Italiens), quelques-uns s’engagent dans la Légion Etrangère, des libérés sont réhabilités pour pouvoir s’engager. Nouméa devient centre de recrutement pour tout le Pacifique. La colonie participe à la Grande guerre par l’envoi de renforts et la formation d’un corps indigène (deux départs) : le bataillon mixte du Pacifique, dont le recrutement sur la Grande Terre favorise le déclenchement de la révolte de 1917, sans en être toutefois la seule cause. Le bataillon d’infanterie coloniale de la Nouvelle-Calédonie envoie deux contingents de Calédoniens et de Tahitiens mobilisés en renforts de régiments coloniaux sur le front, dans la Somme, l’Artois, dans l’est et sur le front d’Orient. Les contingents embarquent sur le Sontay le 23 avril 1915, le 4 juin et le 3 décembre 1916 sur le Gange, puis le 10 novembre 1917 sur l’El Kantara.
En tout 948 citoyens français quittent la colonie et sont affectés dans les régiments d’infanterie ou d’artillerie coloniale, les bataillons de tirailleurs sénégalais ou de spahis nord-africains. Quelques ouvriers des mines et de la métallurgie sont recrutés dans les usines d’armement. 193 Calédoniens meurent au champ d’honneur (19 % des mobilisés). 978 indigènes (Kanak, Wallisien, Néo-Hébridais, Indochiinois) sur 1137 engagés volontaires partent pour la France dans le bataillon des tirailleurs du Pacifique. Le bilan s’alourdit avec les 382 tirailleurs morts pour la France (35 % des 1 134 engagés). Calédoniens et kanks sont réunis pour la première fois au sein du bataillon mixte du Pacifique de juillet à novembre 1918 Ils participent aux combats sur la ligne Hindenbourg près de Soissons et à Vesles-et-Caumont (Aisne). La plupart des anciens combattants devront attendre mai et novembre 1919 pour regagner le pays, marqués par les épreuves de la guerre.
Dans la colonie, le gouverneur par interim Jules Repiquet assume les pleins pouvoirs, conformément aux dispositions prévues en cas de guerre, datant de 1912, ce qui occasionne de nombreux conflits avec les militaires tout au long du conflit mondial. La défense de la colonie et une milice locale sont mises en place. Le Conseil général et les commissions municipales voient leurs attributions réduites.
L’éloignement de la métropole est préjudiciable à bien des égards : les communications maritimes avec l’Europe sont rendues difficiles en raison de la militarisation des navires, arrêt des exportations des produits agricoles vers le débouché métropolitain, difficulté d’obtenir des informations fiables, etc... Pendant quelques mois, les exportations de nickel à destination des Etats-Unis chutent de moitié, de même pour le Japon entre 1914 et 1919. Néanmoins, certaines sociétés (SLN, Maison Ballande, Maison Hagen…) seront assujetties aux impôts sur les bénéfices de guerre.
En brousse et dans les tribus la misère est grande. Le chômage touche tous les travailleurs et particulièrement les Asiatiques immigrés sous contrat qui ne peuvent rejoindre leur pays faute de navires. Les rumeurs alimentent les peurs, une épidémie de peste apparaît, la lèpre augmente, trop d’hommes européens ou kanaks sont partis, les centres de brousse se dépeuplent. Des comités ou des associations d’aide se mettent en place pour secourir les familles des soldats.

Commentaire

Document 1 : un groupe de « Niaoulis » (1915)

Le statut des habitants détermine leur engagement : les citoyens français, surnommés « Niaoulis » sont mobilisés dès l’annonce de la guerre, le 5 août 1914. En métropole, ils sont incorporés au sein des régiments coloniaux. Des étrangers, Japonais et heimatlosen allemands, etc. s’engagent dans la Légion étrangère, d’autres dans les ANZAC.
Majoritairement désignés pour des régiments d’infanterie coloniaux, il n’est pas possible de suivre individuellement la destinée des soldats des colonies françaises d’Océanie tant leurs lieux d’affectation ont été divers. Les calédoniens ont été dispersés dans 37 régiments coloniaux différents. Le plus grand nombre a été expédié sur les fronts du nord et de l’est de la France où ils ont participé aux coups de mains dans l’Oise, puis aux batailles de la Somme, en particulier à Barleux où 51 d’entre eux tombent au Champ d’Honneur. Le Chemin des Dames, Verdun et enfin Vesles-et-Caumont ont vu des Calédoniens de toutes origines participer aux batailles contre les Allemands. Mais environ 250 d’entre eux ont demandé à servir sur le front d’Orient. Après avoir débarqué dans l’île de Lemnos, ils rejoignent Mytilène puis Salonique où ils luttent contre les Turcs. Ils participent ensuite aux batailles contre les Bulgares dans la vallée de la Strouma et dans le secteur de Douaran. Une longue marche les conduit vers le nord dans les boucles de la rivière Cerna pour atteindre Kénali et Monastir. Ils poursuivent ensuite sur l‘Albanie à travers cette région des Balkans dans des conditions de vie qui n’ont rien à envier à leurs compatriotes sur le front français. Une trentaine de soldats calédoniens meurent dans les affrontements ou des fièvres. Ils n’ont qu’une seule permission en 1917, à l’issue de laquelle 258 d’entre eux ne regagneront pas la métropole.

Document 2 : le premier recrutement du Bataillon du Pacifique (juin 1916)

Les sujets kanaks et autres indigènes répondent à la levée des tirailleurs (tous dénommés « tirailleurs canaques »), par engagement volontaire, à partir du début de l’année 1916. Ils sont incorporés au sein du Bataillon des tirailleurs du Pacifique, partis en trois contingents. Les deux compagnies canaques sont encadrées par des sous-officiers calédoniens. Les deux autres compagnies sont composées de Tahitiens.
Tout comme les Calédoniens ont été mobilisés pour la durée de la guerre, dans les mêmes conditions que les citoyens français de métropole et des autres colonies, l’idée de faire appel aux indigènes des colonies se généralise dès le 22 décembre 1915. En Nouvelle-Calédonie, le gouverneur reprend les termes du décret du 9 octobre 1915 sur l’engagement volontaire pour la durée de la guerre des indigènes Sénégalais, dans le but de former un corps de troupe indigène. Il en arrête l’application le 29 décembre. Ce décret est complété par un arrêté du 6 janvier 1916, où il est précisé qu’ils toucheront : une prime d’engagement de 200 francs payable à l’arrivée au corps (art.2), une indemnité(sera versée) aux familles nécessiteuses dans la limite de 15 francs par mois et de 120 francs aux familles de tirailleurs (veuves ou orphelins), une solde journalière et d’autres prestations. Le 7 janvier 1916, un arrêté réglementant le recrutement des indigènes spécifie que les tirailleurs sont organisés par île ou groupe d’îles en autant de compagnies formant corps que les ressources du recrutement le permettent. Les tirailleurs sont encadrés par des Niaoulis parlant les langues des Kanaks ou des Tahitiens.
Le gouverneur donne les directives du recrutement au maire de Nouméa, aux présidents des commissions municipales, aux autres responsables de l’administration comme le chef des Affaires indigènes et au commandant supérieur des troupes, ainsi qu’aux syndics des Affaires indigènes, directement impliqués dans le recrutement. Les volontaires indigènes doivent avoir au moins 18 ans. Le futur tirailleur doit également présenter un certificat d’aptitude au service militaire et un certificat de bonne vie et moeurs. Une fois son contrat signé, il attend d’être appelé pour rejoindre Nouméa. Ces mesures sont publiées au JONC et sont donc officielles. Le premier recrutement va se faire sans trop de difficultés devant les promesses, souvent orales, de médailles, de suppression de l’impôt de capitation, d’emplois réservés après la guerre, d’octroi de la citoyenneté française. Si l’on peut parler parfois de recrutement forcé (ce sont les chefs qui souvent désignent les volontaires, et les chefs subissent parfois des contraintes morales fortes) on ne peut nier le réel sentiment de patriotisme ressenti par les indigènes évangélisés.
Le bataillon des Tirailleurs du Pacifique est envoyé en France comme bataillon d’étape. Les cadres européens vont être utilisés pour renforcer l’encadrement des bataillons de tirailleurs sénégalais ou de zouaves. Le Bataillon canaque, du surnom qui lui est donné à son arrivée, est installé au camp de Boulouris, près de Fréjus. Il est employé sur le port de Marseille au chargement et déchargement des navires à destination de l’armée d’Orient. Les conditions de vie sont précaires et de nombreux tirailleurs tombent malades ; la mortalité est importante.
En avril 1917, le bataillon devient bataillon de marche. Il sera renforcé par le contingent parti en décembre 1917 de Nouméa. En août 1917, le bataillon est envoyé en renfort de la IVe Armée sur le front de Champagne où il est utilisé à des travaux divers : construction de tranchées, réparation de lignes télégraphiques, travaux de renforcement routiers... C’est là que sont enregistrés les premiers tués au front, des tirailleurs tahitiens. En octobre, pour l’hivernage et après une épidémie meurtrière de rougeole, le bataillon est renvoyé à l’arrière, jusqu’au printemps suivant, au camp des Darboussières près de Fréjus.
En juillet 1918, le BMP est renvoyé au front comme unité combattante en renfort de la Xe Armée, à la deuxième bataille de la Marne, puis à la bataille de la Serre lors de laquelle il se distingue, le 25 octobre, par la prise du village de Vesles-et-Caumont et de la ferme du Petit-Caumont. Cet exploit lui vaudra une citation à l’ordre de la Xe Armée, remise par le Général Mangin, le 10 décembre 1918. Le BMP rejoint le camp de Valescure-Golfe, le 19 novembre 1918. Il est dissous le 10 mai 1919, lors de l’embarquement pour Nouméa de la plupart des Poilus calédoniens et tahitiens, qui ont été affectés progressivement au BMP.

Document 3 : lettre de Louis Gondelon à sa mère (dernière lettre avant sa mort au Champ d’honneur)

De nombreuses lettres ou cartes postales sont conservées dans les familles. La mémoire est encore vive et les témoignages faciles à recueillir. Le musée de la Ville de Nouméa conserve un grand nombre de ces lettres. Un ouvrage propose un choix de lettres des six frères Vautrin partis à la guerre, trois d’entre eux ont été tués au combat. Les lettres ont parfois censurées par l’auteur du livre. Une étude thématique peut être facilement menée.
L’étude des monuments aux morts de la colonie, des communes ou des tribus permet de faire prendre conscience aux élèves de la saignée d’une génération de Calédoniens et de Kanak qui auraient été les forces vives de l’après-guerre. On peut remarquer que, si les plaques dans les églises et les temples ainsi que sur les monuments de l’intérieur portent le nom de tous les combattants kanak et calédoniens mêlés, il a fallu attendre 2001 pour que le « monument aux morts de la Nouvelle-Calédonie et des Nouvelles-Hébrides », place Bir Hakeim à Nouméa soit complété par deux stèles sur lesquelles figurent nommément les tirailleurs kanak morts pour la France (sous le nom porté sur leur acte d’engagement).
Plus qu’en métropole, l’enjeu identitaire de ces études est important.

Document 4 : l’évolution des prix de la vie quotidienne en Nouvelle-Calédonie au début et à la fin de la guerre

La participation économique de la Nouvelle-Calédonie à la guerre va se faire de façon très confidentielle. En effet, elle exporte principalement vers l’Europe du minerai et des mattes de nickel, de la nacre, des cultures tropicales d’exportation (café, coton, coprah...), des conserves de viande. Très vite, les difficultés de transport maritime vont affaiblir les exportations vers les marchés européens. Mais les États-Unis vont continuer un temps à bénéficier des exportations de la Société des Hauts-Fourneaux vers sa filiale de New-Brunswick. Le 5 octobre 1914, l’exportation des minerais stratégiques (nickel et chrome) est interdite vers les puissances ennemies, neutres ou occupées. Atténuée dès décembre 1915, la mesure sera abrogée en janvier 1918. Une mesure de protection, contrôlant les nationaux et les ressortissants des puissances ennemies et obligeant une prédominance française dans les conseils d’administration des sociétés minières étrangères est introduite par décrets en 1916, évitant ainsi que les pays en guerre contre la France puissent s’approvisionner indirectement dans ses colonies. Une seconde mesure de contrôle intervient par décret du 28 juillet 1918, créant les autorisations personnelles minières. Durant la guerre, comme les autres exploitants miniers, Ballande est contraint de réduire ses exportations et achemine uniquement des mattes en Europe. Son usine de Belgique occupée par les Allemands, celles-ci sont affinées dans l’usine de la SLN à Septème près de Marseille. De 1917 à 1919, sept fours Bessemer sont montés à Doniambo (Nouméa) afin de produire des mattes plus riches en nickel (76%). Toutefois, en 1918, la plus importante exploitation de nickel, la mine du Plateau à Thio, ferme : la production canadienne suffit désormais à satisfaire les besoins pour les usines d’armement. Le Japon, de 1916 à 1918, se tourne vers la Nouvelle-Calédonie pour s’approvisionner en nickel et autres métaux stratégiques, ainsi que l’Italie en 1917, de façon très marginale. La fonderie de cuivre de la pointe Dilah, ouverte en 1908 dans le nord, cesse ses activités dès 1914.

Tonnages de minerai de nickel exporté de Nouvelle-Calédonie pendant la Première Guerre Mondiale
Chambre de Commerce de la Nouvelle-Calédonie

En 1916, la Nouvelle-Zélande va acheter du phosphate en provenance des îles Surprises. Par ailleurs, le charbon fait à nouveau l’objet de recherches, tout comme le pétrole : cinq sondages sont réalisés durant la guerre par les Australiens dans la région de Koumac qui ne relèvent que des traces d’huile. En 1916, une commission d’experts métropolitains se rend en mission dans la colonie afin de voir de quelle manière celle-ci pourrait contribuer à l’effort de guerre. Ses études se portent vers les minerais autres que le nickel et surtout vers les fournitures de peaux brutes et de conserves de viandes pour l’armée. La fourniture de café et de coton est également envisagée. Mais aucune suite n’est donnée en raison de l’éloignement de la colonie et surtout du manque de navires. La colonie continue de fournir les pays proches (Nouvelles-Hébrides, Australie, Nouvelle-Zélande), en café, coton et conserves de viande, mais n’est plus alors en mesure de les alimenter en produits venant de métropole. A la fin de la guerre, d’août à octobre 1918, une mission japonaise explore les riches gisements de fer du sud de la Grande Terre.

Document 5 : la situation en Nouvelle-Calédonie à la fin de la guerre Document 6. Les résistances : révoltes et mesures d’évitement des soldats Document 7 : les causes de la révolte kanak de 1917 Document 8 : témoignage d’un notable de Hienghène, descendant des chefs révoltés en 1917 Docuemnt 9 : la répresssion

Les troubles qui vont apparaître à partir de la mi-avril 1917 sont tout d’abord considérés comme des « troubles à l’ordre public ». Puis ils sont réprimés par des « colonnes de pacification » avant que le Nord de la Grande-Terre soit décrété « front de guerre » par le gouverneur Repiquet.
Ces événements débutent le 17 février, lorsque des Kanaks catholiques de Koniambo, près de Koné, un des centres de colonisation les plus importants de la côte Ouest, sont attaqués par ceux des tribus protestantes voisines de Tiamou, Panéqui, Pana et Pamalé. Le 5 avril, le petit chef de Koniambo, au retour d’une rencontre avec le gouverneur pi. à Koné, trouve la porte de sa case défoncée et un paquet de guerre devant son seuil. Le soir, une rumeur agite le village de Koné au sujet d’une attaque probable du village par les Kanaks. Le lendemain, alors que la plupart des villageois sont allés accompagner les soldats du contingent au wharf de Foué, des Kanaks se présentent au village vêtus en guerriers, le gendarme Faure leur demande de déposer leurs armes pour entrer dans le village, ce qu’ils font. Ils se rendent au magasin, paient leurs achats et repartent. Le SAINT ANTOINE retardé, les Konéens rentrent au village. Le lendemain, le Bulletin du Commerce titre qu’une attaque s’est produite à Koné. L’affolement gagne la population, les colons des stations isolées vont se réfugier à la gendarmerie de Koné. Le gouverneur, responsable de l’ordre public, met alors en vigueur le décret sur la censure en temps de guerre et engage les actions de répression. Quelques jours plus tard, Emile Fourcade, chef du service des Affaires indigènes, convoque à la gendarmerie de Koné, Poindet Apengou, un Kanak influent, réputé contestataire de la région, qui, après avoir été arrêté, réussi à s’échapper. En fuite, il va entraîner dans la rébellion nombre de mécontents. En le recherchant, les marins du Kersaint et les gendarmes se rendent à Tiamou, site de l’ancienne tribu du petit chef Noël, visiter les cases pour voir s’il n’y avait rien à piller.
Quelques jours plus tard, à la tête d’un détachement de tirailleurs tahitiens, Fourcade tient alors à rencontrer les rebelles. Noël observe la troupe depuis une crête et dépêche une estafette auprès du chef du service des Affaires indigènes qui fait procéder à l’arrestation des parlementaires. Au retour vers Koné, un coup de feu blesse un soldat à l’arrière de la troupe, les tirailleurs ripostent. Le 3 mai, la propriété Azémat à Poindio est pillée, le colon essuie un coup de feu. Deux colonnes prennent la région en tenaille. Le lendemain, la tribu de Panéqui est incendiée. Une méprise, due à la configuration du terrain, fait que les deux parties de la colonne tirent l’une sur l’autre. Pendant plusieurs semaines, actions de guérilla et répression systématique se poursuivent en s’étendant progressivement aux vallées en direction du nord et de l’est. Le 4 mai, des munitions, un fusil, quatre chevaux sont dérobés à la station Chautard, à Pombeï.
Puis, les premiers assassinats de colons sont à déplorer. Le 18 mai, la station Bardet, à Forêt Plate est pillée. Le domestique, un libéré est assassiné, au procès on apprendra que son coeur a été dévoré. Le 22 mai, les Bousquet père et fils, colons d’origine pénale, et leur domestique sont assassinés à la Haute Pouembout, leur coeur arraché pour être remis au devin Paétou. La panique gagne les Européens de la région. Des lettres et des pétitions sont envoyées aux journaux et au gouverneur. Le chef d’exploitation de la mine du Kopéto alerte sa direction de la Société le Nickel à Nouméa, qui fait pression sur le gouverneur. Les conseillers généraux, les présidents des commissions municipales, usent de leur influence pour alerter les autorités. Des employés kanaks de la mine du Kopéto sont reçus à coups de fusil alors qu’ils allaient toucher leur paie. Le 23 mai, Poindet Apengou et Maurice Paétou dirigent 80 hommes de Netchaot sur le campement minier. L’attaque échoue mais on compte deux morts de chaque côté. Fin mai plusieurs stations de la chaîne sont pillées et incendiées. En raison de la censure, Nouméa et la brousse ne sont informés que par les rumeurs et les communiqués officiels de l’administration.
Support de vengeances personnelles ou d’antagonismes anciens, la violence va croissant. Henri Grassin, tenancier d’un « store » à Oué Hava, petit centre de colonisation agricole de la côte Est dans la vallée de la Tipinjé près de Hiengène, comme beaucoup de colons isolés, a contribué quelques mois plus tôt à l’arrestation de Tiéou, un Kanak recherché pour différents délits. Celui-ci, arrivé librement pour des emplettes, est arrêté par les gendarmes en sortant du magasin. Le 16 juin, à Oué Hava, Henri Grassin, sa femme Clémence, leur domestique javanais, Sastiviredjo et leur voisin Ludovic Papin sont massacrés par les hommes de Noël, Kaveat et une quarantaine de guerriers de Pamalé, de Ouenkout et d’Atéou. Le cadavre d’Henri Grassin a été éviscéré, celui de son épouse, outragé, n’est retrouvé que trois semaines plus tard. Informations fausses et rumeurs ont couru durant ce temps. L’indignation des Européens est d’autant plus grande qu’il s’agit de « colons Feillet ». Le gouverneur Repiquet donne l’ordre au commandant de l’aviso LE KERSAINT d’aller contribuer à rechercher les assassins et les insurgés. Par ailleurs, les colons se sont organisés pour se protéger, malgré la présence d’un détachement de tirailleurs loyaltiens et tahitiens. Le gouverneur va demander au ministre des Colonies, et obtenir, que 258 permissionnaires des fronts d’Europe ne rejoignent pas la métropole et soient réincorporés sur place. En effet, dès le mois de mai, le gouverneur pi. avait déclaré abusivement, la région Nord front de guerre et « mobilisé sur place » les mobilisés en attente de départ, les sursitaires et les permissionnaires. Des supplétifs kanaks de Houaïlou, de Ponérihouen, de Lifou ou de Bourail, comme lors de la répression de la révolte en 1878, vont servir d’auxiliaires à l’armée française. Des expéditions de « pacification » se mettent en place. Le père Rouel, curé de Hienghène, mobilisé, y participe. Ses jugements sont sévères quant aux actions de représailles et à l’attitude tant des Européens que des Kanaks, tirailleurs ou rebelles. Le 5 juillet, la station Laborderie, dans la vallée de la Tipinjé en aval de Oué Hava, est attaquée, mais les marins du KERSAINT repoussent l’assaut. Pour la première fois, un fusil mitrailleur est utilisé contre une tribu, celle de Ouenkout ; le bilan est difficile à établir. Le lendemain, deux marins sont tués dans une embuscade. Le corps de l’un d’entre eux est retrouvé dépecé, objet de pratiques rituelles d’anthropophagie.
De juillet à septembre, des actions de guérilla ont encore lieu contre des postes militaires et des stations d’élevage ; le câble téléphonique entre Tiouandé et Touho est sectionné. Mais les représailles de l’armée sont de plus en plus rigoureuses et les insurgés de moins en moins nombreux. Des primes importantes sont offertes pour la capture des rebelles et de leurs chefs. En conséquence, l’aman des rebelles intervient, influencé par les prêtres des missions maristes, le pasteur Leenhardt et ses natas (« Nata » est le nom donné aux missionnaires protestants autochtones issus de l’église méthodiste britannique. Tous les natas ne sont pas pasteurs, faute d’avoir suivi la formation nécessaire. Ils sont alors diacres, évangélistes, catéchistes. En nengoné, la langue de Maré (îles Loyauté), « nata » signifie : celui qui raconte, celui qui transmet la parole de l’Évangile, l’évangéliste) ainsi que par certains colons. L’aman est un terme d’origine musulmane, utilisé par les troupes coloniales pour signifier la reddition des insurgés, après des négociations entre émissaires des rebelles et responsables du maintien de l’ordre, eux-mêmes toujours appuyés par un chef kanak allié. Le froid de l’hiver et la pluie, la faim, viendront à bout de la résistance des hommes et des femmes pourchassés dans les montagnes depuis de longs mois. En janvier 1918, le chef Noël est abattu près de la tribu de Koniambo par un libéré chez qui il venait se ravitailler. Les principaux responsables, dont Poindet Apengou ou le devin Maurice Paétou, se sont rendus, d’autres ont été tués comme Kaveat. L’armistice du 11 novembre 1918 permettra aux permissionnaires de rester au pays définitivement. Mais comme aux temps anciens, des prisonnières sont remises aux chefs vainqueurs, des Kanaks déportés loin de leurs terres. Toutefois, pour la première fois dans l’histoire de la colonisation, des indigènes sont jugés individuellement, pour des fautes commises et reconnues. Aucune tribu n’est jugée responsable collectivement. Mais le traumatisme est important, tant du côté des Blancs que du côté des indigènes.

La mémoire et ses enjeux (document complémentaire)

Photo S. Boyer, Koné le 24 septembre 2009

Actuellement, la « guerre » de 1917, selon l’expression utilisée par les nationalistes kanak, est l’un des enjeux politiques de la revendication identitaire kanak. Mais c’est aussi un des enjeux du « destin commun » : une stèle aux morts kanak de la révolte de 1917 a été inaugurée le 24 septembre 2009 à l’emplacement de la tribu de Tiamou

Biographies

Jules Repiquet (1874-1960)

Il est nommé gouverneur par intérim le 27 juillet 1914 donnant une stabilité institutionnelle à la Nouvelle-Calédonie durant la guerre. Il assure la défense de la colonie, la mobilisation des citoyens français du Pacifique puis l’enrôlement des tirailleurs. En 1917, il va réprimer la révolte indigène. En outre, Repiquet assume la gestion financière de la colonie. Sa politique de grands travaux résorbe le chômage et rassure les colons. Son mandat s’achève en 1923.

Le petit chef Noël Nea Ma Pwatiba de Tiamou

Fils d’insurgés de la Haute Poya en 1878 est un des responsables de la révolte de 1917 au centre de la Grande Terre. En contact avec les missionnaires avant la révolte, il a eu des contacts avec les concessionnaires Presi et Mohamed bien avant que ce dernier ne l’assassine en janvier 1918. En outre, il est en conflit avec le colon Gros entre 1909 et 1910, ce dernier ayant empiété sur les terres de Tiamou.

Mots clés

Heimatlosen

Les Heimatlosen sont des Allemands résidant en Nouvelle-Calédonie depuis des décennies, qui ont négligé de demander la nationalité française car ils se croyaient sous la loi allemande du 1er juin 1870 qui prévoit divers cas de perte de nationalité allemande dont le séjour prolongé sans interruption dans un pays étranger. Leurs enfants sont aussi des heimatlosen.

Régiments d’infanterie et d’artillerie coloniale

Descendant des compagnies combattant sur les navires de la Marine Royale, des unités militaires (« infanterie de marine », « artillerie de marine ») ont été spécialisées dans les conquêtes coloniales, puis chargées du maintien de l’ordre dans les colonies. A leur arrivée en métropole, les soldats calédoniens sont presque tous versés dans des régiments coloniaux.

Levée des tirailleurs

Enrôlement, dans des bataillons spéciaux de l’infanterie, des soldats autochtones dans une colonie, encadrés par des soldats français.

Soldats et auxiliaires kanak

Les auxiliaires (ou supplétifs) kanak sont des combattants volontaires recrutés pour des opérations militaires ponctuelles dans la colonie. Ils ne font pas partie de l’armée régulière.

Syndic des Affaires indigènes

Interface entre la tribu et l’administration coloniale, un gendarme, parfois un colon est chargé de faire respecter les dispositions du régime de l’Indigénat.

Bibliographie

Manuels

La Nouvelle-Calédonie,Histoire CM, collectif d’auteurs, CTRDP-NC / HACHETTE, Nouméa, 1992, pp.68-73.

La Nouvelle-Calédonie et la Première Guerre mondiale, Les révoltes indigènes (« La révolte de 1917 ») collectif d’auteurs, Manuel de cycle 3 (2008)

Bulletin de l’APHGNC (CTRDP/CDP Nouméa)

Boubin-Boyer Sylvette : N°9 (décembre 1996) : La Nouvelle-Calédonie pendant la Première Guerre mondiale, pp. 2-20 ; n°19 (juin 2003) : Les monuments aux morts de la Grande Guerre en Nouvelle-Calédonie, pp. 101-105 : n°21 (avril 2005) ; La lèpre en Nouvelle-Calédonie : un élément d’explication à la révolte kanak de 1917 ? (p.118-125).

Divers ouvrages ou revues

  • Boubin-Boyer Sylvette :
  • Les Kanak et la Grande Guerre, 1914-1918, le Bataillon des Tirailleurs du Pacifique, in MWA VEE, n°11, décembre 1995, ADCK, Nouméa, pp.10-22.
  • Bruits de fonds d’ici…La Nouvelle-Calédonie en 1914, les effets du début de la Guerre dans la plus lointaine des colonies françaises, in ULTRAMARINES, n°14, juin 1997, IHCC-AMAROM, Aix-en-Provence, pp.35-36.
  • Armée, Bataillon du Pacifique (partie 14-18), Épidémies, Première Guerre mondiale, Municipalités, in 101 Mots pour comprendre l’histoire de la Nouvelle-Calédonie, ouvrage collectif coordonné par Frédéric ANGLEVIEL, Publication du G.R.H.O.C., éditions Île de Lumière, Nouméa, 1997.
  • Femmes calédoniennes pendant la Première Guerre mondiale, in Regards de Femmes, catalogue de l’exposition au Musée de la Ville, Nouméa 1998, pp.82-89.
  • Français d’Océanie, Combattants de la Grande Guerre, in Bulletin Scientifique de la Société d’Études Historiques de Nouvelle-Calédonie (SEHNC), 3e trim.1999, n°120, Graphoprint, Nouméa, pp81-87.
  • Les soldats indigènes morts pour la France durant la grande Guerre (et J.M. Lambert), in Bulletin scientifique de la SEHNC, 4e trim. 1999, n°121, Graphoprint, Nouméa, pp. 37-52.
  • La mine pendant la Grande-Guerre, in 101 mots pour comprendre la mine en Nouvelle-Calédonie, ouvrage collectif coordonné par Yann Bencivengo, Nouméa, 1999.
    8
  • 1914 – 1918 Mémoires Océaniennes de la Grande Guerre Chronique calédonienne, Musée de la Ville de Nouméa, catalogue de l’exposition permanente, Nouméa, 1999.
  • De la Première Guerre mondiale en Océanie Les guerres de tous les Calédoniens 1914-1919, Thèse à la carte, Editions Septentrion, 2001, 2 tomes, 877 p.
  • D’une guerre à l’autre, in 150 ans de mémoire partagée, Musée de la Ville de Nouméa, catalogue de l’exposition, à/c septembre 2003,
  • Des Kanak sur le Chemin des Dames, in ouvrage collectif : Le Chemin des Dames, Nicolas Offenstadt, Paris I-Sorbonne, éditions Stock, 2004.
  • Bourail terre de poilus et de volontaires in Bourail Il était une fois… Histoire singulière, Histoires plurielles, éditions Thierry Darras, 2004, pp.70-98.
  • Le sort des « sujets ennemis » durant la Grande Guerre, in Déportations, Musée de la Ville, catalogue de l’exposition a/c mars 2005.
  • Un autre front : celui des révoltes indigènes en Nouvelle-Calédonie, in La Grande Guerre Pratiques et expériences, actes du colloque de novembre 2004 à Craonne-Soissons, sous la direction de Rémy Cazals, Emmanuelle Picard et Denis Rolland, éditions Privat, septembre 2005, pp.107-116.
  • Les déportations politiques et les expulsions en temps de guerre en Nouvelle-Calédonie in Île d’exil, terre d’asile, Musée de la Ville, catalogue de l’exposition mars 2006.
  • La Grande Guerre de 1914-1918 Quatre contingents au départ de Nouméa, in Correspondances océaniennes Les départs, mai 2006, vol n°1, pp.9-11.
  • CDROM Images de la Nouvelle-Calédonie, dir. B. Capecchi (CDP Nouméa, 2007).
  • Présence française et kanak à Vladivostok durant la Grande Guerre (août - novembre 1918), in La Nouvelle-Calédonie Les Kanaks et l’histoire, Annales d’histoire calédonienne vol. 2, sous la dir. D’Eddy Wadrawane et de Frédéric Angleviel, Les Indes savantes, Paris, 2008, pp.325-339.
  • Révoltes, conflits et guerres mondiales en Nouvelle-Calédonie et dans sa région, l’Harmattan, 2008, 2 tomes
  • Mwà Véé, La révolte kanak de 1917, octobre-novembre-décembre n°62, 2008,
  • Éric Beauducel Première et Seconde Guerre mondiale : Le bataillon des guitaristes, film-documentaire (ARTE-FR3, 2004).

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Fiche 8 PP. 33-35 histoire première

7 août 2010
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La Nouvelle-Calédonie dans la Première Guerre mondiale


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