HG/NC Le site académique d'histoire-géographie de Nouvelle-Calédonie

Quel rôle a joué la colonisation pénale en Nouvelle-Calédonie au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle ?

samedi 20 novembre 2010

Première partie : questions

1- Quel type de régime a instauré la peine aux travaux forcés en France ? Pour répondre à quels objectifs ? (DOC1)

L’Empire de Louis Napoléon Bonaparte, instaure, en 1854, cette loi, sur l’exécution de la peine aux travaux forcés. Louis Napoléon, a toujours défendu un programme politique basé sur l’ordre ; Il ferme les bagnes en France métropolitaine, jugés trop dispendieux et débarrasse la patrie de ses criminels. Il cherche aussi à relancer la colonisation française, les condamnés sont au service de la mise en valeur économique des colonies.

2- Comment la loi de 1854 définit-elle la colonisation pénale, (doc1) ?

Dans l’expression, la colonisation pénale, deux termes sont associés, la peine et la colonisation. La loi insiste, à l’article 2, sur son caractère expiatoire de la peine : « Les condamnés seront employés aux travaux les plus pénibles de la colonisation […] ». Cette peine, se double, à l’article 6, du bannissement. Les condamnés à plus de 8 ans de travaux forcés, ne peuvent plus quitter la colonie, c’est l’exil à vie. Cette disposition concerne la majorité des « transportés » en Nouvelle-Calédonie, dans la mesure où on y envoie tous les hommes les plus chargés en années de peine, les autres sont dirigés vers la Guyane. La loi de 1854 consacre les articles 11, 12 et 13 à la colonisation. Les forçats sont au service de la colonie, ils constituent une force de travail, au service des administrations locales ou des particuliers. Les forçats rentrent aussi dans un programme de peuplement fondé sur le développement agricole. C’est la vocation de la concession de terrain provisoire qui est accordée sous certaines conditions.

3- Montrez qu’à la fin du XIXe siècle, le nouveau régime prolonge et renforce cette politique (doc.3a et doc.5)

La IIIe République poursuit ici l’héritage impérial. Elle étend et renforce la colonisation, elle est nommée d’ailleurs, « la République coloniale ». La dépêche ministérielle de janvier 1883, confirme ce trait dominant. Elle insiste sur la « nécessité de hâter la mise en concession les transportés » et rappelle que ces autorisations sont censées « activer la colonisation pénale ».
Le document 5, quant à lui, illustre un « contrat de chair humaine » ; ici la IIIe République pousse la loi de 1854 jusqu’à ces extrêmes limites, en transformant ces forçats en quasi esclaves au service d’une grande société capitaliste.

4- Comment les forçats contribuent-ils au développement et à la mise en valeur de la colonie (docs 2,3,4,5) ?

Les forçats sont utilisés aux travaux d’utilité publique : ils construisent les premières routes carrossables (doc 4). Le gouverneur Pallu de la Barrière a défini, au début des années 1880, un vaste programme d’équipement, mais la route qui devait faire le tour de la Grande-Terre s’arrête à Bouraïl. Ils ont construit toutes les grandes infrastructures et bâtiments publics dans le chef-lieu de la colonie : les routes, les quais, l’adduction d’eau, les casernes, les bâtiments publics, religieux et administratifs. Les forçats les plus cultivés travaillent dans les services de l’administration ou chez des particuliers qui n’hésitent pas à leur confier leurs enfants, ils sont alors surnommés les « garçons de famille ». D’autres trouvent à s’employer sur les exploitations agricoles des colons. Les moins chanceux sont cédés aux grandes sociétés minières pour travailler sur les exploitations de nickel.

5- Montrez que cette politique coloniale s’éloigne des idéaux de la France républicaine (tous les documents)

La IIIe République est fondée sur les principes démocratiques, de liberté et de progrès. Pourtant elle poursuit la politique de transportation, qui apparaît alors d’un autre âge, abandonnée d’ailleurs par d’autres puissances démocratiques, comme le Royaume-Uni. Les « contrats de chair humaine », initiés et cautionnés par l’administration locale, mettent aussi la République face à ses contradictions, et renvoie la France aux pires heures de l’esclavagisme. La multiplication des mises en concession, provoque la réduction considérable de l’espace foncier kanak qui s’accompagne d’un contrôle étroit de la population autochtone. A cet effet, le régime de l’indigénat s’étend à la Nouvelle-Calédonie, en 1887.

Deuxième partie : réponse organisée

Quand le Gouvernement français prend possession de la Nouvelle-Calédonie, le 24 septembre 1853, la France est alors à la recherche d’une deuxième terre de transportation, en plus de la Guyane, retenue à cet effet dès 1851. Les premiers forçats arrivent en Nouvelle-Calédonie le 9 mai 1864. L’archipel accueille, par la suite, 74 autres convois jusqu’en 1897, soit plus de 22000 hommes et femmes condamnés aux travaux forcés. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, ils sont plus nombreux que les colons libres. Comment se décline leur rôle dans le peuplement et la mise en valeur agricole et industrielle de la Nouvelle-Calédonie ?

La loi du 30 mai 1854, sur l’exécution de la peine aux travaux forcés, fixe le cadre générale et les principes fondateurs de la colonisation pénale. D’autres règlements et décisions ministérielles précisent par la suite les modalités d’application de ce dispositif législatif (organisation disciplinaire, emploi de la main-d’œuvre, et mise en concession.). A la suite du Royaume-Uni, la France recourt, à son tour, à la colonisation pénale. La notion associe deux idées : punir et coloniser. Laquelle des deux prime ? Dans les discours, les gouverneurs en place (Guillain ou Pallu de la Barrière), font de la mise en concession et de la réhabilitation du condamné, une de leur priorité. Ils relaient ainsi la volonté des Gouvernements, la dépêche ministérielle du 24 janvier 1883 (doc 3a) est explicite à ce sujet. Mais il y a les discours, et la réalité du terrain. Les historiens s’accordent à dire que ceux qui exécutent les règlements ou les arrêtés, privilégient la peine. Elle s’applique sur les condamnés avec force et brutalité. Sur les chantiers, dans les pénitenciers, et encore plus, dans les camps disciplinaires (doc 2), la torture est pratique courante. La nourriture est insuffisante et souvent avariée. La promiscuité, dans les dortoirs de l’île Nou, met les plus faibles en danger constant. Les forçats ne sont qu’une minorité à bénéficier des dispositions de l’article 11 de la loi du 30 mai 1854 (doc 1), à savoir, de recevoir à titre provisoire, une concession de terrain ou de travailler pour leur compte, chez les habitants de la colonie ou pour l’administration.

Et pourtant, comparativement à la colonisation libre encore plus réduite, le programme de colonisation pénale est parvenu à fonder, dans l’archipel, le premier colonat français au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle. Les modalités sont les suivantes.
Les condamnés parvenus à la première classe (il y en a 5), peuvent faire la demande d’une concession de terrain. Ce sont des parcelles de 4 à 6 hectares, délimitées dans les centres créés à cet effet, il s’agit de Bouraïl, ouvert en 1867, la Foa en 1870, le Diahot, en 1880 et Pouembout en 1883 (doc 2). Le forçat reçoit soit un lot rural (doc3b), soit un lot urbain. La vocation principale de ces exploitations est la subsistance, l’administration se libérant ainsi de la charge de le loger et de le nourrir. Ainsi la brousse se peuple d’artisans dans les villages tandis que les concessionnaires ruraux développent la petite polyculture basée sur quelques produits de base : les haricots, le maïs (reconnaissables sur la photo du doc 3b), produits vendus à l’administration pénitentiaire pour ses besoins (les haricots constituent la nourriture de base des forçats), les légumes du potager et le petit élevage sont utilisés par les ménages. Les concessionnaires se lancent les premiers dans l’exploitation du café, le manque de débouché de permet pas de développer cette culture.
Ces centres deviennent progressivement des bases de peuplement. L’administration encourage les concessionnaires à se marier dans la colonie ou à faire venir leur famille depuis la métropole. Les chiffres sont modestes, en 1883, les concessionnaires et leur famille représentent 1288 personnes, mais plus de la moitié sont des enfants. Pourtant aucun autre programme de colonisation, à l’époque, n’est parvenu à installer durablement, en brousse, autant d’Européens.
Parallèlement à l’objectif qui consiste à peupler l’archipel, la transportation des condamnés aux travaux forcés en Nouvelle-Calédonie a une autre vocation : celle de servir de main-d’œuvre. Elle fait cruellement défaut au développement des infrastructures publiques, à celui de l’agriculture et de l’activité minière.
Si pendant les premières années du bagne jusqu’en 1879, les condamnés sont surtout utilisés à construire tous les bâtiments destinés à accueillir la transportation à l’île Nou, ils contribuent par la suite, de manière conséquente, à la mise en œuvre du plan d’urbanisme établi par le service civil des Ponts et Chaussées, doté alors de moyens ridiculement modestes.
En dehors de Nouméa, ce sont les travaux de routes (doc4) qui occupent la main-d’œuvre pénale. En pleine brousse, des camps itinérants sont dressés, la surveillance n’est pas facile, les auxiliaires kanak, visibles ici sur la photo, sont de grande utilité pour retrouver, dans la brousse calédonienne, les condamnés en fuite.

Dans les années 1880, sous la pression des hommes d’affaires locaux, relayés par le Parti colonial en métropole, l’administration permet aux grands entrepreneurs locaux de bénéficier de forçats à des conditions scandaleuses...
Ainsi, légalement, ils finissent par disposer de centaines de condamnés, pendant des dizaines d’années, qu’ils échangent avec l’Etat contre des domaines fonciers ou encore des usines. Les industriels finissent même par se racheter les contrats. Parmi eux on compte La SLN, Higginson, Cardozo, et même une société étrangère, australienne. Sur le plateau de Thio, la SLN emploie certaines années jusqu’à 2000 condamnés pour une redevance ridicule de 22 sous par jour et par homme (le doc 5 illustre cette pratique).
A partir de 1890, les voix s’élèvent pour dénoncer ces pratiques en montrant qu’elles ne servent pas l’intérêt général comme le veut la loi de 1854 mais l’intérêt privé de quelques entreprises capitalistes, qui elles mêmes avouent pouvoir ainsi baisser le coût de revient du nickel extrait et ainsi pouvoir relever la concurrence des entreprises au Canada.
Le décret du 13 décembre 1894 supprime les contrats de main-d’œuvre aux particuliers.

Jusqu’à la fin du XIXe, la vocation essentielle de la Nouvelle-Calédonie est d’être une colonie pénitentiaire, au même titre que l’Australie aux premières heures de la colonisation britannique. Le rôle des forçats est essentiel dans le peuplement de l’archipel, ils constituent ici, le premier colonat européen. Au-delà de leur participation essentielle à l’édification du chef lieu, ils ont aussi servi, avec le cautionnement de l’administration, les intérêts du grand capitalisme colonial, et en particulier ceux des sociétés minières.
Pendant des décennies seule était valorisée par l’Histoire, l’action des grands hommes, les découvreurs, les gouverneurs. Cette étude de documents, qui met au centre de l’histoire des hommes et des femmes méprisés et bannis, prouve qu’aujourd’hui, l’analyse historique se rapproche davantage des réalités humaines et rend ainsi mieux compte de la complexité de la colonisation dans cette terre du Pacifique.


titre documents joints

Quel rôle a joué la colonisation pénale en Nouvelle-Calédonie au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle ?

18 novembre 2010
info document : PDF
55 ko

Fiche 6 PP. 28-29 histoire première. Corrigé de l’étude de documents.


Contact | Statistiques du site | Espace privé | | Visiteurs : 1448 / 1260525 Suivre la vie du site fr  Suivre la vie du site Enseigner  Suivre la vie du site Manuel du professeur de lycée général  Suivre la vie du site Histoire Première   ?