Le partage colonial dans le Pacifique
Synthèse
Le XIXe siècle est le grand siècle de la colonisation. Les puissances européennes, les États-Unis et le Japon, convaincus de leur supériorité économique, militaire et culturelle, se lancent à la conquête de terres nouvelles dans le but affiché d’étendre LA « civilisation ». Longtemps considérées comme peu intéressantes parce que difficilement accessibles, peu étendues et plutôt pauvres en ressources, les îles océaniennes ne sont touchées par le phénomène colonial que plus tardivement et plus modérément, par rapport aux continents africain et asiatique.
Fin XIXe siècle pourtant, l’Océanie apparaît comme entièrement colonisée. Comment et selon quelles modalités en est-on arrivé là ?
Un contexte favorable : après les guerres napoléoniennes, les pays européens connaissent une nouvelle phase d’expansion pour compenser soit la perte de colonies comme les colonies d’Amérique du Nord pour le Royaume-Uni soit pour assurer la reconquête d’une position mondiale comme la France. Au milieu du XIXe siècle, l’Angleterre domine le Pacifique grâce à sa puissante flotte, ses missionnaires et négociants. La France doit trouver ses propres points d’appui ce qui aboutit à différentes annexions à partir de 1840. Progressivement d’autres puissances vont regarder vers le Pacifique comme les Etats Unis après la guerre de Sécession et les Etats allemands après leur unité en 1870.
Ces puissances vont se partager le Pacifique entrainant différents scénarios de colonisation : la force, le refus vis-à-vis des populations autochtones, l’entente entre puissances ou le conflit.
Quatre périodes et types de scénarios : - la période des colonisations forcées et « sauvages » sur des terres considérées comme majeures comme la Nouvelle Calédonie mais aussi la Nouvelle Zélande. - la période des réticences à s’encombrer de colonies « inutiles » dans un contexte où la concurrence coloniale n’est pas de mise. Les îles Fidji demandent de passer sous drapeau anglais plusieurs fois avant que cela ne soit accepté. - la période du marché colonial (à partir des années 1880) où les puissances se partagent les terres par exemple Tahiti, les Nouvelles Hébrides, Samoa. - la période des mandats au XXe siècle après la Première Guerre mondiale où les puissances vainqueurs de la guerre se partagent le Pacifique à savoir les Etats Unis, le Japon, la France, la Grande Bretagne mais aussi l’Australie et la Nouvelle Zélande. Les crispations sont désormais entre de nouvelles puissances.
Le Pacifique est ainsi le dernier espace qui est colonisé et partagé par les puissances industrialisées à la fin du XIXe et du début du XXe siècle.
Commentaire
Documents 1 : chronologie du partage colonial Document 2 : les partages coloniaux dans le Pacifique en 1898
Le Pacifique est un espace très éloigné des métropoles et difficilement colonisable car les distances sont importantes. Il y a beaucoup d’îles qui sont plus ou moins peuplées. C’est un espace qui motive les scientifiques et les gouvernements après les guerres napoléoniennes, les missionnaires et les marchands. La Révolution des transports et la recherche de nouvelles sources d’approvisionnement font du Pacifique la nouvelle zone attractive pour les puissances européennes.
On ne peut séparer la colonisation du Pacifique des relations internationales et européennes.
Au début du XIXe siècle, le Pacifique est un « English Lake ». Il s’agit d’influence et non pas d’annexion afin de limiter les coûts. L’Australie est la 1re colonie née d’une volonté politique de la Couronne tandis que la Nouvelle Zélande devient une colonie anglaise par la volonté des colons et des missionnaires. Après les guerres napoléoniennes, la France reprend les voyages de découvertes. L’idée est de redorer le blason de la puissance française dans le monde après les défaites du début du siècle. Guizot, chef du gouvernement français de 1840 à 1848, veut établir des ports dans le Pacifique afin qu’ils deviennent des centres de colonisation, des centres de commerce, des centres militaires afin de protéger les bateaux et de leur permettre de se ravitailler. La France se retrouve ainsi face au Royaume-Uni jusqu’au milieu du siècle. Les deux puissances se partagent progressivement le Pacifique sud. Il en va ainsi de la Nouvelle-Zélande où la compétition a été vive entre les deux pays.
Les choses évoluent avec la révolution des transports : la navigation à vapeur nécessite des relais et entraîne la recherche frénétique de charbon. L’ouverture du canal de Panama (ouvert en 1901) permet de réduire le temps de traversée entre l’Europe industrialisée et le Pacifique.
Mais c’est surtout la percée allemande qui change la donne : avant d’avoir réalisé son unité en 1871, les Allemands sont présents dans le Pacifique par l’intermédiaire de puissantes compagnies de commerce aux Salomon, en Papouasie et aux Samoa.
La colonisation allemande s’organise à partir des années 1880 avec la formation en Allemagne d’un parti colonial qui fait pression sur Bismarck. Cela va entrainer une décennie de luttes entre puissances européennes. Face à l’implantation allemande dans le Pacifique central, la France et la Grande Bretagne vont consolider leur présence à Wallis (France en 1887) et s’entendent sur les Nouvelles Hébrides.
Autant 1885 consacre le partage de l’Afrique autant 1898 consacre le partage politique du Pacifique entre les grandes puissances. La guerre hispano-américaine entraîne une rupture d’équilibre. Les Etats Unis s’affirment dans le Pacifique en éliminant et en prenant le relais de la puissance espagnole.
A la veille de la guerre, le Pacifique nord est colonisé par les nouvelles puissances : les Etats Unis dans le Pacifique Nord de Hawaï aux Samoa, le Japon et l’Allemagne en Micronésie.
Document 3 : Une expédition militaire en Nouvelle-Calédonie
La colonisation dans le Pacifique s’est faite de manière brutale en Nouvelle Zélande, en Polynésie mais aussi en Nouvelle Calédonie. Le gouvernement français se décide à prendre possession de la Nouvelle Calédonie au milieu du siècle pour des raisons stratégiques (port de relâche pour les navires) et religieuses (les missions protestantes sont plus actives que les missions catholiques et obligent ainsi le gouvernement français à favoriser ses implantations) auxquelles il faut ajouter la recherche d’une terre éloignée capable d’accueillir la Transportation (les condamnés aux travaux forcés).
En Nouvelle-Calédonie, l’armée coloniale multiplie les opérations de « pacification » qui se traduisent par la destruction de villages et la dispersion ou la mort de leurs habitants. C’est ainsi que de juin à septembre 1859, le gouverneur Saisset mène des expéditions militaires dans le sud et sur la côte Est, où il fonda Napoléonville, ainsi qu’à Hienghène, avec l’appui de détachements Tahitiens. Entre 1867 et 1870, les villages de la région de La Foa et de Bourail sont incendiés et leurs habitants chassés pour faire place à l’implantation de l’Administration Pénitentiaire.
Document 4 : acte de cession de Fidji à la Grande-Bretagne (extraits)
Les îles Fidji, que convoitent la France et les États-Unis, sont placées sous protection britannique avec la nomination d’un consul en 1858 et la mise en place d’un État monarchique en 1871. Elles sont cédées au R-U en 1874 (Deed of Cession) par les chefs fidjiens eux-mêmes, incapables de résoudre les conflits nés de la crise du coton, des rivalités politiques entre chefferies et des conflits fonciers entre planteurs venus d’Australie et propriétaires fidjiens. La couronne britannique avait refusé une première demande car l’espace Pacifique n’était pas au coeur de ses préoccupations et aucune concurrence ne se profilait ni de menaces sur la marine britannique.
C’est à la demande des grands chefs que la Reine prend possession des îles Fidji sans conditions. Aucune grande puissance ne réagit à cette implantation. Elle semble bien acceptée dans la mesure où elle stabilise l’archipel en proie à des difficultés politiques. En même temps pour l’Australie et la Nouvelle Zélande cela empêche l’installation des puissances étrangères. Les Britanniques cherchent une autorité suffisamment importante pour s’imposer aux Anglais habitant hors du territoire de la Couronne. Ils créent en 1877 un haut commissariat pour le Pacifique occidental qui donne l’autorité au gouverneur de Fidji.
Les droits de propriété des chefs et des tribus sont respectés même si la Couronne se réserve le droit d’acquérir des terres en échange d’une somme qualifiée de « raisonnable ». Aujourd’hui, 83 % des terres fidjiennes sont propriété coutumière et ne peuvent être ni vendues, ni cédées. Elles peuvent par contre être louées pour 30 ou 99 ans. Ceci génère un conflit avec les populations d’origine indienne qui, bien que représentant la moitié de la population des Fidji, ne peuvent devenir propriétaires et restent sous la menace du non renouvellement de leur baux. Ce conflit sous-tend les nombreux coups d’État qui émaillent la vie politique Fidjienne.
Document 5 : de nouvelles puissances ont des volontés expansionnistes : les États-Unis en 1898
Après avoir fait une pose dans sa politique d’expansion territoriale à cause de la guerre de Sécession, les Etats Unis s’avancent dans le Pacifique. Cet expansionnisme est aussi la conséquence de la dépression de 1893 qui pousse les entreprises américaines à rechercher des débouchés. McKinley prend la décision de rentrer en guerre avec l’Espagne pour défendre les intérêts économiques et les investissements américains à Cuba, menacés par l’instabilité interne. Le 15 février 1898, l’explosion en rade de La Havane d’un navire nord-américain, le Maine, avec à son bord quelque 260 personnes, constitue le prétexte de l’intervention des États-Unis dans la guerre d’émancipation coloniale qui oppose Cuba à l’Espagne depuis 1895. La chute de Santiago de Cuba, en juillet, contraint le gouvernement de Madrid à signer, le 10 décembre 1898, le traité de Paris par lequel il renonce à Cuba et à Porto Rico, mais aussi aux Philippines. La guerre hispano-américaine sonne donc le glas de l’empire bâti par Charles Quint en Amérique et en Asie. Mais elle marque aussi le début de l’interventionnisme des États-Unis en Amérique latine, puisque Cuba est occupé militairement avant de devenir un protectorat déguisé : après la reddition de l’armée espagnole à Santiago de Cuba, les États-Unis mettent en place un gouvernement militaire d’occupation jusqu’en 1902. L’indépendance formelle est accordée le 20 mai 1902, mais dans la Constitution l’amendement Platt donne aux États-Unis des bases navales (Guantánamo) et le droit d’intervenir à Cuba. Les Etats Unis s’affirment donc comme une nouvelle puissance majeure dans le Pacifique Nord de la bordure américaine à la bordure asiatique.
Document 6 : que faire des Nouvelles-Hébrides ?
Les Nouvelles Hébrides sont une expérience originale dans la colonisation européenne par sa forme. Par sa proximité avec la Nouvelle Calédonie, l’archipel semble sous contrôle français. Les Allemands installés à Samoa s’intéressent aux Nouvelles Hébrides. La menace allemande et l’Entente cordiale entre les deux pays en Europe entrainent la mise en route de négociations dès 1904 afin d’organiser l’occupation néo hébridaise. Et qui aboutit à la mise en place d’un condominium le 20 octobre 1906. Chacune des nations a un résident qui doit consulter sa métropole en cas de difficultés. Tous les services existent en double. Mais les puissances ne s’occupent de rien.Le pouvoir est donc entier aux chefs mélanésiens.
Document 7 : les îles Samoa au coeur des appétits coloniaux.
Dès les années 1820, les compagnies de commerce allemandes sont présentes dans le Pacifique et notamment à Hawaï. Ils recherchent un approvisionnement en denrées exotiques comme l’huile de coco mais aussi en perles. Ils s’installent aux Samoa vers 1847 1848. La firme Godeffroy se développe et recherche des approvisionnements vers la Papouasie. Samoa est un site central pour le commerce entre l’Asie et l’Amérique du Sud. L’économie d’exploitation succède à l’économie de prédation. La demande en coprah et en huile est forte dans l’Europe industrialisée car elle sert à l’élaboration des fertilisants et de nourriture animale. L’essor économique et l’implantation stratégique de Samoa aiguise les appétits européens après la défaite française de 1870-1871 et la proclamation du Reich allemand. Celui-ci veut annexer Samoa comme la Grande Bretagne à annexer Fidji. Ainsi les compagnies de commerce ont des droits sur la main d’oeuvre. La Grande Bretagne reconnaît en 1876 l’influence allemande sur la partie Nord du Pacifique à partir des îles Bismarck et de la Nouvelle Guinée. En 1878, le croiseur allemand Ariadne plante le drapeau allemand aux îles Marshall puis îles Gilbert, Ellice et Samoa. Cela se passe dans un contexte d’instabilité politique locale et de guerre civile. Les puissances anglaise, américaine et allemande essaient d’imposer une stabilité. Mais les puissances anglaise et américaine entre en conflit en 1876. Les Américains hissent le drapeau sur Apia le 24 mai 1877 ; les Britanniques proclament en Septembre, Samoa, protectorat de la Couronne, suivis de sAméricains. Les Allemands font de même en juillet 1878 en prenant possession des ports de Saluafata et de Faileali en juillet 1878. Les Samoans acceptent ce partage. En juillet 1879, un des chefs samoans accepte cette sorte de condominium. En fait les différents chefs samoans vont accepter différents soutiens de nationalités différentes : un obtient le soutien des Allemands, d’autres le soutien des Anglais, voire des Néo Zélandais qui commencent à tracer une voie maritime vers Samoa. Différentes conférences sont organisées entre les puissances entre 1885 et 1889 associées à des coups de force.Le pays est au bord de la guerre au moment du cyclone de mars 1889. Les flottes anglaise, américaine et allemande sont détruites (http://www.history.navy.mil/photos/...). Sans consulter les Samoans, les puissances organisent une convention le 2 décembre 1889 où le royaume devient indépendant. Les Britanniques en difficulté en Egypte laissent les Américains et les Allemands se partager les Samoa.Les Américains obtiennent l’île de Tutuila et son port Pago Pago qui devient en 1911 les Samoa américaines et l’Allemagne obtient les îles d’Upolu (avec la capitale Apia) et de Savai. Les Anglais conservent Tonga.
Document 8 : l’expansionnisme favorisé par les conséquences de la Première Guerre mondiale.
Alors que la colonisation est terminée en Afrique, la 1re guerre mondiale permet aux Japonais de s’étendre dans le Pacifique. L’expansionnisme nippon avait commencé à la fin du XIXe siècle (carte de l’expansion japonaise de la documentation française http://www.ladocumentationfrancaise...) à partir de la défaite chinoise puis russe. Les Japonais vont profiter de la défaite allemande pour consolider leur emprise. A la fin de la guerre, l’attribution des colonies allemandes dans le Pacifique pose problème entre les Japonais qui souhaitent récupérer au moins les Carolines et les Américains qui refusent que l’aire de contrôle japonaise aille jusqu’aux Philippines. Lors de la conférence de paix, les Japonais proposent de récupérer les colonies effectivement occupées par leurs troupes, ce qui leur assure les Carolines et les îles Marshall. Wilson accepte un plan de partage du Pacifique en trois : les îles au nord de l’Equateur (Palau, Carolines, Mariannes et Marshall) aux Japonais et les anciennes possessions allemandes au sud de la ligne, y compris la Nouvelle Guinée, l’archipel Bismarck et la Terre de Guillaume II dans l’Antarctique reviendraient à l’Australie et à la Nouvelle Zélande. Seule l’île de Yap pose un problème qui est régularisé en 1922 : Le Japon obtient le mandat sur lîle et les Etats Unis la responsabilité de l’entretien des câbles sous marins, Yap étant le noeud de communications entre l’Ouest des Etats Unis et l’Australie. L’Australie et la Nouvelle Zélande organisent les anciennes colonies allemandes : la Nouvelle Zélande prend officiellement possession de Nauru puis de Samoa en 1920, la partie allemande de la Papouasie par l’Australie à partir de 1921. L’occupation par les dominions sont acceptées dans les anciennes colonies allemandes par contre les Japonais sont vus comme « les Allemands de l’Extrême Orient » (Léon Archimbaud, La poussée du Japon vers le Sud, La Revue du Pacifique, n’3, 1922, p.26).
Le traité de Versailles a entériné un nouveau partage colonial.
Date Territoire allemand Marines alliées Attribution puis mandat
30/31 août 1914 Apia (Samoa) Gde-Bretagne Australasie France Nelle-Zélande
11 septembre Herbertshohe(Nouvelle Poméranie) Grande-Bretagne, Australasie, France Australie
13 septembre Rabaul (Nelle-Poméranie) Grande-Bretagne, Australasie, France Australie
24 septembre Friedrich-
Wilhemshafen (Nouvelle-Guinée) Grande-Bretagne, Australasie, France Australie
3 octobre Jaluit (Carolines) Japon Japon
7 octobre Yap (Carolines)
Ponape(Carolines) Japon Australasie Japon Japon(avec réserves)
Japon
8 octobre Koror (Palau) Japon Japon
9 octobre Angaur(Palau) Japon Japon
12 octobre Truk (Carolines) Japon Japon
14 octobre Saipan(Mariannes) Japon Japon
17 octobre Käwieng (Nouveau Mecklenburg) Australasie Australie
24 octobre Rota(Mariannes) Japon Japon
27 octobre Namatanaï (Nouveau Mecklenburg) Australasie Australie
22 novembre Manus (Bougainville) Australasie Australie
9 décembre Kieta (Bougainville) Australasie Australie
12 décembre Angoraur (angoram ? Australasie Australie
11 janvier 1915 Morobe (Nelle Guinée) Japon Australie
Mots-clés
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Coloniale
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