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Le fait colonial dans l’Océanie insulaire

samedi 17 juillet 2010 par Michel LEPLAT

Le Pacifique a été le dernier « continent » à coloniser, le dernier « Far West » à conquérir. Depuis Magellan, le Pacifique est connu. Il est exploré par les Espagnols ( Mendaña - 1568, Quiros, Torres - 1606…) , les Hollandais (Janzoon - 1606, Lemaire, Schouten, Tasman - 1642…), les Anglais (Byron, Wallis - 1767, Cook - 1768, 1772, 1777, Bligh - 1789…), les Français (Bougainville - 1768, Marion du Fresne - 1771, Lapérouse - 1786, d’Entrecasteaux-1792…), les Russes (Lazarev - 1813, Golovnin - 1818, Bellinghausen - 1820…) et les Américains (Wilkes - 1838). Après le temps des explorateurs vient le temps des missionnaires. La London Missionary Society, fondée en 1795, se propose d’évangéliser les populations insulaires que les récits des explorateurs, soucieux de plaire à leurs lecteurs, présentent comme de moeurs très libres. Les catholiques, mais plus tardivement, ne seront pas en reste à partir de 1836. Les missions protestantes se partagent les îles du Pacifique : les méthodistes à Tonga et Fidji, les presbytériens au Vanuatu, les pasteurs protestants américains à Hawaii et les luthériens allemands en Nouvelle-Guinée.
Mais, pour autant, faut-il en prendre possession ? Si l’Australie, à partir de 1788, et la Nouvelle-Zélande à partir de 1837 (fondation de la New Zealand Company) deviennent rapidement des colonies de peuplement anglaises, les petites îles intéressent peu les États européens sauf Tahiti que se disputent Français et Anglais. Trop petites, trop isolées, elles semblent avoir peu de ressources. D’autre part, si la Polynésie bénéficie d’un préjugé favorable à cause des récits des explorateurs qui vantent la beauté des femmes et la joie de vivre des populations, la Mélanésie effraie, les explorateurs dépeignant des populations brutales, repoussantes et cannibales. Le mythe d’un Pacifique partagé entre « Cannibales et Vahinés » (voir l’ouvrage de Roger Boulay) traverse les XIXe et XXe siècles pour subsister encore aujourd’hui.
Qu’est ce qui va donc pousser les puissances occidentales à prendre possession des îles du Pacifique ? Quelles en seront les conséquences économiques, politiques et humaines ?

 I. Le Pacifique colonisé.

1. L’Océanie insulaire entre dans l’économie mondiale.

C’est la chasse aux cétacés qui marque l’irruption de l’économie mondiale dans l’Océanie insulaire. Elle commence au début du XIXe siècle : 193 000 baleines sont capturées entre 1804 et 1817. La chasse connaît son apogée entre 1830 et 1840, et décline rapidement après 1860 avec l’effondrement des populations de baleines et la généralisation des huiles de pétrole. À partir des années 1830, l’exploitation des richesses se déplace de l’océan vers les îles. On y recherche le bois de santal, le trépang (ou holothurie) ainsi que divers produits nacriers (écailles de tortue, perles, trocas), tous très demandés sur le marché chinois. Ces activités qui se prolongent jusque vers la fin du XIXe siècle donnent lieu à un
fructueux commerce maritime à caractère triangulaire qui échange santal, fer, tabac et thé entre le Pacifique insulaire, l’Australie et la Chine : les îles d’Océanie entrent alors dans l’économie-monde.
À ces rapports de prédation succèdent les grandes plantations et l’agriculture commerciale. Le choix des cultures est fonction des conjonctures économiques. L’Australie et les îles Hawaii se lancent très tôt dans la culture de la canne à sucre, dès la première partie du XIXe siècle, mais c’est à partir de 1860 que l’économie de plantation prend véritablement son essor avec la culture du coton dont la production mondiale a fortement chuté du fait de la guerre de Sécession aux États-Unis. Cette production se développe à Hawaii, Tahiti, Samoa, Fidji, les Nouvelles-Hébrides et dans le Queensland. Mais, avec la fin de la guerre de Sécession et le conflit franco-allemand de 1870-1871, les cours s’effondrent ce qui entraîne l’abandon de la culture du coton et la ruine des économies insulaires. La canne à sucre, de nouveau, et le cocotier, remplacent alors le coton.
Bien que la culture de la canne à sucre ait été introduite dans les ÉFO, en Nouvelle-Calédonie, aux Samoa, à Fidji et aux îles Hawaii, elle ne se maintient que dans ces deux derniers territoires qui disposent de superficies suffisamment vastes pour amortir les investissements. L’abandon de la propriété foncière traditionnelle en 1844 et l’ouverture du marché américain favorisent très tôt l’industrie sucrière aux îles Hawaii (Doc.1), alors que celle-ci ne démarre qu’à la fin du siècle à Fidji. À l’inverse, le cocotier s’implante partout jusque sur les îles les plus reculées. La demande d’huile de coco est d’abord freinée par le coût du transport des noix entières, mais la mise au point du procédé de séchage du coprah va faciliter l’exportation, et, dès 1870, des « coprah makers » viennent sur les rivages, achètent les noix contre du tabac, tandis que les plantations se multiplient (Doc. 2). De par sa simplicité et son faible coût, la production du coprah n’atteint pas les concentrations de terres et de capitaux de la production sucrière.
Mais cette exploitation de l’Océanie insulaire n’est encore le plus souvent que le fait d’aventuriers prédateurs, d’hommes d’affaires avisés, de sociétés privées créées au gré de la conjoncture ou encore de missions religieuses qui développent les plantations pour mieux évangéliser, protéger les insulaires et avoir des moyens de subsistance.
2. De l’exploitation à la prise de possession.

2.1. Développement des échanges et intérêts stratégiques.

Le développement des échanges entre les deux rives du Pacifique va accélérer le mouvement de colonisation. Très tôt, sous l’impulsion des missionnaires, Tahiti élève des porcs pour les vendre en Australie ; la Chine et le Japon, longtemps fermés, s’ouvrent au commerce international à partir de 1842 pour la Chine (traité de Nankin) et de 1868 pour le Japon (début de l’ère Meiji). Le commerce se développe entre le Royaume-Uni et l’Australie, entre l’Europe et l’Extrême Orient. La découverte de mines d’or en Australie en 1851 et en Nouvelle-Zélande en 1852 accélère l’immigration asiatique et européenne vers ces pays. Les grandes puissances (Allemagne, R-U, France, Russie, É-U) obtiennent des concessions à bail en Chine en 1885. Le développement des échanges nécessite de sécuriser les routes maritimes. Les grandes puissances vont donc prendre possession d’îles qui leur serviront de points d’appui stratégiques et commerciaux. Ces escales permettront aussi de ravitailler les navires et de stocker le charbon dont ont besoin les navires à vapeur qui supplantent les voiliers à partir de 1860. Ainsi, les États-Unis s’assurent le contrôle de la route du Pacifique Nord en obtenant de l’Espagne Wake, Guam et les Philippines, suite à la guerre de 1898 et en annexant Hawaii la même année.
Au début du XIXe siècle, la puissance principale dans le Pacifique Sud, c’est le Royaume-Uni avec ses établissements en Australie, Tasmanie, Nouvelle-Zélande. Mais le R-U ne voit aucun avantage à rattacher à son empire des territoires qui coûteraient cher pour rapporter peu. L’Australie est annexée pour servir de colonie pénitentiaire, quant à la Nouvelle-Zélande elle est annexée pour ses kaoris dont la marine britannique a besoin pour les mâts de ses navires mais surtout pour couper court aux prétentions françaises (projet imminent d’installation d’une colonie française à Akaroa dans l’île du sud). Le R-U
n’a alors qu’un seul rival dans le Pacifique, la France, à qui elle concède le protectorat sur Tahiti en 1842 en compensation du traité de Waitangi de 1840 par lequel elle s’est octroyé la Nouvelle-Zélande. La France ne prendra définitivement possession de la Nouvelle-Calédonie (1853) que lorsqu’elle se sera assuré que la Grande Bretagne ne donnerait pas suite à sa revendication.
Après 1870 débute un vaste mouvement d’annexion des îles du Pacifique, sur fond de rivalité entre les puissances. C’est l’irruption, dans la région d’une nouvelle grande puissance, l’Allemagne, qui précipite la « curée ». L’Allemagne, qui colonise tardivement, profite de l’essor des compagnies maritimes d’Hambourg et de l’affaiblissement de l’Espagne pour occuper les îles Marshall en 1878 et les Mariannes en 1885 (elle achète ces deux archipels à l’Espagne avec les Carolines et Palau en 1899), annexer les Samoa en 1880 (Doc. 3), le nord-est de la Papouasie actuelle avec Bougainville et Bismarck en 1884 et enfin Nauru, île riche en phosphates dont a besoin l’industrie chimique allemande, en 1888.
2.2. Les répliques ne se font pas attendre et les rivalités s’exacerbent.

En 1888, la Grande-Bretagne annexe le sud-ouest de la Papouasie actuelle, les îles formant l’actuel Kiribati en 1892, les Salomon en 1893. Les îles Fidji, que convoitent la France et les États-Unis, sont placées sous protection britannique avec la nomination d’un consul en 1858 et la mise en place d’un État monarchique en 1871. Elles sont cédées au R-U en 1874 (Deed of Cession) par les chefs fidjiens eux-mêmes, incapables de résoudre les conflits nés de la crise du coton, des rivalités politiques entre chefferies et des conflits fonciers entre planteurs venus d’Australie et propriétaires fidjiens (Doc. 4). La France met fin au protectorat en annexant Tahiti en 1880 et complète ses possessions en Polynésie orientale en annexant les îles Gambier en 1881 et les îles Sous-le-Vent, convoitées par l’Allemagne, après neuf ans de guerre, en 1897. Elle achève l’annexion des îles Australes en 1901 (Rimatara).
Devant ces rivalités entre puissances exacerbées par des rivalités entre missions religieuses, certaines îles préfèrent demander le protectorat. C’est le cas de Wallis-et-Futuna dont la France accepte, après avoir longtemps hésité, la demande de protectorat en 1887. Le R-U réplique en établissant son protectorat sur les îles Cook en 1888. Tonga, convertie au méthodisme, proclamé royaume indépendant en 1850, devient, face à la menace allemande, protectorat anglais en 1900. Au Vanuatu (Nouvelles-Hébrides), protectorat français depuis 1887, les conflits sont nombreux causés par les revendications foncières des colons français et l’activisme des diverses missions protestantes anglaises (presbytériens, anglicans), adventistes américaines et catholiques françaises (maristes)… Les États-Unis qui annexent Hawaii en 1898, contestent aux Allemands la possession des îles Samoa.
Le traité de Berlin de 1899 partage Samoa entre Allemands et Américains et confirme l’autorité du R-U sur Tonga et Salomon. La Convention de Londres de 1906, met fin aux rivalités aux Nouvelles-Hébrides en créant le Condominium franco-anglais.

 II. Des populations bouleversées.

1. Les populations insulaires décimées, exploitées et déplacées.

1.1. Une brutale dépopulation :

À l’instar de ce qui s’était passé au XVIe siècle en Amérique latine, l’Océanie insulaire va connaître une catastrophe démographique. Hawaii voit sa population indigène passer de 500 000 ( ?) en 1778 à 40 000 en 1900 (recensement) (Doc. 5). La population de Tahiti passe de 70 000 habitants en 1770 à 5 960 en 1883, celle des Marquises diminue de 90 %. Au Vanuatu, les îles d’Anatom et d’Erromango ne conservèrent que 5 % de leur population d’origine. En Nouvelle-Calédonie, la population kanak n’est plus que de 27 000 habitants en 1901, dont 20 000 sur la Grande-Terre (pour une population estimée aujourd’hui à plus de 100 000 à l’arrivée des Européens). La population de l’île des Pins serait passée de
2 500 habitants en 1840 (estimée par Cheyne) à 700 habitants en 1873 (estimation de Patouillet), soit une perte de 72% en 33 ans. La responsabilité principale en incombe aux épidémies. Le Père Rougeyron évoque la grande épidémie qui a touché le Nord de la Grande -Terre à la fin de l’année 1846 et a tué « la moitié des Kanak de la région ». Il s’agit probablement d’une épidémie de rougeole. Mais d’autres maladies ont touché la Nouvelle-Calédonie : grippe, tuberculose, pneumonie, coqueluche, dysenterie (épidémie de 1860 qui touche tout le pays), syphilis, blennoragie (provoquant la stérilité), peste, lèpre… À Fidji, l’épidémie d’oreillons de 1863 aurait décimé un tiers de la population. Les expéditions punitives menées par le colonisateur en sont aussi responsables, mais à un degré moindre, si l’on excepte le cas australien et la tentative d’extermination du peuple aborigène. Ailleurs, leurs effets dévastateurs ont été parfois spectaculaires mais n’ont pas eu le même impact démographique que les épidémies. On peut citer pour mémoire les guerres maories en Nouvelle-Zélande ou les exactions commises en Nouvelle-Guinée par la milice armée de la Neu-Guinea Kompanie (composée d’indigènes de Bougainville). En Nouvelle-Calédonie, l’armée coloniale multiplie les opérations de « pacification » qui se traduisent par la destruction de villages et la dispersion ou la mort de leurs habitants. C’est ainsi que de juin à septembre 1859, le gouverneur Saisset mène des expéditions militaires dans le sud et sur la côte Est, où il fonda Napoléonville, ainsi qu’à Hienghène, avec l’appui de détachements Tahitiens. (Doc. 6). Entre 1867 et 1870, les villages de la région de La Foa et de Bourail sont incendiés et leurs habitants chassés pour faire place à l’implantation de l’Administration Pénitentiaire. La révolte kanak de 1878, provoquée par les empiètements des colons, s’est soldée par 200 morts du côté européen et 1 600 morts du côté kanak.
1.2 La traite des Océaniens :

Bien que l’esclavage soit alors aboli dans les pays occidentaux, les Océaniens vont faire l’objet d’une véritable traite, digne de celle des noirs d’Afrique, pour faire face aux besoins des compagnies minières et des plantations. C’est le black birding. Cette main d’oeuvre est en principe sous contrat mais la majorité est razziée sur les plages, kidnappée ou vendue par des chefs. Ainsi 9 000 Gilbertins sont-ils recrutés pour travailler sur les plantations de Fidji, des Samoa, de Tahiti. Les mines du Pérou sont responsables de razzias sur les îles Ellice (400 personnes dont aucune ne survivra), Tokelau, les îles Cook, les Marquises et sur l’île de Pâques (en 1862, la quasi-totalité des hommes). Au Queensland, les plantations de canne à sucre implantées autour de Bundaberg dès 1862 et les cocoteraies appartenant à Unilever recrutent, à partir de 1873, 60 000 Salomonais, Néo-Hébridais et Loyaltiens -ce sont les « Kanakas » - (Doc. 7). 20 000 Mélanésiens sont recrutés pour travailler à Fidji, 14 000 en Nouvelle-Calédonie, dont 90 % de Néo-Hébridais, entre 1863 et 1905. Tahiti recrute pour ses plantations des travailleurs aux îles Cook, Gilbert, Marshall et à l’île de Pâques. En Nouvelle-Calédonie, c’est l’Administration qui signe des conventions avec des capitaines de navires (Henry) ou des entrepreneurs (Higginson). D’abord volontaires, bien traités, les engagés sont ensuite le plus souvent recrutés par la force, de plus en plus jeunes. Un quart meurt au cours de leur première année d’engagement.
Le Royaume-Uni réagit en premier et réglemente le trafic en 1868 et 1872, l’Australie l’interdit dès 1902. La France suit le Royaume-Uni en 1874 et instaure une législation et un service spécial de l’immigration. Mais les abus, que l’arrêté de 1890 tente de limiter, restent encore très nombreux. L’enseigne de vaisseau Laurent écrit en 1904 à propos du recrutement des Néo-Hébridais : « Pour 450 F (…) le Canaque est vendu pour 5 ans (…). Au bout de ce temps (…) 70 % ont disparu, victimes d’un travail trop pénible, de privations exagérées et surtout de mauvais traitements qui forment trop souvent leur seule rétribution. » (cité par J. Dauphiné dans Un aspect de la traite négrière en Océanie : l’exemple néo-hébridais). 90 % des travailleurs recrutés de gré ou de force étant des hommes jeunes, ceci a pour conséquence le bouleversement des structures coutumières et l’accélération de la chute de la natalité.
2. Une main d’oeuvre importée d’Asie.

Face à la rapide dépopulation des îles, les colons européens vont avoir recours à une main d’oeuvre importée pour travailler dans les mines ou les plantations.
2.1. En Nouvelle-Calédonie :

Au cours des années 1890, la Nouvelle-Calédonie se tourne vers l’Asie pour trouver la main d’oeuvre dont les besoins croissent alors que l’accès à la main d’oeuvre pénitentiaire a été tari. En 1892, la Société Le Nickel fait venir un convoi de Japonais sous le régime de l’engagement. À la suite de plaintes de ces travailleurs sur leurs conditions d’emploi, une commission d’enquête japonaise est envoyée et, en 1899, le gouvernement japonais met fin à l’émigration vers la Nouvelle-Calédonie. L’année suivante, un accord franco-japonais permet à nouveau la venue de Japonais dans la colonie, mais comme travailleurs libres. En 1919, date des dernières arrivées, plus de 6 000 Japonais sont venus travailler en Nouvelle-Calédonie, y compris dans des mines contrôlées par des capitaux japonais ; leur effectif est passé de 1 202 en 1911 à 1 745 en 1921, après avoir dépassé 2 800 en 1916. Les employeurs s’intéressent à la main d’oeuvre indienne à la fin du XIXe et une dizaine de convois amènent environ 500 Indiens entre 1893 et 1903. En 1891, des Calédoniens font venir un convoi de condamnés indochinois. L’opération n’a guère de succès et le gouvernement général de l’Indochine freine le départ de ses hommes jusqu’à la Première Guerre mondiale. On compte 416 Indochinois en 1901, 532 en 1906 et 356 en 1911. En 1892, la SLN, sans autorisation de l’Administration, fait venir à Thio 599 Japonais. Jusqu’en 1919, 5 575 Japonais sont venus travailler en Nouvelle-Calédonie.
Les colons agricoles engagent en 1896 des négociations ave les autorités des Indes néerlandaises (actuelle Indonésie). Avec près de 20 000 personnes introduites entre 1896 et 1939, les Indonésiens constituent le plus fort contingent de travailleurs immigrés en Nouvelle-Calédonie. À partir de 1903, ils travaillent également dans les mines et, en 1936, on compte plus de 4 500 Indonésiens en Nouvelle-Calédonie. Leur nombre atteint même 8 899 en 1939.
2.2 Dans les autres archipels.

Au Vanuatu : L’augmentation du nombre de colons depuis l’établissement du condominium franco- britannique des Nouvelles-Hébrides en 1906 et l’extension des plantations créent une demande de travailleurs qui excède largement les capacités de recrutement local. Après la Première Guerre mondiale, l’Administration ouvre aux colons des Nouvelles-Hébrides la possibilité de recruter en Indochine. Un premier contingent de 146 travailleurs indochinois est introduit en 1920, suivi d’un second en 1923. L’ouverture d’une ligne annexe des Messageries maritimes entre le Condominium et l’Indochine permet l’établissement d’un courant régulier d’immigration. À la fin de 1925, 2 135 Indochinois travaillent sur les plantations néo-hébridaises. Leur nombre atteint 4 607 en 1927 et plus de 5 000 en 1929. La crise économique mondiale entraîne une baisse des besoins de main d’oeuvre et donc du nombre de travailleurs indochinois qui chute à quelques centaines en 1936. La remontée des cours des produits en 1937 amène les colons à avoir de nouveau recours à la main d’oeuvre indochinoise. Les colons britanniques sont défavorisés, leur gouvernement leur interdisant de recruter des travailleurs de couleur étrangers à l’archipel.
À Tahiti : les Chinois sont recrutés à partir de 1856, d’abord pour travailler sur les plantations de coton des Marquises, puis après 1865, recrutés, avec des contrats de 7 ans, par la Compagnie Agricole de Tahiti pour les plantations de coton et de café d’Atimaono. Cette compagnie victime de la chute des cours du coton à la fin de la Guerre de Sécession, fait faillite et les Chinois pour la plupart rentreront en Chine. Il faut attendre 1907 pour que reprenne l’immigration chinoise. La Compagnie française des Phosphates de l’Océanie fait venir, à partir de 1910, pour ses mines de Makatea, un millier de travailleurs japonais, vietnamiens et chinois.
À Hawaii : les planteurs de canne à sucre importent 10 000 travailleurs Chinois, Japonais, Portugais (de Macao) avec des contrats de 3 à 5 ans entre 1882 et 1892. C’est la nécessité d’écouler la production sucrière aux États-Unis qui conduira aux traités de commerce entre Hawaii et les États-Unis de 1874 et 1887 et finalement à l’annexion de 1898.
À Fidji  : le recrutement d’Indiens pour les plantations de canne à sucre, dans le cadre de la colonisation anglaise, concerne des effectifs beaucoup plus importants que ceux des Chinois et autres non Océaniens ci-dessus mentionnés et a un effet considérable sur la démographie de ce pays. Les épidémies ayant décimé la population indigène, on organise la migration d’Indiens. Le premier convoi de travailleurs indiens en provenance de Calcutta arrive en 1879. Ce sont au départ des travailleurs sous contrat, mais ils peuvent et sont même encouragés à rester, soit en renouvelant leur contrat, soit en s’établissant à leur compte. Au total ce sont 45 000 travailleurs qui sont recrutés dont 30 % de femmes L’administration coloniale anglaise les assure de sa protection dans un pays où les Fidjiens conservent la propriété du sol. Devant l’indignation provoquée par leurs conditions de vie sordides et la montée de la violence, le recrutement d’Indiens s’arrête en 1916 mais quelques migrants libres viennent encore s’installer comme commerçants, continuant la migration indienne dans la première moitié de ce siècle. Dès 1912, les effectifs d’Indiens à Fidji sont importants (40 000 en 1911 pour 87 000 Fidjiens). Le nombre des Indiens dépasse celui des Fidjiens en 1946 (Doc. 8).
Si l’on ajoute à ces mouvements, la migration de Chinois, importés comme coolies qui deviennent ensuite principalement commerçants et artisans, dans presque toutes les îles : des îles Salomon à Tahiti en passant par la Nouvelle-Guinée, Fidji, Samoa (2 083 Chinois recensés en 1914) et Tonga, on voit comment les migrations de travail au XIXe siècle et au début du XXe siècle sont à l’origine des diverses composantes ethniques des populations des îles du Pacifique.

 III. Des sociétés transformées.

1. L’appropriation des terres.

Lorsque les Européens prennent possession des îles de l’Océanie, ils considèrent, comme le déclare le Gouverneur Du Bouzet le 20 janvier 1855, que « lorsqu’une puissance maritime se rend souveraine d’une terre non encore occupée par une nation civilisée et possédée seulement par des tribus sauvages (…), les chefs et les indigènes (…) n’ont jamais eu ni ne peuvent avoir le droit de disposer de tout ou partie du sol occupé par eux en commun ou comme propriété particulière. Le Gouvernement se réserve exclusivement le droit d’acheter les terres occupées par les indigènes et la propriété de toutes les terres inoccupées…  » Déclaration paradoxale dans la mesure où affirmer le droit pour le Gouvernement d’acheter les terres indigènes c’est leur reconnaître un droit de propriété.
1.1. En Nouvelle-Calédonie :

La circulaire du 20 février 1866, revient sur la déclaration de Du Bouzet et précise que « les Indigènes sont seulement usufruitiers et non pas propriétaires  » : on peut donc autoriser l’occupation des terres sur lesquelles ils sont établis. C’est ainsi que l’Administration pénitentiaire accapare jusqu’à 110 000 hectares pour les besoins du bagne et pour y placer des concessionnaires. Entre 1864 et 1897, la Nouvelle-Calédonie accueille 22 000 transportés (droits communs) auxquels il faut ajouter les déportés politiques (environ 5 000 entre 1871 et 1879) et les relégués (interdits de séjour en France - environ 5 000 entre 1885 et 1897). D’autre part, le gouvernement attribue des concessions à des colons libres. 240 000 hectares de terres sont ainsi concédées et 30 000 ha loués à des colons. Certains de ces domaines sont immenses : 1 500 hectares pour Cheval à Saint Vincent, 4 000 hectares pour Paddon à Paita, 24 000 ha pour Brun. Ainsi se forme une oligarchie foncière. Notons que sur ces 240 000 ha, seuls 5 500 ha sont cultivés (2%), le reste servant de pâturages. En 1884, il n’y a que 173 agriculteurs dont 19 éleveurs. L’installation de ces éleveurs sur des terres prises aux Kanak provoque la révolte de 1878. Quant aux petits colons (Bourbonnais entre 1864 et 1878, colons Feillet entre 1895 et 1903), venus s’installer, ils auront moins de chance : dotés de terres de mauvaise qualité n’excédant pas 15 ha, ils auront bien du mal à survivre.
Ces aliénations, ont une conséquence directe pour les Kanak : le cantonnement. C’est l’arrêté de 1868 qui l’organise. En 1890, les réserves indigènes atteignent 316 400 hectares sur les 2 000 000 ha alors recensés sur la Grande-Terre (soit 15 %). En réalité les spoliations se poursuivent pour faire place à 39 centres de colonisation. En 1900, la superficie des réserves est réduite à 123 195 ha (pour 20 233 habitants soit 6 hectares par habitant et 6 % du territoire). Les terres achetées par l’Administration 1 F /ha sont revendues 100 fois plus cher. Par contre, les îles Loyauté demeurent réserves intégrales.
1.2 En Polynésie orientale :

La diversité des archipels et de leur histoire rend le problème de la propriété de la terre très complexe. Avant le Protectorat, le royaume de Pomare avait interdit en 1835 et 1838 les mariages entre femmes tahitiennes (par lesquelles se transmet la terre) et hommes d’origine étrangère ainsi que la vente de terre aux non-Tahitiens. Une loi tahitienne de 1852 et le décret de 1887 obligent les autochtones à enregistrer les terres qu’ils occupent, les terres non déclarées revenant aux Domaines. Ce recensement a ainsi pour but de permettre l’installation de colons sur des terres non occupées. Certains enregistrent leurs terres en leur nom personnel, la plupart en nom collectif. Bon nombre de ces propriétés faute d’être partagées, deviennent indivises entre leurs héritiers, situation qui se complique encore avec la promulgation du Code Civil à Tahiti en 1874. Ainsi, contrairement à la Nouvelle-Calédonie, il n’y a pas constitution, à Tahiti, d’un domaine colonial. La formation de grands domaines destinés aux cultures d’exportation se fait, en grande partie, par la concentration de terres par des groupes familiaux qui profitent de leur place dans la société traditionnelle et de leur connaissance de la législation française : membres de la famille royale, familles de chefs, demis… Plus tard, du fait du morcellement rapide des grandes propriétés et de leur mise sur le marché, des petits colons accèdent à la propriété foncière.
1.3 Dans les autres archipels.
À Fidji : le « Native Lands Ordinance » de 1880 interdit la vente de terres à des particuliers et instaure un bail de location pour 21 ans. Celui-ci vise à mettre un terme aux conflits entre Fidjiens et colons européens et fixe définitivement l’emprise foncière de ces derniers. Il prive aussi les Indiens de tout accès à la propriété de la terre.
À Hawaii : en 1844, le gouvernement royal, soucieux de faciliter l’extension de la culture de la canne à sucre (la première plantation commerciale date de 1835) décide de mettre fin à la propriété foncière traditionnelle et de partager les terres entre sujets, chefs, famille royale et gouvernement. Les étrangers d’abord exclus de ce partage y participent après la loi de 1850. À la fin du XIXe siècle, sujets et chefs avaient revendu leurs terres, représentant 40 % du foncier, aux étrangers et aux grandes plantations.
Au Vanuatu : des colons britanniques venus d’Australie et des colons français de la Nouvelle-Calédonie commencent à s’établir dès 1854 au détriment des autochtones, ce qui provoque des révoltes chez ces derniers, révoltes suivies de sanglantes répressions de la part des Français et Britanniques. En 1882, John Higginson fonde la Compagnie calédonienne des Nouvelles-Hébrides (CCNH). En 1894, rebaptisée Société française des Nouvelles-Hébrides (SFNH) et bénéficiant du soutien militaire et diplomatique de la France, qui voit là le moyen de s’implanter durablement, la Compagnie possède 55 % des terres cultivables du Vanuatu, terres acquises dans des conditions plus que douteuses, les indigènes étant incapables de lire les actes de cession qu’on leur fait signer d’une croix. Mais Higginson fait faillite et doit revendre à l’État ses intérêts fonciers. Ceci exacerbe les conflits entre Français et missions protestantes qui soutenaient les indigènes. Cependant, la création du Condominium franco-britannique en 1906 rend applicable aux Nouvelles-Hébrides l’Acte Torrens qui attribue la terre au premier occupant européen qui en revendique la propriété. Des réserves sont alors créées pour les villages christianisés.
2. La transformation des structures politiques et culturelles.

2.1 La fin des systèmes politiques traditionnels :

Avant l’arrivée des Européens, les systèmes politiques des îles se caractérisent par la répartition des pouvoirs entre les chefferies et, à l’intérieur des chefferies, entre les clans. Ce système complexe est peu compréhensible pour les Européens. Ainsi, missionnaires et premiers colons s’efforcent-ils de se trouver un interlocuteur unique. D’autre part, certains chefs profitent de l’introduction d’une nouvelle religion, de l’appui des missionnaires, et des fusils procurés par les « beachcombers » pour asseoir leur autorité sur les autres chefs coutumiers. Ainsi naissent les « royaumes océaniens ».
À Tahiti : l’ingérence, dans les affaires tahitiennes, des antagonismes Anglais et Français, est indissociable de la dynastie Pomare. C’est en effet l’appui de Cook, puis l’intervention des Anglais dans la guerre civile en 1790 qui permet au premier Pomare, à l’origine simple chef de district, d’imposer son pouvoir sur les autres chefs de l’île. Le règne de la Reine Pomare IV (1827-1877) est marqué par la concurrence franco-anglaise, l’Affaire Pritchard et la guerre de pacification (1844-1847) qui suit la proclamation du Protectorat français. Et c’est son fils Pomare V (1877-1891) qui est poussé à « céder ses États à la France », ce qui vaudra à ses sujets d’accéder à la citoyenneté française, mais à Tahiti de devenir une colonie de l’Empire.
À Fidji : c’est alors que s’installent des missions protestantes et que les menaces américaines se font plus pressantes que le chef du district de Bau, Ratu Seru Epenisa Cakobau s’arroge le titre de Roi de Fidji en 1853. Converti au christianisme en 1854, il propose, en 1858, de vendre son royaume aux Anglais pour 40 000 $, somme réclamée par les États-Unis pour le paiement d’achats d’armes et en compensation de la destruction par les Fidjiens de la maison du Consul américain. Les Anglais, sachant que le pouvoir de Cakobau est contesté par les autres chefs, refusent. En 1871, Fidji devient une Monarchie constitutionnelle avec Cakobau à sa tête mais la réalité du pouvoir appartient aux représentants des colons australiens. En 1874, Fidji devient colonie britannique.
À Samoa : la période 1830-1860 voit s’installer les Européens : d’abord les missionnaires de la LMS, puis une mission catholique enfin des consulats anglais, américains et allemands. C’est à l’instigation de la LMS que le chef Malietoa est proclamé roi de Samoa en 1869. Cette initiative, contestée par les autres chefs, déclenche toute une série de guerres civiles dans lesquelles Anglais, Américains et Allemands se trouvent mêlés, tantôt soutenant tel ou tel camp tantôt contraignant les belligérants à s’entendre. En 1875, Samoa devient une monarchie constitutionnelle et le représentant des États-Unis devient 1er ministre. Mais ceci ne met pas fin aux troubles attisés par les rivalités entre les puissances occidentales. Le Traité de Berlin de 1899 réglera le conflit par un partage des Samoa entre États-Unis et Allemagne. Le Royaume-Uni se voit reconnaître en compensation sa souveraineté sur Salomon et Tonga.
À Hawaii : c’est grâce à l’aide des Occidentaux, qui lui procurent armes et conseils, et sur fond d’une sévère dépopulation due aux épidémies, que le grand chef Kamehameha, l’un des 8 grands chefs de l’archipel, se lance dans une guerre d’unification entre 1784 et 1795 pour devenir Roi d’Hawaii en 1810. En 1840, le roi Liholiho promulgue une Constitution amendée par celle de 1852 qui donne le droit de vote à tous les citoyens. Les missionnaires et autres étrangers occupent de nombreux postes dans les cabinets ministériels. (Doc. 9)
2.2. En Nouvelle-Calédonie : le « Code de l’Indigénat »

Avant la prise de possession par la France, les Anglais ont commencé, par l’intermédiaire de beachcombers australiens, de nouer des liens avec les chefferies de Nouvelle-Calédonie. C’est ainsi que le grand chef Bouarate de Hienghène est invité par deux fois à Sydney en 1843 et 1848 où il est reçu officiellement comme Roi de Nouvelle-Calédonie (notons que Bouarate sera exilé par le gouvernement français à Tahiti en 1857-1858). Mais la prise de possession de 1853 change la donne. L’Administration coloniale va réorganiser le territoire. Les arrêtés pris par le gouverneur Guillain du 24 décembre 1867 et
du 22 janvier 1868 instituent la responsabilité collective de la tribu et la propriété territoriale indigène : « La tribu indigène (…) forme un agrégation légale ayant des attributs de propriété (…).La tribu est administrativement et civilement responsable (…) ». « Il sera délimité pour chaque tribu (…) un terrain (…) proportionné à la qualité du sol et au nombre des membres composant la tribu (…). Les terrains ainsi délimités seront la propriété incommutable des tribus ». C’est organiser le cantonnement et exclure, par le refus de toute propriété individuelle ou familiale, les Kanak de la vie économique et sociale du territoire. Cette décision de Guillain a été critiquée par le Ministre de la Marine favorable, lui, à l’assimilation.
L’arrêté du 6 mai 1871 institue la réquisition des indigènes au profit des services publics. Les chefs doivent fournir des travailleurs qui seront rémunérés à hauteur de 15 F par homme et par mois à Nouméa et de 10 F en brousse. L’arrêté du 12 octobre 1887 applique au territoire ce qu’on a appelé le « Code de l’Indigénat ». Il donnait au gouverneur le pouvoir de délimiter les tribus, de nommer leurs chefs et de définir les infractions et les sanctions encourues par les Indigènes. Ce « Code » augmente progressivement, en fonction des mesures prises par les gouverneurs successifs. Le décret du 9 août 1898, pris par le gouverneur Feillet, stipule que les tribus sont commandées par un « petit chef » et les tribus sont regroupées en districts chacun sous l’autorité d’un grand chef. Grands chefs et petits chefs, qui ne sont pas forcément les chefs coutumiers, d’où des sources de conflits, sont nommés par le gouverneur. Les chefs sont responsables du maintien de l’ordre dans leur tribu ou leur district. Les Kanak sont assignés à résidence, ils ne peuvent pas se déplacer sans autorisation de la Gendarmerie, passer la nuit dans un village européen, porter une arme, pénétrer dans un débit de boisson, consommer de l’alcool, organiser des fêtes nocturnes…Notons que tous ceux qui ne sont pas citoyens français ou d’un pays étranger sont relevables de ces dispositions ce qui inclut les Tahitiens mais aussi les travailleurs engagés sauf les Japonais.
Le décret du 16 novembre 1895 institue l’impôt de capitation payable par tous les hommes de 21 à 55 ans (sauf officiers, soldats et transportés) y compris les Indigènes. Supprimé en 1896, cet impôt est rétabli en 1898 mais applicable aux seuls Indigènes « qui profitent de toutes les commodités de la civilisation sans en prendre aucune charge » selon les propres mots du Gouverneur Feillet. L’impôt est fixé à 15 F. Pour le payer, ils doivent travailler sur les propriétés des colons. De surcroît, à partir de 1899, les tribus doivent fournir annuellement un contingent d’hommes affecté gratuitement et pendant 15 jours aux travaux de la colonie en plus des réquisitions rémunérées instituées en 1871.
2.3. Évangélisation et acculturation :

La christianisation des îles du Pacifique est un facteur fondamental de l’histoire océanienne. Elle a réussi à couvrir l’ensemble de la région, il n’y a plus aujourd’hui de « païens », et elle est à l’origine de la formation de la plus grande partie des cadres océaniens. Les missionnaires ont été bien souvent un rempart contre les abus de toutes sortes de l’implantation européenne : razzias de travailleurs, spoliations de terres, expéditions punitives… Surtout, les missionnaires ont apporté l’écriture avec les Écritures. Ils ont réalisé un travail énorme de traduction de la Bible dans plus d’une centaine de langues locales, établi des systèmes de transcription, constitué des grammaires, des dictionnaires. Les catholiques ont suivi le mouvement initié d’abord par les protestants. « L’écriture a été comprise, à juste raison, par l’aristocratie locale, comme un instrument de développement de son pouvoir et sa reconnaissance par le monde européen. Elle a dès ce moment accordé sa faveur aux missionnaires (…) et pesé de tout son poids en faveur d’une christianisation massive » (J. Guiart in Découverte de l’Océanie). Les Églises océaniennes ont toujours préféré l’Ancien Testament et leurs membres ont eu tendance à s’identifier à Israël, assimilant les malheurs du peuple juif au sort réservé à leur propre peuple (notons au passage que ceci permet mieux de comprendre le succès du reggae aujourd’hui en Océanie et plus particulièrement en Mélanésie). D’autre part, « la christianisation a été conçue par les Océaniens comme un chemin pour assimiler les données essentielles les introduisant aux secrets de ce monde occidental qui pesait de plus en plus sur leur vie quotidienne » (J. Guiart opus cité). Cet amour de l’Ancien Testament s’applique d’abord aux Livres des Juges et des Rois. Ces Livres offrent la description d’une société que les Océaniens assimilent à celle des Européens, de même que les
Européens croient y voir une organisation politique proche de celle des insulaires. Ainsi, tout le monde est d’accord implicitement pour la constitution de royaumes chrétiens d’autant plus que les colonisateurs préfèrent traiter avec un gouvernement royal plutôt qu’avec des missionnaires, prompts à défendre leurs nouveaux convertis, ou avec des structures politiques traditionnelles qu’ils comprennent mal.
Une fois ces monarchies installées, les religions chrétiennes s’en trouvent renforcées. C’est ainsi qu’en 1819, les missionnaires de la LMS, choqués par la permissivité des comportements et « l’obscénité » des chorégraphies, imposent sur Tahiti le « Code Pomare » qui interdit entre autres les danses polynésiennes, les manifestations publiques à caractère culturel et la pratique du tatouage. Toute contravention à ce Code est punie par de fortes amendes et des travaux d’intérêt général (Doc.10). À la même date, le roi d’Hawaii, Liholiho (Kamehameha II), proclame l’abandon des pratiques religieuses et ordonne la destruction des temples et des images des dieux. Cette décision coïncide avec l’arrivée des missionnaires venus de Nouvelle-Angleterre. Ces missionnaires ouvrent des écoles mais obtiennent aussi la suppression de nombreuses pratiques culturelles. À Wallis, le Code de la reine Amélia prévoit des amendes pour ceux qui manquent la messe. En 1839, le Code de Vava’u, complété après l’unification de 1852 et promulgué par George Tupou I, roi de Tonga, est largement inspiré par les missionnaires méthodistes. S’il réduit le pouvoir des chefs et promeut des droits élémentaires, il interdit les fêtes traditionnelles, le tatouage, la circoncision et fait du dimanche un jour férié obligatoire.
Non contents d’éradiquer les religions océaniennes, les missionnaires ont détruit les oeuvres d’art et les objets des cultes anciens. « Les oeuvres liées aux rituels de la religion ancestrale étaient considérés comme des travaux du diable ou bien comme la représentation idolâtre des dieux païens. La conversion au christianisme nécessitait leur destruction ou leur mise en sécurité dans un musée de la mission ou dans une collection à l’étranger » (Margaret Jolly in Vanuatu-Océanie). Le Pasteur John Paton qui exerce à Aniwa, au Vanuatu, note dans son journal, alors que les conversions s’accélèrent : « Les païens vinrent, chargés de leurs dieux de bois et de pierre, et les jetèrent en tas, parmi les pleurs et les sanglots de certains et les cris des autres, et on entendait le mot souvent répété de « Jehovah ! Jehovah ! ». Nous jetâmes dans les flammes ce qui pouvait être brûlé ; nous enterrâmes le reste dans des fosses profondes de douze à quinze pieds ; quant à quelques objets plus susceptibles encore de nourrir et d’éveiller les superstitions, nous les envoyâmes au fond de la mer. Que jamais plus un seul païen ne les contemple » (cité par Margaret Jolly in Vanuatu-Océanie page 280).
Ainsi christianisation et acculturation sont responsables d’un véritable cataclysme culturel même si, aujourd’hui, les « superstitions » sont toujours bien présentes. Il suffit de lire la rubrique des faits divers dans la presse pour se rendre compte que les croyances traditionnelles sont encore vivaces

 Conclusion

Le fait colonial est un fait fondamental dans l’histoire de l’Océanie insulaire. La colonisation a engendré de profonds bouleversements politiques, sociaux, culturels, les insulaires subissant de gré ou de force le joug du colonisateur et adoptant sa religion, sa langue, ses lois et ses moeurs quitte à être, dans certains domaines, plus occidentaux que les occidentaux : « nous sommes aujourd’hui les seuls vrais chrétiens. Vous autres Européens, vous ne croyez plus qu’à l’argent et à la force. Les habitants des îles du Pacifique sud sont désormais les seuls au monde à prendre au sérieux le Sermon sur la montagne » (Ratu Sir Kamisese Mara cité par J. Guiart dans Découverte de l’Océanie). Les populations océaniennes ont été décimées à tel point que, comme en Nouvelle-Calédonie à la fin du XIXe siècle, le colonisateur a parfois tablé sur une disparition des populations indigènes. Les terres ont bien souvent changé de propriétaire. Les langues européennes se sont imposées partout comme langues véhiculaires et officielles telles quelles ou sous forme de créole comme le bislama. Le Pacifique est devenu un « lac anglais » avec des îlots francophones. Si la décolonisation commencée dans les années 70 est presque achevée, le néocolonialisme a de beaux jours devant lui, les grandes puissances, aujourd’hui relayées par l’Australie, ayant moins que jamais renoncé à jouer un rôle dans la région.

 Références

Références bibliographiques et documentaires.
Jean Guiart : Découverte de l’Océanie. Tome 1 : Connaissance des îles (éditions Le Rocher à la Voile - 2000)
Joël Dauphiné : Chronologie foncière et agricole de la Nouvelle-Calédonie 1853-1903 (éditions L’Harmattan-1987)
Isabelle Merle : Expériences coloniales : la Nouvelle-Calédonie (éditions Belin- 1995)
Paul de Dekker (sous la direction de) : Le peuplement du Pacifique et de la Nouvelle-Calédonie au XIXe siècle (éditions PAC 93, UFP, L’Harmattan -1994)
Sylvette Boyer et Véronique Armand : La main d’oeuvre immigrée asiatique sous contrat en Nouvelle-Calédonie (cellule d’animation pédagogique des Archives territoriales de Nouvelle-Calédonie)
Roselène Dousset-Leenhardt : Terre natale, Terre d’exil (éditions G.P Maisonneuve et Larose- 1976)
Christophe Sand  : Le temps d’Avant (éditions L’Harmattan-1995)
Patrick Pillon et François Sodter : L’impact des politiques administratives et coloniales sur les pratiques sociales autochtones à Tahiti et en Nouvelle-Calédonie (ORSTOM Fonds documentaire 1991)
René Catinaud : Les principes directeurs du droit foncier polynésien (Actes de la conférence « France in the Pacific, past, present, future ». Université de Canberra -1991)
F.Ravault : L’origine de la propriété foncière des îles de la Société (cahiers de l’ORSTOM -1972)
Gilbert David et Patrick Pillon : Le Pacifique insulaire, périphérisations et recompositions spatiales Colloque« Vivre dans une île, géopolitique des insularités en Europe et dans le monde. » Minorque-Septembre 1995 (publié par ORSTOM en février 2000)
Jean-Louis Rallu avec la collaboration de G. Baudchon, D.Bedford, F. Sodter : Populations, migrations et développement dans le Pacifique sud (UNESCO, ORSTOM, INED-1997)
Roger Boulay : Kannibals et Vahinés, imagerie des mers du sud (Réunion des Musées Nationaux – 2001)
Vanuatu Océanie, art des îles de cendre et de corail (ouvrage collectif édité par la Réunion des Musées Nationaux- 1996)
Documents iconographiques.
http://www.janeresture.com
http://www.tahiti1.com
http://eh.net/encyclopedia/article/...
http://www.tlfq.ulaval.ca/AXL/pacif....
Code E Ture No Huahine  : http://www.austlii.edu.au/nz/journa...

 Support documentaire

Document 1. Production de sucre des îles Hawaï entre 1850 et 1940 (en milliers de tonnes).

Année Exportations Année Production
1850 0,4 1900 289,5
1860 0,7 1910 529,9
1870 9,4 1920 560,4
1880 31,8 1930 939,3
1890 129,9 1940 976,7

Remarque : pour les années 1850-1890, le chiffre retenu est celui des exportations et non de la production.
Source : http://www.hawaii.gov/dbedt/db99/in...
À noter le « boom » de la production sucrière à Hawaii entre 1850 et 1890. En effet, les exportations sont multipliées par 325 en 40 ans. Le traité de 1875 avec les États-Unis, négocié entre le roi Kalakaua et le Président Grant, qui supprime les droits de douane pour le sucre en provenance d’Hawaii, n’est pas étranger à la forte croissance des exportations entre 1870 et 1890. Entre 1890 et 1930, la production est multipliée par sept avant de se stabiliser autour d’un million de tonnes.

Document 2. Travail du coprah aux îles Samoa (vignette allemande du début du XXe siècle).

Document 2
Travail du coprah aux îles Samoa (vignette allemande du début du XXe siècle)

Les îles Samoa sont annexées par l’Allemagne en 1880. Le Traité de Berlin de 1899 partage les Samoa entre un protectorat Allemand à l’ouest et un protectorat Américain à l’est. Les Samoa Occidentales sont occupées par l’armée néo-zélandaise en 1914 et confiées à la Nouvelle-Zélande en 1920. Elles sont indépendantes depuis 1962. La vignette choisie vise à montrer le procédé de séchage du coprah, procédé simple et peu coûteux, qui va expliquer la multiplication des petites plantations dans toutes les îles du Pacifique.

Document 3. Vignettes publicitaires de la société Liebig (début du XXe siècle).

Document 3
Vignettes publicitaires de la société Liebig (début du XXe siècle)

Source : www.janeresture.com
Six vignettes publicitaires de la société Liebig, célèbre pour ses produits alimentaires tels conserves et concentré de viande (fleisch -extract). Le Baron von Liebig (1803-1873) se rend célèbre en isolant le titane et en découvrant le chloroforme. Il est à l’origine du grand développement de la chimie allemande, en particulier de la chimie organique à laquelle il consacre l’essentiel de ses recherches. Le document, issu d’une série sur les colonies allemandes, montre des images des Samoa, images idylliques reflétant bien la vision occidentale des îles polynésiennes, dont le port d’Apia (Hafen von Apia), une usine de séchage du coprah (dernière vignette en bas à droite), une danse et des instruments traditionnels (dernière vignette en bas à gauche).

Document 4. Acte de cession de Fidji à la Grande- Bretagne - (extraits).

[…]
Considérant que des sujets de Sa Majesté la Reine de Grande- Bretagne et Irlande se sont peu à peu installés dans l’archipel des îles Fidji et y ont acquis des propriétés et ou des intérêts pécuniaires incontestables.
Considérant que le Chef de Fidji Thakombau portant les titres de Tui Viti et Vuni Valu ainsi que les autres grands chefs indigènes des dites îles ont exprimé le désir d’assurer la promotion de la civilisation et du christianisme et le développement du commerce et de l’industrie dans les dites îles,
Considérant qu’il est évidemment souhaitable, dans l’intérêt aussi bien des indigènes que de la population blanche que l’ordre et la bonne gouvernance y soient établis,
Considérant que le dit Tui Viti et d’autres grands chefs ont conjointement et solidairement requis auprès de sa Majesté la Reine de Grande-Bretagne et d’Irlande qu’elle prenne dorénavant en charge le gouvernement des dites îles,
Considérant qu’afin d’établir le gouvernement britannique dans les dites îles le dit Tui Viti et les nombreux autres grands chefs pour eux-mêmes et pour leurs tribus respectives ont accepté de céder la possession, l’autorité et la souveraineté sur l’ensemble des îles susdites et sur leurs habitants et qu’ils ont requis auprès de Sa Majesté qu’elle accepte une telle cession- laquelle le susdit Tui Viti et les autres grands chefs confiants dans la justice et la générosité de Sa Majesté ont décidé d’offrir sans condition- cession attestée de la part du dit Tui Viti et autres grands chefs par l’exécution des présentes et l’abandon officiel des dits territoires à Sa Majesté.
[…]
Les personnes présentes attestent :
1. Que la possession, la pleine souveraineté et l’autorité sur l’ensemble du groupe d’îles situées dans l’Océan Pacifique connu sous le nom de Fidji……et sur ses habitants, ensemble avec la possession et la souveraineté sur les eaux qui l’entoure, sur tous les ports, havres, rades, rivières, estuaires et autres eaux et tous récifs et estrans qui y sont inclus ou attenants, sont formellement cédés et dévolus à Sa Majesté la Reine de Grande- Bretagne et d’Irlande ses héritiers et successeurs avec l’intention qu’à partir de ce moment les dites îles, eaux, récifs et autres lieux susdits inclus ou attenants pourront être annexés et être possessions et dépendances de la Couronne Britannique.
2. Que la forme ou la nature du gouvernement, les moyens de le maintenir et les lois et règlements à appliquer dans les susdites îles seront ce que Sa Majesté prescrira et déterminera.
3. […]
4. Que l’absolue propriété de toutes les terres dont il n’est pas prouvé qu’elles sont à ce moment aliénées pour devenir de bonne foi la propriété d’Européens ou autres étrangers ou qui ne sont pas à ce moment utilisées ou occupées par quelque Chef ou tribu ou qui ne sont pas déjà réservées pour subvenir aux besoins et à l’entretien de quelque chef ou tribu dans le futur, sera formellement déclarée comme acquise par la dite Majesté, ses héritiers et successeurs.
5. Que sa Majesté aura le pouvoir, à tout moment qu’il sera jugé nécessaire pour le bien public, d’acquérir toute terre sous réserve du paiement au propriétaire d’une somme raisonnable en compensation de cette privation.
6. […]
7. […]

Fait à Levuka le 10 octobre 1874
Ont apposé leurs sceaux :
Sir Hercules Robinson (Gouverneur des New South Wales, représentant de la Reine)
Cakobau (Tui Viti et Vuni Valu) et 12 Grands Chefs

Source : www.vanuatu.usp.ac.fj/library (traduction personnelle)
On a là l’essentiel de l’Acte de Cession (Deed of Cession) des îles Fidji à la Grande-Bretagne. C’est sur fond de crise du coton et de conflits politiques et fonciers que cette cession a lieu. À noter que, et c’est répété plusieurs fois dans le texte, c’est à la demande des grands chefs (mais ont-ils vraiment eu le choix vu le contexte ?) que la Reine prend possession des îles Fidji sans conditions. Les droits de propriété des chefs et des tribus sont respectés même si la Couronne se réserve le droit d’acquérir des terres en échange d’une somme qualifiée de « raisonnable ». Aujourd’hui, 83 % des terres fidjiennes sont propriété coutumière et ne peuvent être ni vendues, ni cédées. Elles peuvent par contre être louées pour 30 ou 99 ans. Ceci génère un conflit avec les populations d’origine indienne qui, bien que représentant la moitié de la population des Fidji, ne peuvent devenir propriétaires et restent sous la menace du non renouvellement de leur baux. Ce conflit sous-tend les nombreux coups d’État qui émaillent la vie politique fidjienne.
16
Document 5 . Population des îles Hawaï de 1778 à 1920

Année Population hawaïenne Population totale
1778 110 000-1 000 000 110 000-1 000 000
1831-32 Non connu 130 313
1853 71 019 73 137
1872 51 531 56 897
1890 40 622 89 990
1900 39 656 154 001
1920 41 750 255 881

Source : http://www.hawaii.gov/dbedt/db99/in...
Ce document a pour but de montrer l’ampleur de la crise démographique qui touche la population autochtone. Si on considère que la population d’Hawaii est de 550 000 habitants avant l’arrivée des Européens (c’est une hypothèse médiane), elle aurait décrû de 75% entre 1778 (date de la découverte par Cook) et 1853. Cette hypothèse est tout à fait plausible si l’on considère que dans toutes les îles du Pacifique les autochtones voient, dans le même temps, leur nombre décroître de 70 à 90 %, et même de 95% aux îles Marquises. À Hawaii, le minimum est atteint en 1900 avec moins de 40 000 autochtones, soit une chute de 90 % depuis 1778 dans l’hypothèse ci-dessus. Parallèlement, le nombre d’étrangers qui s’installent à Hawaii ne cesse d’augmenter. En 1920, la population autochtone représente 20 % de la population totale. Il est intéressant de faire réaliser les courbes d’évolution des populations autochtones et non autochtones d’Hawaii et de noter où les deux courbes se croisent.

Document 6. Une expédition militaire en Nouvelle-Calédonie.
De juin à septembre 1859, le Gouverneur Saisset mène des expéditions militaires dans le sud de la Grande-Terre et sur la côte Est et particulièrement à Hienghène où le Grand Chef Bouarate avait été arrêté puis exilé à Tahiti en 1857-1858.

Ordre du jour n° 8 du 3 septembre 1859 (extraits)
Tahitiens, Soldats et Marins,
La vigueur, le sang-froid et l’entrain que vous avez déployés dans les combats des 1er et 2 septembre font éprouver, à celui qui a l’honneur et le bonheur de vous commander, un sentiment de vive satisfaction dont il est, à juste titre, bien fier.
L’Empereur saura que sur cette terre si éloignée de la Patrie, il y a des enfants dignes de ceux qu’il sait si bien conduire à la victoire, aux plaines d’Italie (…).
M. de Trèves, Lieutenant d’Infanterie de Marine, a enlevé avec sa vigueur habituelle, aux cris de Vive l’Empereur, au milieu d’une grêle de pierres, de sagaies, de javelines et de quelques coups de feu1 , le grand village de Bouarate, placé sur un plateau élevé de la rive droite (…).
Mort au champ d’honneur, le capitaine Tricot, à qui nous devions tous les succès de cette journée mémorable, emporte tous nos regrets. Nous saurons venger sa mort (…).
Le Chef d’état-major, M. Ernest de Saisset, Lieutenant de vaisseau, avec sa colonne formée du 1er détachement de Tahitiens commandés par le brave Taririi et du 2e détachement de la compagnie de débarquement du Styx (…) a refoulé l’ennemi (…), brûlant tous les villages comprenant plus de 300 cases (…).
Enfants, avec vos 170 baïonnettes, vous avez, pendant deux jours, battu et dispersé les deux mille ennemis qui, après vous avoir porté un défi, ont voulu s’opposer à votre marche victorieuse2 (…). (
Le Gouverneur, Th. Saisset.

Source : Bulletin Officiel de la Nouvelle-Calédonie
1 Des Européens qui se sont installés à Hienghène (Jones, Long Jack, Jack le Calédonien, Baumann dit le Bancal, Paul), combattent aux côtés des Kanak. À la suite de cette opération, le Gouverneur Saisset prononcera leur expulsion sous peine de mort « s’il viennent à être arrêtés sur le territoire de la colonie  ».

2 L’expédition se poursuivra jusqu’au 9 septembre. L’ordre du jour n°3 du 7 septembre indique que tous les villages ont été brûlés y compris « la grande case et le Tabou des ancêtres du grand chef Bouarate  ».

L’ordre du jour du Gouverneur Saisset, n’est pas exempt d’emphase. Sa tonalité et son vocabulaire, évoquent plus une guerre qu’une simple opération de police qui visait à pacifier la région et à mettre fin aux agissements d’aventuriers européens venus d’Australie. Rappelons que le grand chef Bouarate avait été reçu comme un souverain à Sydney en 1843 et 1848. On pourra noter le rapprochement pour le moins exagéré avec les batailles de Magenta et Solferino et la présence de supplétifs tahitiens dans les rangs de l’armée française. Rappelons aussi que, jusqu’en 1860, la Nouvelle-Calédonie et Tahiti forment les Établissements Français d’Océanie (ÉFO) administrés par Saisset.

Document 7. Groupe de « Kanakas » dans une exploitation de canne à sucre du Queensland

Document 7
Groupe de « Kanakas » dans une exploitation de canne à sucre du Queensland

Source : www.janeresture.com
On ne connaît malheureusement pas la date exacte de ce document, même si très probablement il remonte à la fin du XIXe siècle. Le black birding commence en 1863 à l’initiative de Robert Towns, armateur et homme d’affaires, fondateur de Townsville, pour ses champs de coton. Le recrutement d’une main d’oeuvre mélanésienne sous contrat pour la culture de la canne à sucre s’intensifie après 1873 et ce sont 800 voyages qui vont amener 62 000 « Kanakas » au Queensland. Ils sont recrutés et bien souvent enlevés en Nouvelle-Guinée, aux Salomon, aux Nouvelles Hébrides et aux Iles Loyauté. Engagés pour des contrats de 5 ans, la condition des « Kanakas » n’est guère enviable. Leur sort est à comparer à celui des travailleurs sous contrat en Nouvelle-Calédonie. Le black birding diminue fortement à partir de 1890 mais va se poursuivre jusqu’en 1902, date à laquelle il est interdit en même temps que sont promulguées des lois restrictives sur l’immigration. Jusqu’en 1908, les « Kanakas » sont rapatriés et à cette date, il n’en restait officiellement que 1 654 en Australie.
Aujourd’hui, ils représentent une communauté de 15 000 descendants qui se considèrent comme « le peuple oublié ». En 2004, huit jeunes de l’association « Ombres et Lumières » de Rivière Salée sont allés en Australie à leur rencontre. À voir sur le site http://www.kanakas.org/index.htm

Document 8. La population des îles Fidji de 1881 à 1936

Années Population d’origine fidjienne Population d’origine indienne
1881 115 000 1 000
1901 Non connu 17 000
1911 87 000 40 000
1936 98 000 85 000

Source : J.L. Rallu : Population, migration et développement dans le Pacifique Sud.
Le document montre d’une part le recul de la population fidjienne dû aux épidémies même s’il ne s’agit que de la fin de cette décroissance (entre 1881 et 1911, la population fidjienne recule de 32 %) et en parallèle la part croissante de la population d’origine indienne. Entre 1879 et 1916, ce sont 45 000 travailleurs indiens qui sont recrutés pour travailler la canne à sucre à Fidji. En 1936, les Indiens représentent 46 % de la population de Fidji. Aujourd’hui, la part des Indo-Fidjiens est de 44 % de la population, ceux-ci ayant tendance à émigrer à la suite des coups d’État qui se succèdent régulièrement.

Document 9. Le roi d’Hawaii Kalakaua (roi de 1874 à 1891).
Source :www.iolanipalace.org

Document 9
Le roi d’Hawaii Kalakaua (roi de 1874 à 1891).
Source :www.iolanipalace.org

Kalakaua Ier, roi d’Hawaii, est né en 1836. Il a règné de 1874 à 1891. Le dernier roi de la dynastie Kamehameha étant décédé sans héritier en 1872, on a décidé alors d’élire son successeur, le roi Lunalilo, élu en 1873, mais qui meurt l’année suivante. Kalakaua est élu pour le remplacer et s’empresse de désigner son héritier. Cette décision, tout comme sa volonté de gouverner en souverain absolu, lui vaut l’opposition du « Parti des Missionnaires » qui veut instaurer une monarchie parlementaire avec un roi ayant une fonction essentiellement représentative. Son autoritarisme ainsi que ses dépenses somptuaires provoquent un coup d’État organisé par la Hawaiian League favorable à l’annexion d’Hawaii par les États-Unis. La « Constitution de la baïonnette », adoptée en 1887 à la suite de ce coup d’État, prive le roi de ses pouvoirs et la plupart des autochtones de leur droit de vote.
Surnommé le « Merrie Monarch » pour son goût du faste et des plaisirs, Kalakaua fait revivre les musiques et les danses (hula) de son pays qui avaient été interdites par les missionnaires en 1820. Il fait construire le Palais Iolani, le plus somptueux de tout le Pacifique et le seul Palais Royal sur le sol américain.
Son règne est marqué par l’adoption du traité de libre-échange avec les États-Unis (1875) et son projet de bâtir une Confédération de Polynésie avec les Samoa (1886). Son voyage autour du monde (1881) lui permet de rencontrer de nombreux chefs d’État d’Asie et d’Europe dont les empereurs de Chine et du Japon, d’Autriche-Hongrie, la reine Victoria et le Pape Léon XIII. Il est le premier monarque à faire le tour du monde. Sa soeur Lili’uokalani lui succède mais est renversée par un coup d’État provoqué par l’intervention de l’armée américaine en 1894. La République est proclamée et en 1898, les îles Hawaii sont alors annexées par les États-Unis avec Guam, les Philippines et Porto Rico.
L’intérêt de ce portrait réside dans la similitude avec ceux des rois de France (voir ceux de Louis XIV ou Louis XVI) ou celui de Napoléon III. C’est aussi le témoignage de l’occidentalisation des souverains océaniens. À noter que ce phénomène d’acculturation jusqu’à la caricature va perdurer, notamment en Afrique. Qui ne se souvient de la construction de la cathédrale de Yamoussoukro ou du sacre de Bokassa Ier ?

Document 10. Extraits du code E Ture No Huahine (1822-1823).
En 1819 et 1820, les îles de Tahiti et de Raiatea se dotèrent des premiers codes de lois écrits rédigés en langue polynésienne par les missionnaires anglais de la LMS. L’île de Huahine était au cours des années 1820 dirigée par la reine Teri’itaria, fille du roi Tamatoa de Raiatea et concubine du roi Pomare II de Tahiti, dont elle était aussi la belle-soeur. Ces lois seront reprises, adaptées et promulguées en 1827 aux îles Cook sous le nom de Blue Laws.

Loi concernant l’ivresse :
Si un homme boit de l’alcool jusqu’à ce qu’il soit intoxiqué et ressent alors des troubles, les magistrats le feront attacher et quand les effets de l’alcool se seront dissipés, ils lui diront de ne plus recommencer. Mais s’il persiste à boire de l’alcool et si les effets deviennent préjudiciables, il devra être conduit devant les magistrats et condamné à travailler à la construction d’une route de cinq toises de long et deux de large.
Sinon à l’installation d’une clôture autour d’une plantation, longue de cinq toises.Si une femme est coupable de cette faute, elle devra tresser deux grands manteaux, un pour le roi et l’autre pour le chef de district ou quarante toises de tissu, vingt pour le roi et vingt pour le gouverneur ou chef de district.
Loi concernant le tatouage :
[…] Personne ne devra se tatouer. Cette pratique doit être entièrement abolie. Elle appartient aux anciennes et mauvaises habitudes.
L’homme ou la femme qui se feront graver des tatouages, si la chose est manifeste, seront jugés et punis. La punition de l’homme sera la suivante : il devra travailler sur une portion de route longue de dix toises pour le premier tatouage, vingt toises pour le second, ou casser des pierres sur une longueur.La punition de la femme sera la suivante : elle devra faire deux grands manteaux, un pour le roi, l’autre pour le gouverneur ou chef de district ou quatre petits, deux pour le roi, deux pour le chef de district. Sinon une longueur de dix toises de tissu indigène pour le roi et dix pour le gouverneur. Pour l’homme ou la femme qui persisteront à se tatouer plus de quatre ou cinq fois, motifs ou ornements devront être détruits en les noircissant et les individus seront punis comme il est indiqué ci-dessus.
Loi contre les pratiques de la polygamie :
Quand un homme persiste à prendre une seconde femme, les magistrats considéreront que la seconde femme est séparée de lui et donneront à chacun, comme punition, des travaux à faire. L’homme devra construire une portion de route, longue de quarante toises et large de deux et la femme devra faire deux nattes pour dormir ou bien quatre manteaux...
Loi sur le concubinage :
Lorsqu’un homme vit en concubinage avec une femme, ceux-ci sont jugés et condamnés à des travaux : l’homme à la construction d’une route d’une longueur de cinquante brasses et d’une largeur de deux brasses ; la femme à la confection de vêtements faits avec l’écorce de purau1 dont deux seront destinés au roi et deux au chef de district, sinon à la confection de deux nattes, une pour le roi, et une pour le chef ; sinon à la confection de grandes pièces d’étoffe en écorce battue, de quarante brasses de long pour le roi et 20 pour le chef.
1 Purau : arbre du bord de mer à fleurs jaunes, bourao en Nouvelle-Calédonie.
Loi contre le vol :
Si un homme vole un cochon, il devra en rendre quatre : deux pour le propriétaire, deux pour le roi. S’il n’a pas de cochons, deux pirogues simples, une pour le propriétaire, une pour le roi. S’il n’a pas de pirogue, deux balles de tissu indigène. Chaque balle devra contenir cent toises (200 yards) de tissu, large de quatre yards. Si le cochon n’était pas adulte, cinquante toises. Si c’était un petit cochon, vingt toises. Pour le propriétaire du cochon la moitié, et l’autre moitié pour le roi.
Loi concernant le viol pendant le sommeil :
Lorsqu’un homme viole une femme pendant son sommeil, qu’elle s’en aperçoive et que l’acte ait été commis sans son consentement, il y a crime. Le coupable subit une peine de travaux forcés d’un an (construction de route, ou de clôture), les bénéficiaires sont le roi et le chef de district.
Loi concernant la non-observance de la journée du Sabbat :
C’est un grand crime devant Dieu pour un homme de travailler le jour du Sabbat. Le travail qui ne peut être remis, tel que préparer de la nourriture quand un malade désire des aliments chauds et fraîchement préparés, est autorisé ; mais il n’est pas permis d’accomplir des travaux tels que bâtir une maison, construire un bateau, cultiver la terre, pêcher et tout autre travail qui peut être remis au lendemain. Personne ne devra voyager sur une longue distance le jour du sabbat. Pour ceux qui désirent assister au service, il faut qu’ils voyagent le jour de la cuisson des aliments. S’il est impossible de voyager la veille, on peut le faire le jour même mais il est interdit de marcher sur un long parcours. L’individu qui continuera à faire ainsi des choses interdites sera averti par les magistrats de ne pas le faire ; mais s’il n’en tient pas compte, il sera obligé de travailler à la construction de la route d’une longueur de cinquante toises et d’une largeur de deux toises. Et s’il continue à travailler un jour de sabbat, il fera un furlong (201m) de plus.

Source : lois extraites de la thèse de doctorat en droit de Corinne Raybaud : « De la coutume à la loi dans les archipels de Polynésie Orientale de 1767 à 1945 » soutenue en octobre 2000, à l’Université Montesquieu Bordeaux IV.
La London Missionary Society est créée en 1795 et installe une première mission à Tahiti en 1797. Les missionnaires de la LMS dotent les îles où ils s’installent d’une législation qui leur permet de construire une nouvelle société fondée sur des principes juridiques issus en partie de la coutume et pour la plupart importés d’Europe. Ces codes rédigés en langue polynésienne par les missionnaires anglais de la LMS sont accessibles à tous. Les premiers codes en langue polynésienne sont ceux de Tahiti (code Pomare II-1819) et de Raiatea (1820) qui serviront de modèles pour les autres îles. Les chefs traditionnels sont demandeurs de telles législations qui leur permettent d’asseoir leur autorité et d’avoir des recettes pour faire fonctionner leur administration. On voit d’ailleurs que les sanctions encourues renforcent le pouvoir du roi et des chefs en leur attribuant le fruit des amendes en nature. Ceux-ci ne pouvaient donc qu’être satisfaits et les missionnaires en tiraient influence politique et religieuse.
On n’a ici que des extraits d’un arsenal répressif qui contient 30 lois et 24 articles destinés aux juges (leurs attributions, leurs devoirs, la procédure à suivre, leur salaire). Il s’agit d’un à la fois d’un Code Civil (lois sur le mariage, l’adultère, le concubinage, l’impôt…) et d’un Code Pénal (lois sur les crimes, vols, agressions sexuelles, conspirations…). Les peines sont lourdes et consistent en travaux d’intérêt général et en amendes en nature. Celles-ci sont conséquentes si l’on sait qu’une toise mesure 1,95 m ; une brasse, 1,83 m et un furlong (ancienne mesure anglaise) 201,17 m. Une femme coupable d’ivresse doit produire 78 m de tissu ou 38 mètres si elle se tatoue ; l’individu qui persiste à travailler le jour du Sabbat devra construire une portion de route de 200 m. L’infanticide, l’avortement et la sodomie sont punis par le bannissement à vie sur un îlot inhabité. Pas de peine de mort, les missionnaires y sont opposés. Il y a aussi une dimension religieuse avec l’interdiction de se tatouer (le tatouage ayant une signification magico-religieuse), et le strict respect du Sabbat. Notons à ce propos que les fondamentalistes protestants (évangélistes, méthodistes, adventistes, pentecôtistes..) respectent le Sabbat, jour de repos et de prière, qui commence le vendredi au coucher du soleil et se termine le samedi à la même heure. Toute activité est interdite pendant cette période. Ceux qui ont une longue route à faire pour assister à l’office doivent voyager la veille.
Enfin, ce texte témoigne aussi du rôle joué par les missionnaires dans la connaissance et la conservation des langues polynésiennes avec la rédaction de codes, de dictionnaires et de traductions de la Bible.

Michel Leplat - juin 2007


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LE FAIT COLONIAL DANS L’OCEANIE INSULAIRE (1850-1914)

13 août 2010
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Cette contribution scientifique peut être utilisée pour les classes de première, séries L, ES, S et STG. Son application pédagogique dépend des orientations données par les textes d’accompagnement de chacun des niveaux concernés.


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