Valeur des lieux (fiche)
Titre : A. Wickel, C. Sabinot, P. Dumas, G. David « Valeur des lieux et gestion intégrée des zones côtières en Nouvelle-Calédonie » dans S. Robert et H. Melin « Habiter le littoral, enjeux contemporains », Presses universitaires de Provence et Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2016, p.393-408.
Présentation des objectifs et de la problématique :
Le « Millenium ecosystems assessment » (MEA : évaluation des écosystèmes pour le millénaire, outil d’évaluation produit pour les Nations Unies en 2005) a établi un outil de mesure connu sous le nom de « services écosystémiques » qui est très souvent employé par les institutions internationales et les ONG pour donner une mesure monétaire à la dégradation ou à la restauration d’un environnement. Or, le calcul
de la valeur des services écosystémiques est contesté, car il ne permet pas de prendre en compte des critères autres qu’économiques, en particulier les valeurs culturelles et patrimoniales.
Les programmes de gestion intégrée des zones côtières (GIZC) exigent une prise en compte de ces valeurs, car ils sont fondés sur des approches participatives, dans un contexte océanien où les populations sont particulièrement attachées aux dimensions culturelles et patrimoniales de leurs territoires.
L’objectif de cet article est de proposer une réflexion sur un nouvel outil visant à déterminer la « valeur des lieux », ce qui permettrait de compléter l’évaluation d’un territoire effectuée par les services écosystémiques, intégrant mieux les attentes de reconnaissance identitaire des populations. Pour appuyer cette réflexion, une expérimentation a été réalisée dans la commune de Yaté.
Les idées et informations majeures :
Yaté est une commune particulièrement touchée par les impacts environnementaux de l’activité minière, surtout dans son espace lagonaire (sédimentation). C’est pourquoi plusieurs projets de gestion intégrée des zones côtières y ont été déployés, tentant ainsi de compenser les dégradations de l’espace maritime dues à l’extraction de nickel. Ces projets de GIZC doivent tenir compte des enjeux suivants :
- Le respect de la volonté de souveraineté des habitants sur leur territoire : Yaté est une commune où se superposent plusieurs autorités, qu’elles soient administratives ou coutumières. Un projet de GIZC peut être perçu comme un élément de contrôle au service d’acteurs dont la domination est contestée ;
- La prise en compte du lagon en tant que réservoir de ressources alimentaires complémentaires ou indispensables en cas de crise (« lagon garde-manger ») et générateur de revenus potentiels ;
- L’importance de la valeur patrimoniale de l’espace maritime autant à l’échelle internationale (label « patrimoine mondial » de l’UNESCO) que locale (valeur culturelle conférée par l’existence pratiques de pêche spécifiques, de toponymes, de lieux tabous, d’animaux totems…).
L’approche par la valeur des lieux a permis de mettre en évidence plusieurs éléments qui n’auraient pas été pris en compte par une évaluation par les services écosystémiques. Outre l’approfondissement des différents aspects de l’appropriation culturelle, elle en a fait ressortir l’utilisation politique. L’exemple de l’appréhension du lagon comme étant culturellement un espace de « garde-manger » illustre bien ce fait.
À Yaté, une minorité de la population dépend effectivement du lagon pour se nourrir. Pourtant, cette fonction recouvre une importance forte dans la mesure où l’espace lagonaire est considéré comme le lieu emblématique de la transmission de la culture kanak : en oublier les usages vivriers est considéré comme une déperdition culturelle. Ainsi, la place du lagon est survalorisée dans les discours des autorités coutumières face à l’industrie minière. En invoquant la valeur culturelle des lieux et non uniquement les services rendus sur le plan économique, les acteurs locaux renforcent leur légitimité à exercer des choix souverains sur leur environnement.
Intérêt et limites de la ressource :
Le questionnement sur la légitimité de l’usage d’un outil comme la mesure des services écosystémiques n’est pas aisé à évoquer en classe, étant donné la complexité du débat. Pourtant cet article est l’occasion d’approfondir la réflexion autant sur les modèles de développement territorial que sur la façon dont les
jeux d’acteurs se déploient à l’occasion des choix qui se posent dans ce cadre. En effet, Yaté constitue un terrain privilégié pour réfléchir aux difficultés de la mise en place d’une stratégie conciliant développement territorial et respect durable de l’environnement. Les habitants sont dépendants des revenus issus de l’exploitation minière. Or, ce mode de mise en valeur occasionne des risques pour les écosystèmes. Dans un contexte de décolonisation, les communes qui revendiquent leur autochtonie comme Yaté, peuvent difficilement remettre en cause les financements issus des revenus de la mine étant donné l’autonomie qu’ils procurent, autant pour des raisons politiques (préalable minier des revendications indépendantistes), que pragmatiques (importance des revenus générés). Yaté constitue donc un exemple à exploiter dans l’étude d’un espace rural devant faire face à la nécessité de financer son développement tout en conservant un environnement préservé autant sur le plan de la biodiversité que de la valeur culturelle. La méthodologie des chercheurs permet de mettre en évidence les différentes facettes de l’investissement culturel d’un territoire ainsi que la nature des arguments et des positionnements dans des négociations pour la mise en place de projets environnementaux, en particulier l’importance de la
construction d’une légitimité autochtone fondée sur des arguments culturels.
Les illustrations et documents valorisables
Document 1 : Évaluation comparative des enjeux marins majeurs identifiés à Yaté : services écosystémiques ou valeur des lieux ?
Ce tableau est un outil de compréhension et de visualisation des différents aspects de l’appropriation culturelle d’un espace.
Document 2 : Territoires coutumiers marins du Grand Sud (réalisation : GIE Océanide, 2008)
Cette carte rend visible les territorialités coutumières qui maillent le lagon sud et les potentiels conflits que cela peut engendrer.