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Compte-rendu de conférence - La Nouvelle-Calédonie dans l’axe indo-pacifique

samedi 24 juillet 2021 par Patrice FESSELIER-SOERIP

CYCLE DE CONFÉRENCES « LES MERCREDIS DU TRINÔME » 2021
TRINÔME ACADÉMIQUE

« LA NOUVELLE-CALÉDONIE DANS L’AXE INDO-PACIFIQUE »

Seul le prononcé fait foi

Animée par : le général de division Frank BARRERA
Commandant supérieur des Forces armées de la Nouvelle-Calédonie
Date : mercredi 30 juin 2021
Horaire : 18h
Lieu : amphithéâtre de la base navale de Nouméa

Le 15 juin 2021, la visite du Premier ministre australien Scott MORRISON à Paris, marque la politique de rapprochement entre la France et l’Australie. Le président français, Emmanuel MACRON, a réaffirmé son soutien face à la montée en puissance de la Chine dans le Pacifique. L’occasion pour la France de marquer sa différence en se positionnant comme une puissance d’équilibre parmi les autres puissances.
Aujourd’hui, un affrontement entre la Chine et Taïwan n’est plus à exclure, c’est désormais une option. Le Pacifique sud-ouest devient ainsi une zone d’enjeux, de compétition entre les puissances.

I – Les évolutions géostratégiques dans la zone indo-pacifique

On observe une présence et une hégémonie chinoise, dans le cadre des nouvelles routes de la soie, plus agressive aujourd’hui qu’il y a quinze ans. Nous assistons à une deuxième vague d’immigration bien plus conquérante qui s’appuie sur le soft-power et le piège de la dette : pillage des ressources halieutiques et perte de souveraineté à l’exemple du Vanuatu, où des navires de pêche chinois y sont en grand nombre. Le gouvernement vanuatuais accorde à la Chine des licences de pêche qui coûtent chères. La Chine a financé la construction de ports avec des quais en eau profonde pouvant accueillir comme à Santo des paquebots mais aussi dans un futur probable des navires de guerre chinois. Malgré la pandémie actuelle, la diplomatie chinoise demeure très présente.

« Malheur aux petits », les petits États insulaires du Pacifique sont des proies faciles pour les puissances riveraines. Actuellement, la compétition, entre l’Australie, alignée sur les États-Unis, et la Chine, est très forte. La Nouvelle-Zélande, quant à elle, est inquiète vis-à-vis de la présence de la Chine. Les gouvernements néo-zélandais et australien ont tenu à réaffirmer leur alignement et à renouveler l’axe Canberra-Wellington.

Depuis 2017, l’Australie a commencé à dénoncer le risque d’ingérence de la Chine sur son territoire, l’incitant à prendre des mesures pour exclure l’équipementier chinois Huawei des opérations de déploiement du réseau mobile 5G, invoquant des risques d’ingérence étrangère et de piratage. De plus, Canberra a appelé à une enquête internationale sur la propagation du virus à partir du foyer épidémiologique chinois. Dans l’immédiat, la probabilité d’un apaisement s’éloigne.

Aujourd’hui, le changement climatique est devenu une préoccupation des petits États insulaires qui se méfient des États-Unis, notamment durant la mandature Trump, et de l’Australie, qui bafoue les normes environnementales au profit de l’exploitation de charbon. Les îles océaniennes font preuve de résilience et tentent de trouver des alternatives face aux pressions exercées par les puissances. Néanmoins, seule une minorité d’États disposent d’une armée : Fidji s’est dotée d’une armée robuste avec des projections au Liban et a pu contribuer au processus de paix en 2020. La Papouasie-Nouvelle-Guinée possède une force armée équipée de véhicules… chinois tout comme les Tonga. Les autres îles du Pacifique n’ont pas d’armée mais une force de sécurité.

La problématique pour ces pays est plutôt la menace d’une prochaine catastrophe naturelle. D’autant qu’ils sont à l’écart des trafics humains. Le trafic de drogue, entre l’Amérique du Sud et la zone Australie-Nouvelle-Zélande existe mais reste limitée (en 2006 : 1,4 tonne de cocaïne avaient été saisies par les FANC). Ce sont aussi les pandémies destructrices qui inquiètent les gouvernements océaniens : en 2019, l’épidémie de rougeole, qui causa 100 décès d’enfants en bas âge aux Samoa et l’épidémie de la Covid-19 depuis 2020.

II – L’espace indo-pacifique

Le concept d’un axe indo-pacifique est apparu en 2007 lors d’un discours du premier ministre japonais Shinzô ABE, devant le parlement indien, dans lequel il évoquait un dialogue stratégique informel entre le Japon, les États-Unis, l’Inde et l’Australie, illustrant le Quadrilateral Security Dialogue ou QUAD et promouvoir une Free and Open Indo-Pacific Strategy.

En 2011, Hillary CLINTON, alors secrétaire d’État sous la présidence Obama, appelle à un pivot américain vers l’Asie, c’est la stratégie du pivot asiatique : placer l’Asie, au cœur de la politique américaine face à la montée en puissance de l’influence chinoise sur le plan économique et militaire.

En 2013, l’Australie, dans son Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, s’approprie la notion d’indo-pacifique et évoque les Nouvelles routes de la soie chinoises qui traverseront le Pacifique-Sud.

En 2018, le président français Emmanuel MACRON s’adresse au Premier ministre australien Malcolm TURNBULL lors de la conférence de presse commune à Kirribilli House à Sydney et met en avant la constitution d’un axe stratégique pour répondre aux défis de la zone indo-pacifique, en particulier la volonté de projection chinoise, le terrorisme et le changement climatique. L’année suivante, la France réaffirme sa position durant le Shangri-La Dialogue, la conférence internationale organisée par l’IISS (International Institut for Strategic Studies), qui se tient chaque année à Singapour.

L’indo-pacifique, qui s’étend à l’ouest des côtes de Djibouti aux côtes occidentales américaines à l’est, est une zone soumise à de fortes tensions : tensions sino-américaines, les litiges territoriaux entre l’Inde et le Pakistan à propos du Cachemire. C’est une zone qui est affectée par des trafics humains dans sa partie asiatique, par des trafics de drogue dans le Pacifique-nord et par les conséquences du changement climatique pour toutes les îles des bassins indien et pacifique.

Pour la France, cet axe indo-pacifique défend des objectifs multiples : protéger ses ressortissants et ses intérêts, préserver la souveraineté de la France, car elle est partie prenante avec 1,6 million de ressortissants, 9 millions km2 de ZEE, 5 bases militaires (Djibouti, La Réunion, E. A. U., Nouvelle-Calédonie et Polynésie française), 8000 militaires. La France réaffirme son refus d’un monde bipolaire, États-Unis/Chine. Elle prône une implication de l’Europe, elle se fait le relais de l’UE dans la zone afin de favoriser un espace multipolaire. Ancrée dans cet espace, la France ancrant l’Europe devenant ainsi un héraut, un messager de l’Europe. La France a pour ambition d’être une puissance stabilisatrice et d’équilibre. Certes, elle est incluse dans le camp américano-australien mais défend une position singulière, autonome et alternative. Elle s’entoure de plusieurs alliés : l’Inde, l’Australie (plus récemment), le Japon (un allié ancien), Singapour et l’Indonésie. D’ailleurs Paris et Jakarta ont signé en 2021 un accord pour densifier leur coopération militaire et des négociations sont d’ailleurs en cours portant sur l’achat de 36 avions Rafale.

Ce sont donc de nombreuses puissances qui définissent cet axe indo-pacifique. S’ajoute à cela, l’Allemagne qui encourage, depuis 2020, une politique européenne commune sur les questions de défense dans la zone indo-pacifique. L’Allemagne doit y renforcer sa présence dans un avenir proche. En avril 2021, le Conseil de l’Europe a demandé au Haut représentant de la commission de présenter d’ici septembre 2021 une stratégie pour la coopération dans la zone.

Depuis 2018, la France et l’Australie, autrefois, simples voisins, se sont engagées dans le chemin de l’amitié et sont aujourd’hui des puissances alliées dans la zone Pacifique et en mer de Chine méridionale. Plusieurs exemples témoignent de ce rapprochement : le contrat de vente de 12 sous-marins français à propulsion conventionnelle, la visite en 2020, pour la première fois à Nouméa, d’un chef des forces de défense australiennes, le général Angus CAMPBELL et pour la seconde fois, la visite du chef d’état-major néo-zélandais, le général de corps aérien Kevin SHORT.

Quant aux États-Unis, c’est un retour de leur puissance dans la zone indo-pacifique avec l’envoi de petits détachements, la Task Force. Le Japon s’engage dans des projets humanitaires et prévoit l’escale à Nouméa d’un grand navire, Oceania, en septembre 2021. Le Royaume-Uni a décidé d’augmenter son réseau diplomatique et ambitionne de devenir la première puissance européenne d’ici 10 ans. L’Union européenne est déjà présente avec une Délégation de l’UE pour le Pacifique à Fidji ainsi qu’un Bureau de la Commission européenne à Nouméa et finance plusieurs projets humanitaires.

Dans le nord du Pacifique, on constate une forte compétition entre les États-Unis et la Chine. Cette rivalité déborde dans notre zone faisant de l’arc mélanésien une zone tampon. La Mélanésie redevient une zone de transition, de nouveau convoitée, comme durant la Seconde Guerre mondiale. Les îles Salomon, qui avaient reconnu officiellement Taïwan, ont fini par se rétracter sous la pression de Pékin. Les Salomon sont désormais inféodés à la Chine, comme le reste de l’arc mélanésien hormis la Nouvelle-Calédonie.

Le risque de déstabilisation dans la zone est grandissant face aux offres chinoises et occidentales. Les dernières tensions se sont manifestées dernièrement à propos de la nomination du secrétaire général du Forum des îles du Pacifique (FIP), qui devait être Micronésien mais qui finalement est originaire des îles Cook. Ce revirement, qui sous-tend une pression chinoise, a provoqué le retrait des cinq pays mélanésiens. La Chine sape ainsi les alliances multilatérales voire bilatérales en tentant, sans succès, d’affaiblir l’axe Canberra-Wellington, en accusant l’armée australienne d’avoir commis des crimes de guerre en Afghanistan entre 2011 et 2013 contre des civils afghans. Crimes reconnus par le général australien CAMPBELL, en 2020.

III – Les impacts de la pandémie dans la zone

On observe une réaffirmation des blocs États-Unis/Chine à cause de la pandémie de Covid-19. Ce sont des tensions au sujet des vaccins anti-Covid où s’affrontent la logique COVAX, financée par l’UE, et la stratégie chinoise autour du vaccin Sinopharm. D’ailleurs les Salomon, le Vanuatu et la Papouasie-Nouvelle-Guinée ont reçu des stocks de vaccins chinois. Mais les pays résistent. Quant aux îles Fidji, elles refusent d’utiliser des doses du vaccin chinois.

Actuellement, les relations militaires entre la France et les pays de la zone sont gelées en raison des restrictions sanitaires. Toutefois, en août 2021, est prévue l’envoi d’un détachement de soldats de Nouvelle-Calédonie en Australie, malgré la mise en quarantaine des soldats à leur arrivée en Australie.

Des coopérations maritimes perdurent durant la période de pandémie sans l’embarquement de soldats français sur des navires étrangers. De plus, la Marine française a poursuivi sa mission de surveillance des ZEE, des îles Salomon et Fidji. Aucun navire français n’a d’ailleurs fait d’escale dans ces pays. La seule escale s’est effectuée par le Vendémiaire à Darwin, dans le nord de l’Australie.

La France n’a pas de coopérants dans les pays de la zone, d’où une efficacité limitée. Mais dans l’avenir, il en est question à Fidji. La Chine a renforcé son dispositif avec l’affectation d’un attaché de défense en Papouasie-Nouvelle-Guinée et à Fidji pour incarner et préfigurer une coopération militaire entre ces pays et la Chine.

Des perspectives de remontée en puissance sont programmées au fur et à mesure que les frontières rouvriront ou que des « bulles » seront mises en place avec la Nouvelle-Calédonie. En 2021, le COMSUP des FANC s’est entretenu par visioconférence avec les ambassadeurs de France à Port-Moresby, à Port-Vila, à Suva, à Wellington et à Canberra.

Durant la pandémie, les pays insulaires du Pacifique arrivent à vivre en autarcie et à résoudre leurs problèmes seuls, comme le Vanuatu qui a réussi, plus ou moins, à faire face à la Covid-19 et face au dernier cyclone, sans aide internationale.

IV – Les FANC (Forces armées de la Nouvelle-Calédonie) et la Nouvelle-Calédonie

Neuf États sont dans la Zone de responsabilité permanente (ZRP) des FANC : Nouvelle-Zélande, Fidji, Vanuatu, Salomon, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Wallis-et-Futuna, Samoa, Tonga, Nauru.

L’ambition assumée est que la France (re)devienne un acteur majeur dans la zone. Des coopérations existent et seront renforcées entre la France et les États insulaires pour former leurs forces de sécurité ou leurs armées afin de gérer les conséquences d’une crise humanitaire et sanitaire prioritairement dans les domaines du génie et de la santé. Les FANC sont une voie alternative recherchée et appréciée qui veillent à développer le respect, l’humilité et la réciprocité. Généralement, lorsque les FANC débarquent dans ces territoires, dans le cadre d’actions de coopérations militaires, les capacités militaires françaises présentes n’effraient ni les populations locales ni les autorités militaires du pays d’accueil. À l’inverse, des contingents américains qui peuvent être très nombreux.

Avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande, les FANC se placent dans une interopérabilité avec une coopération militaire. Les FANC, ce sont 1450 militaires, une quinzaine de véhicules blindés, des capacités à terre et prochainement des patrouilleurs outre-mer. La France réarme les FANC pour être crédible auprès des autres puissances.

Pour la première fois, l’état-major australien a nommé un Officier de liaison en résidence à l’état-major à Nouméa. L’Australian Defence Force et les FANC se sont engagées sur un plan de coopération de 5 ans.

Les dernières opérations humanitaires des FANC se sont déroulées au Vanuatu et aux Fidji dans le cadre de l’acheminement d’un fret sanitaire (situation de cyclone) et en Papouasie-Nouvelle-Guinée (situation de pandémie de la Covid-19).

En mai 2020, l’exercice Équateur/Croix du Sud avait été annulé dans le contexte sanitaire actuel. Toutefois, cet exercice militaire prévoyait la mobilisation de 3500 militaires, d’une quinzaine d’avions et de navires et de 17 nations dont cinq asiatiques, en tant qu’observatrices comme l’Indonésie, le Japon et la Malaisie.

Conclusion

L’axe indo-pacifique est à géométrie variable et demeure en construction. Il existe plusieurs axes. L’arc mélanésien en est la zone charnière. La Nouvelle-Calédonie deviendra un véritable enjeu dans les années à venir. Pour la France, il s’agit de casser cette bipolarité autour des États-Unis et de la Chine, en créant une alternative avec la présence de l’UE et avec, ou sans, la Nouvelle-Calédonie et donc de conclure des partenariats stratégiques avec d’autres pays, dans le cas d’une indépendance de celle-ci. Ainsi, deux alternatives, la France reste une puissance, de la zone avec une Nouvelle-Calédonie française, ou bien, elle devient une puissance impliquée de la zone, en cas d’indépendance.

La Polynésie française accueille un Officier général qui exerce également la fonction d’Amiral commandant la zone maritime Asie-Pacifique (ALPACI). Toutefois, la Polynésie française étant excentrée par rapport à l’axe indo-pacifique, douze jours de navigation entre Papeete et Sydney, la position géostratégique de la Nouvelle-Calédonie demeure évidente et essentielle.

En cas d’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, la France n’aurait pas vocation à assurer la protection de sa ZEE, qu’elle devra assumer seule. À titre d’exemple, à Djibouti, c’est l’armée djiboutienne qui assure la surveillance de sa ZEE, malgré la présence d’une base militaire française. La France pourrait accepter d’autres missions sur le territoire, en plus d’une présence d’intervention, dans le cadre d’un accord politique avec une Nouvelle-Calédonie souveraine.


titre documents joints

Compte-rendu de la conférence

24 juillet 2021
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22 juillet 2021
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