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Disparités et organisation de l’espace néo-calédonien

dimanche 22 février 2015

 La double insularité néo-calédonienne

L’évolution des transports a eu tendance à accentuer la coupure entre île principale et îles secondaires. Pour le fret, le coût des dernières centaines de kilomètres transitant par l’île principale, en provenance d’un grand port et à
destination d’une île périphérique peut être exorbitant. Pour preuve, l’acheminement d’un conteneur EVP (Équivalent vingt pieds) du Havre à Nouméa (Nouvelle-Calédonie), sur près de 20 000 km, revient à 2 500 €, alors que les 250 km de Nouméa aux îles Loyauté coûtent 1 500 €. La concentration des services océaniques sur quelques escales, due à l’usage de navires de plus en plus gros, la collecte ou la distribution des conteneurs dans des ports secondaires (feedering) ainsi que la desserte des petites îles par cargos mixtes expliquent que les prix au mille nautique peuvent varier de 1 à plus de 100 suivant que l’on est sur une grande route ou en situation très périphérique.
On a d’un côté une hypo-insularité de la Grande Terre.
De l’autre une sur-insularité des « îles » le qualificatif est intéressant montrant que l’on a tendance à continentaliser la Grande Terre.
Contrairement à une idée reçue, les îles ne sont pas les territoires les plus isolés et c’est la population insulaire qui est la plus mobile en NC.
Parce que la petitesse ne permet pas de proposer une offre éducative complète, la tranche de la population scolarisée hors de l’île y est d’autant plus importante que l’île est peu peuplée.
Ainsi, s’il existe un lycée à Lifou, les jeunes Maréens ou Ouvéens doivent, après le collège, se rendre à Nouméa ou dans l’île voisine pour poursuivre leurs études, alors que les jeunes de Tiga, de Belep ou de l’île Ouen doivent quitter leur île dès la fin de l’école primaire. Quant aux insulaires de Poum, l’absence d’école les oblige à faire toutes leurs études hors de leur tribu, ce qui conduit généralement les parents à les suivre.
On a donc à faire à des lieux privés d’une part conséquente de leur population et où les retraités sont surreprésentées. Les îles se repeuplent et s’animent au moment des grandes vacances
Une telle situation est la conséquence du principe d’équité spatiale qui a présidé à la desserte des îles avec la création, en 2004, d’une aide à la continuité territoriale intérieure (CTI), destinée aux liaisons aériennes intérieures. Mais les généreuses réductions proposées par Air Calédonie aux
résidents des Loyauté, qui se rajoutaient à la CTI, ont creusé le déficit de la compagnie aérienne. Elles ont abouti, en l’absence d’un tel dispositif pour le bateau, à un trafic passager dominé par l’avion, étonnamment le moins cher, y compris pour le fret !
La remise en question de ce système en 2011, afin de « sauver » cette compagnie, avec suppression de la CTI et mise en place de quotas de sièges sur les vols les plus demandés pour générer plus de revenus, a provoqué, sur fond de conflits coutumiers et politiques, un bras de fer entre les collectifs d’usagers et Air Calédonie aux Loyauté, témoignant de la banalisation et de l’importance de l’avion pour les Loyaltiens, qui vont continuer de bénéficier de tarifs très préférentiels.
Des pistes de décollage trop courtes et trop étroites, qui ne permettent pas d’utiliser à pleine charge les ATR 42 et ATR 72 (emport maximal de 50 passagers pour 68 sièges à Ouvéa), ainsi qu’un balisage des pistes ou des moyens météo mal adaptés, obèrent en outre les possibilités de redressement financier de la compagnie aérienne intérieure.

DIAPO 58
La discontinuité maritime se traduit cependant, en raison de l’organisation du trafic maritime, par des coûts de transport des marchandises plus élevés par mer que par la voie terrestre. Par conséquent, pour que les prix du gaz, de l’essence et du gazole soient identiques sur tout le territoire, le gouvernement a dû mettre en place une péréquation neutralisant la distance à Nouméa, lieu d’arrivée des énergies fossiles, et surtout l’insularité.
Sachant que le coût de la distribution était estimé, fin 2008, à 0,67 FCFP/litre à Nouméa, 4 à 5 FCFP/litre sur la Grande Terre et 21 FCFP/litre environ dans les îles Loyauté, les Loyaltiens paient leur litre d’essence 18 FCFP de moins que son coût, la différence étant réglée par les consommateurs du Grand Nouméa qui paient celui-ci 2,43 FCFP de plus que son coût.
L’offre proposée par la Compagnie maritime des Îles (CMI) et la Société de transport des îles (Stîles) est insatisfaisante et les îles Loyauté subissent assez régulièrement des pénuries de carburants, et d’autres denrées, en raison des problèmes de panne et de maintenance des rares bateaux assurant la desserte. À cela se rajoutent de préoccupants problèmes d’infrastructure. Certains wharfs sont délabrés et dangereux. Les entrepôts de stockage sont insuffisants
ou inexistants. Des trois îles principales, Ouvéa est la plus pénalisée, parce que la plus éloignée et la plus mal équipée.

DIAPO 59
Petites et généralement basses, certaines îles connaissent des problèmes d’approvisionnement en eau. Ouvéa est dotée depuis 1993 d’usine de dessalement de l’eau de mer. Celle-ci est distribuée, grâce à des camions-citernes, aux particuliers, qui disposent de cuve de 3 à 11 m3. À Taanlô, la récupération de l’eau de pluie sur les toitures reste la source unique ou majoritaire d’approvisionnement, comme c’était le cas à Tiga jusqu’à la mise en service, fin 2012, d’une petite unité de dessalement.
Ces deux cas témoignent d’un gaspillage de l’argent public quand on sait qu’à Taanlô une usine de dessalement par bouillage n’a fonctionné que de 2000 à 2002, cette installation, jugée trop coûteuse, n’ayant jamais été réparée. À Tiga, un équipement également onéreux fonctionna brièvement dans les années 1970 : un vaste réservoir, alimenté par un impluvium en tôle sur le premier plateau, amenait l’eau courante par gravité dans toutes les maisons du village.

DIAPO 60
La question de la maintenance se pose dans les îles difficiles d’accès. Ainsi, par sa proximité à Nouméa, l’île Ouen est un lieu d’expérimentation en matière d’énergie avec la mise en service, en 2008, d’une centrale électrique hybride, fonctionnant grâce à de l’huile végétale recyclée et à des panneaux solaires.

 Rééquilibrage et restructuration de l’espace de la NC

Notion floue au coeur des accords de Matignon et Nouméa qui a légitimé le volontarisme de l’Etat et rassuré la population.
Il s’agit de répartir plus équitablement sur les plans territorial et humain :

  • les richesses ;
  • les pouvoirs ;
  • les équipements ;
  • les aptitudes.

Après plus de 20 ans d’action les résultats restent mitigés.

DIAPOS 61 et 62
Les inégalités socio-communautaires en matière de qualification et d’emplois restent très fortes.
Le système éducatif ne tient pas assez compte du contexte socioculturel océanien et il est pour le moment incapable de combler le retard entre les Kanak et le reste de la population :

  • 1 Européen sur 5 a un diplôme de 2e ou 3e cycle universitaire ;
  • 1 Kanak sur 100 a un diplôme de 2e ou 3e cycle universitaire.

85 % des détenus du Camp-Est seraient Kanak.
On a une partie de la jeunesse kanak à la dérive alcoolisée et droguée, particulièrement celle qui habite le Grand Nouméa.

DIAPOS 63 à 65
Les inégalités spatiales en matière de formation ou d’emplois sont aussi très fortes.
Variation dans un rapport de 1 à 11 entre Nouméa et Belep en matière de niveau de formation.
Variation dans un rapport de 1 à 19 entre Nouméa et Belep en matière de télécommunication.
Les inégalités entre communautés se retrouvent en ce qui concerne les pratiques à risques. Il y a un effarant retard, pour un territoire qui se dit développé, dans la prise de conscience du risque, de moins en moins toléré dans les sociétés les plus avancées :

  • Insécurité routière (en 2010 26 tués pour 100 000 hab contre 10/100 000 en NZ). L’origine massivement océanienne des responsables et des victimes est une autre preuve des clivages qui traversent la société.
  • Infections sexuellement transmissibles et grossesses non-désirées touchant principalement les Océaniens (voir les travaux édifiants de l’INSERM sur la question).

Le destin commun est à relativiser en raison des écarts de genre de vie et de revenus qui persistent et qui ont même tendance à se creuser.

 Comment l’espace de la NC se restructure ?

DIAPO 66
Phénomène de concentration de la population dans le Grand Nouméa avec progressif glissement de la population de Nouméa vers les trois communes périphériques.
Phénomène de suburbanisation (banlieues) et de périurbanisation. Le suburbain est plus interne que le périurbain et s’en distingue par une occupation du sol plus continue et plus dense. Il y a entre le périurbain et la ville une discontinuité et les densités sont plus faibles que dans les espaces suburbains.

DIAPO 67
On a progressivement la mise en place d’un couloir central qui va du MDore à Bourail. Ce sont les communes les plus dynamiques, avec les ménages les plus équipés, les plus riches et une population majoritairement européenne DIAPO 68. On peut remarquer la grande ressemblance avec la carte des voix indépendantistes lors des élections de 2014. DIAPO 69 Preuve que les choix électoraux sont largement communautaires en NC.
C’est un ensemble qui se distingue nettement dans l’analyse en composantes principales (ACP) que nous avons faite et qui se trouve en annexe de cet ouvrage

DIAPO 70.
L’ACP est une analyse statistique multivariée qui réduit l’information et fait apparaître de nouvelles variables synthétiques et décorrélées, nommées « composantes principales » ou axes, résumant la matrice de données. Ainsi, quelques axes pourront expliquer une bonne partie de la variance totale. La première composante sera celle qui explique la variance la plus importante. Les composantes suivantes en expliquent chacune une partie de plus en plus faible.
L’axe horizontal distingue des disparités de ressources et opposent les communes européennes aux autres.
L’axe vertical décrit la base économique et met en évidence la diagonale minière de Yaté à Koumac voire Poum, s’opposant aux communes plus pauvres et marginalisées des îles et de la côte nord-est.
Les Loyauté pèsent de moins en moins dans l’ensemble calédonien DIAPO 71 et l’analyse des effectifs scolaires entre 2010 et 2014 montre que la perte de population se poursuit sur le nord de la côte et dans les Loyauté. DIAPO 72

DIAPO 73
En analysant les données de 1989 et de 2009 je démontre qu’il n’y a pas eu une réduction des disparités en 20 ans. Au contraire on remarque l’apparition de communes clairement distinctes. La gradation des inégalités communales a laissé la place à des ruptures sensibles. Pour filer la métaphore cycliste, on avait en 1989 un peloton très étiré avec quelques individus détachés ; on a en 2009, un groupe d’échappés et une série de convois d’attardés plus ou moins à la traîne typiques des étapes de montagne. Cet ordre est certainement la conséquence d’un dopage très inégal à l’argent public ou à la rente minière.
On remarque la même chose avec les quartiers de Nouméa. Les quatre types de quartiers que nous avons mis en évidence DIAPOS 74 et 75 révèlent une nette opposition N/S, qui ne s’est pas atténuée, bien au contraire DIAPOS 76 et 77.
Plus on s’éloigne de Nouméa et moins il y a de personnes nées en France hors NC

DIAPO 78
L’hétérogénéité des quartiers semble s’être accusée :

  • d’une part par la taudification à l’oeuvre dans certains d’entre eux ;
  • d’autre part par la gentrification renforcée des quartiers Sud, de plus en plus différenciés des quartiers intermédiaires.

 CONCLUSION

Beaucoup de chemin reste à faire pour que le rééquilibrage aboutisse, au moins d’un point de vue social car sur le plan spatial on peut se demander s’il faut continuer à lutter, sans succès, contre la croissance du Grand Nouméa ?
Écartelée entre une province Sud qui concentre 81 % du PIB, une province Nord qui s’émancipe économiquement de la France par son usine métallurgique et des îles Loyauté qui ne cessent de se dépeupler et de s’enfoncer dans l’assistanat, la Nouvelle-Calédonie a-t-elle toujours les moyens de suturer son territoire ?
Comment sortir d’une économie trop assise sur la double rente ?
Comment réduire les écarts de formation et de revenus entre les différentes communautés (d’un côté des Porsche Cayenne, de l’autre des kanak qui font de l’autostop) quand la tendance mondiale est au renforcement des inégalités socioéconomiques ?
La bombe à retardement des inégalités.
Je souhaite que la NC ne soit pas un pays d’avenir destiné à le rester.



titre documents joints

Disparités et organisation de l’espace néo-calédonien

21 février 2015
info document : PDF
345 ko

Texte de la conférence du 5 novembre 2014 à l’IUFM de Nouméa


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