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L’évolution de Wallis de 1945 à nos jours

samedi 17 juillet 2010 par Benoît HERITIER

 I. La fin du protectorat (1942-1961)

 I. 1°) Le temps des « A melika » ou la rupture brutale de l’isolement insulaire (1942-1944) :

Cette période de prospérité économique inattendue, brève et sans lendemain eut pourtant un impact
durable sur la société wallisienne au point que J.C. Roux parle de “culte du GI”. Wallis sort
brutalement de son isolement en devenant l’une des composantes de la ligne de défense alliée
contre l’expansion japonaise dans le Pacifique Sud et vers l’Australie ; et, par là même, un acteur,
certes modeste, dans la deuxième guerre mondiale.
L’arrivée des troupes américaines en 1942 se fait sans heurt notamment avec l’administration
française car l’île est passée quelque temps auparavant sous le contrôle de la France Libre [1].
C’est ainsi qu’une moyenne de 4000 GI(s) prennent pieds à Wallis pour une population indigène de
moins de 5000 habitants.
Les Américains introduisent une économie monétaire avec l’afflux du dollar et le recours massif à la
main-d’œuvre locale qui devient salariée. L’économie traditionnelle de subsistance est abandonnée à
cause de cette nouvelle manne. Le rythme routinier de la vie des insulaires est rompu provoquant
l’émotion de la mission partagée par la résidence qui note un relâchement des mœurs concomitant à
la perte d’autorité de la chefferie et du pouvoir royal (le régime des amendes, principal mode de
coercition ne faisant plus peur à des wallisiens devenus riches).

Aussi, le choc du départ américain est d’autant plus fort [2].
La situation redevient précaire. Les Wallisiens sont ramenés au strict nécessaire après deux ans de
gaspillage sans fin. Mais l’introduction du consumérisme a changé la société wallisienne qui
n’accepte pas ce retour en arrière ; ce qui génère un fort mécontentement pouvant déborder sur des
conséquences politiques.
C’est dans ce contexte qu’il faut replacer l’épisode de la tentative maladroite d’une délégation
wallisienne sans aucune légitimité soutenue par un lieutenant américain demandant le départ des
Français et le rattachement de Wallis aux Etats-Unis. L’union de la monarchie, de la mission et de
l’administration a permis d’étouffer rapidement cette crise montrant l’indispensable cohésion des
différents pouvoirs à Wallis pour surmonter les conflits internes graves.

Rappelons que Futuna n’a pas connu la manne américaine et se retrouve dans un isolement complet
pendant la guerre provoquant une misère noire des habitants obligés de se vêtir de tapa comme au
XIXe siècle.

** I. 2°) La reprise en main de l’administration française (1944-1947) :

Cette reprise en main est d’autant plus importante qu’il ne faut jamais perdre de vue que le
protectorat a longtemps été plus théorique que réel, la présence française se limitant quasiment au
seul résident. La deuxième guerre mondiale n’a fait que renforcer cet état de fait. À titre d’exemple, la
résidence estime en 1948 que seule une vingtaine de Wallisiens maîtrise le Français. [3]
Là encore, cette “normalisation” voulue par l’administration coloniale est rendue possible par la
convergence de vues avec les autres pouvoirs.
En effet, si moralement la mission reste présente et puissante, elle éprouve le besoin de reprendre
en main ses fidèles mais le choc culturel provoqué par la présence américaine lui fait prendre
conscience que ce ne sera pas chose aisée.
De son côté, la monarchie, si elle est parvenue à traverser la guerre, se retrouve ébranlée dans son
autorité et cela sera confirmé par les crises qui vont suivre.
Enfin, l’administration coloniale est à rebâtir mais sur des bases bien plus floues en pleine période de
mutation des empires, conduisant à une lente et incertaine évolution vers le statut de TOM jusqu’en
1960.
La reprise en main de Wallis-et-Futuna par l’administration française a permis le retour progressif à
une économie d’autosuffisance. Pour cela, il a fallu réintroduire une “forme déguisée” de corvées [4]
et rétablir une capitation par tête [5].
Parallèlement, l’installation, fin 1947, de la société Lavoix dirigée par Emmanuel Brial ainsi que
l’instauration d’une ligne maritime avec la Nouvelle-Calédonie tous les quatre à six mois permettent
le véritable désenclavement de l’île.

 I. 3°) Une instabilité révélatrice (1947-61)

Les efforts entrepris par les différentes autorités pour le redressement de l’île ne suffisent pas pour
faire taire le mécontentement social depuis le départ des Américains. Celui-ci se traduit par une
instabilité politique notamment au niveau de la monarchie qui, dans le cadre du protectorat,
fonctionne de pair avec la résidence.
Dès 1947, le roi Leone Manikitoga qui a traversé la guerre avec le satisfecit du résident Charbonnier,
est en butte à une opposition vigoureuse conduisant à de très graves tensions qui amènent la
résidence à demander l’envoi de renfor ts de Nouméa. Le résident démissionne le roi Leone au profit
de son ministre Pelenato Fuluhea, jugé “énergique et francophile”.
En 1950, de nouvelles tensions animées par l’opposition “noyautée par le clan Brial” (de retour sur
Wallis depuis 1947) conduisent à la démission du roi Pelenato. Emmanuel Brial, métis et citoyen
français, est élu par le fono mais le résident réussi à obtenir sa démission et la désignation d’un roi
de transition : Kapeliele Tufele. Mais les rapports de ce dernier avec la résidence se détériorent
rapidement. Celle-ci, appuyée par le “parti Brial”, obtient la démission du roi. Benjamin Brial (frère
cadet d’Emmanuel) postule à son tour au trône, mais Nouméa refuse à nouveau l’élection d’un roi,
citoyen français.
Finalement, sa mère, Madame veuve Julien Brial, authentique princesse wallisienne, est élue sous le
nom d’Aloïsia.
La nouvelle reine entend régner en veillant jalousement sur ses prérogatives et en écartant la tutelle
des résidents, jugée, à son goût, tr op pesante. De plus, elle tente de jouer de puissance à puissance
avec Nouméa. Mais en 1957, une crise institutionnelle éclate. Mise en minorité par le conseil royal,
elle refuse de démissionner comme l’invitait la coutume. Le dogme de l’intangible autorité royale
indivisible sur les trois districts vole en éclats car Mua (district du sud, le plus peuplé et le plus riche)
fait quasiment sécession.

Ainsi, la décomposition des trois pouvoirs avec la dérive de la pratique politique et de la gestion des
deux îles s’aggrave avec l’état de santé d’Aloïsia. L’administration espère une issue magique avec le
passage de l’archipel au statut de TOM alors que cela provoque un aiguisement des appétits.

À Futuna : longtemps immobile sous la houlette du père Cantala qui impose ses conceptions
traditionnelles et figées, l’île connaît une certaine stabilité jusqu’à l’arrivée de Benjamin Brial, venu
s’installer pour faire du commerce mais aussi de la politique.

 II. Le statut de TOM : intégration à la République ou détachement de la tutelle néo-calédonienne ? (1961-2003)

 1°) Le référendum du 27 décembre 1959 : contexte local et régional :

Le retour aux affaires de De Gaulle entraîne une remise en plat de la politique d’outre-mer de la
France.
À Wallis, Aloïsia, âgée et malade, démissionne entraînant l’élection en mai 1959 de Tomasi
Kulimoetoke.
C’est dans ce nouveau contexte local que débarque le ministre de l’outre-mer, Jacques Soustelle, fin
1959. Il s’agit de préparer le terrain pour le changement de statut et rassurer les pouvoirs locaux en
leur donnant des garanties :
Statu quo foncier maintenu sous sa forme coutumière [Ce statu quo est pour l’essentiel poursuivi jusqu’à aujourd’hui tant la question foncière reste un problème épineux à Wallis, alors que
des décrets ultérieurs devaient le faire évoluer sur le droit individuel occidental. ]],
Maintien des monarchies et de leurs prérogatives coutumières mais en coexistence avec une
assemblée territoriale élue,
Compromis avec le clergé local sur la question de l’enseignement avec des dérogations aux
lois scolaires afin de conserver un enseignement unique dirigé par la mission mais contrôlé
par le vice rectorat de Nouvelle-Calédonie et financé par l’Etat.

Le référendum sur la question institutionnelle mène l’ens emble des populations wallisiennes et
futuniennes des deux îles mais aussi celles qui sont expatriées en Nouvelle Calédonie et aux
Nouvelles Hébrides aux urnes le dimanche 27 décembre 1959 pour répondre à la question suivante :
“Désirez-vous que les îles Wallis et Futuna fassent partie intégrante de la République française sous
la forme d’un territoire d’outre-mer ?”
Le résultat prend un tour unanimiste avec 94% de oui avec néanmoins plus de réserve de la part de
Futuna (Document 3).
Là encore, la large victoire du oui est à mettre au crédit de la cohésion des trois pouvoirs sur cette
question après les garanties apportées par l’Etat.
L’unanimité exceptionnelle de Wallis est le produit d’une double lecture du référendum qui a aussi
servi de plébiscite au nouveau roi Tomasi Kulimoetoke face à l’opposition du clan Brial. D’ailleurs
Benjamin Brial a fait campagne pour le non à Futuna où son poids économique explique qu’une
partie des Futuniens l’ait suivi.
Par contre, les expatriés sont très favorables à cette évolution statutaire qui leur octroie la nationalité
française et donc facilite leur intégration notamment en Nouvelle-Calédonie.

**II. 2°) Les conséquences du nouveau statut :

Le résultat positif du référendum permet la ratification du vote faisant de Wallis-et-Futuna un territoire
d’outre-mer par le Parlement en juillet 1961. Les élections qui suivent sont favorables aux milieux
modérés et aux liens privilégiés avec la Nouvelle-Calédonie. (Document 4)
Le nouveau statut a permis un déroulement normal du fonctionnement des institutions locales tout en
assagissant la vie politique.
À Wallis, seul un incident en 1974, lié à la hausse non contrôlée des prix des produits importés,
dégénère en manifestation d’hostilité contre l’administrateur supérieur qui est quasiment expulsé de
l’île.
Par contre, à Futuna, les querelles traditionnelles entre les rois d’Alo et de Sigave ont continué
comme les conflits dynastiques lors des changements de roi comme en 1978 et en 1987 [6].
Dès lors, c’est une indépendance administrative vis-à-vis de la Nouvelle-Calédonie que m ènent les
politiques wallisiens et futuniens.

 II. 3°) Les accords de 2003 : vers une redéfinition des composantes françaises du Pacifique Sud et leurs rapports avec l’État ? :

Cet accord de décembre 2003 entre l’Etat, la Nouvelle-Calédonie et le territoire des îles de Wallis-et-
Futuna est directement lié à l’évolution statutaire de la Nouvelle-Calédonie dans le cadre de l’accord
de Nouméa de 1998. Ceci est d’ailleurs tout de suite rappelé dans l’article 1 [7].
Le poids économique et démographique de la Nouvelle-Calédonie, sa proximité avec Wallis-et-
Futuna et surtout l’importance de la communauté wallisienne et futunienne de Nouvelle-Calédonie,
alimentée par un fort courant migratoire amorcé pendant la seconde guerre mondiale et amplifié
après 1961, montrent que toute évolution de la Nouvelle-Calédonie a des répercutions immédiates
sur Wallis-et-Futuna.
Ainsi, l’existence même de cet accord prouve la “satellisation” de fait de Wallis-et-Futuna par la
Nouvelle-Calédonie. Mais, paradoxalement, la large autonomie obtenue par la Nouvelle-Calédonie
vis-à-vis de la République française conduit Wallis-et-Futuna à se détacher de la tutelle néo-
calédonienne [8].
Néanmoins, la fin de cette tutelle doit être accompagnée par un effort substantiel de l’Etat pour le
développement économique, social et culturel de Wallis-et-Futuna ; ce qui est l’objet de l’article 3.
Le problème que soulève cet accord repose sur la situation juridique des Wallisiens et Futuniens de
Nouvelle-Calédonie, citoyens français depuis 1961, mais étranger à la nouvelle citoyenneté néo-
calédonienne prônée par les accords de Nouméa. L’article 4 pointe du doigt cette difficulté tout en
restant très flou sur les conséquences notamment économiques de cette situation [9].

 Conclusion :

Wallis et Futuna ont connu une profonde évolution politique sur cette période entraînant un
bouleversement social et culturel.
L’adoption du statut de TOM en pleine déliquescence de l”empire colonial montre l’attachement des
populations de ces îles à la République française. Mais le renforcement des liens politiques avec la
France n’efface pas pour autant la défiance du pouvoir coutumier contre toute atteinte à ses
prérogatives.
Enfin, à l’échelle régionale, le territoire est lié économiquement à la Nouvelle- Calédonie dont
l’évolution statutaire ne manquera pas d’avoir des conséquences s ur Wallis-et-Futuna. Aussi, elles
doivent, plus que jamais, avec le soutien de l’Etat, être à la recherche d’un développement propre.

[1Le résident (lesita) Vrignaud débarqué à Wallis en juillet 1940 en pl ein e débâcle a, ainsi que la mission, fait allégeance au maréchal
Pétain alors que la Nouvelle-Calédonie est passée à la France Libre dès septe mbre 19 40. Depuis No uméa, le g ouverneur (kovana)
Sautot exhorte, sans autre moyen de pression, le résident à rejoindre De Gaulle. Ce n’est qu’en mai 1 94 2 que la France Libre envoie
l’aviso, Le Chevreuil, pour reprendre l’île en main. Le capitaine médecin Mattei remplace le docteur Vrignaud qui est mis aux arrêts.
Dans le même temps, Le nouveau résident informe les autorités religieuses de l’imminence du déb arq ue ment américain.

[2Après leur succès à Guadalcanal, la situation de Wallis est jugée trop excentrée par l’état-major américain qui annonce le départ de
leurs troupes en janvier 1944. Trois mois plus tard, il ne reste que 300 soldats sur l’île.

[3Les efforts laborieux entrepris depuis 1934 par les résidents pour améliorer les productions locales, lutter contre l’Oryctes,
développer un réseau de coopératives d’achats, promouvoir l’enseignement public sont balayés par les conséquences de la présence
américaine. Après leur départ, la cocoteraie est ravagée à 90% par l’Oryctes, le bétail décimé à tel point que les autorités
administratives et coutumières imposent l’interdit de consommation de viandes fraîches. Enfin, le lago n est appauvri par une sur pêche
souvent pratiquée à la dynamite.

[4Face à l’urgence, des ordres ont été donnés par le pouvoir administratif et coutumier ainsi que par la mission pour la reconstitution
d’une cocoteraie et pour la construction d’aménagements di vers. Ces travaux vont êtres par la suite ré munérés par l’administratio n.
Seuls les ordres donnés par les chefs de villages dans le cadre de leur juridiction restent en place.

[5Réintroduit en 1949, cet impôt touche tous les hommes entre 18 et 5 5 ans.

[6Wallis connaît le même problème depuis la maladie puis le décès du roi, condu isant aux événe ments de 2005. La récente élection
du nouveau roi semble apaiser la situation.

[7Voir l’intégralité de l’accord en documents annexes.

[8Article 2 : “ (...) l’ Etat s’engage à mettre en place, sauf exceptions justifiées par l’intérêt du service, une organisation distincte de ses
services en Nouvelle-Calédonie et sur le territoire des Iles de Wallis et Futuna (...)”

[9Article 4 : “La Nouvelle-Calédonie s’engage, dans les domaines relevant de sa compétence, à évoquer en tant que de besoin avec
le Territoire des Iles Wallis et Futuna les sujets pouvant avoir des incidences sur les ressor tissants de cette collectivité. (...).”


titre documents joints

L’évolution de Wallis de 1945 à nos jours (docs)

19 août 2010
info document : PDF
95.6 ko

Documents sur Wallis


L’évolution de Wallis de 1945 à nos jours

18 août 2010
info document : PDF
99.5 ko

La Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna depuis 1945, évolution politique, économique, sociale
et culturelle
(Terminale L, ES, S)


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