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Histoire du Pacifique contemporain

lundi 16 août 2010 par Dominique BARBE

Cette étude place l’histoire de l’Océanie dans le contexte plus large de l’histoire du Pacifique. Cette mise en perspective est nécessaire à la bonne compréhension des enjeux régionaux. Dans sa classe toutefois, le professeur s’attachera à bien centrer ses séances sur l’espace strictement océanien.

 Introduction

Vaste étendue dont l’Océan est le lien, le monde Pacifique est un ensemble de trois continents ou semi-continents humains avec en son centre un nombre important d’archipels et d’îles plus ou moins grands et surtout plus ou moins isolés. Ce monde immense qui pose à l’historien qui veut l’appréhender dans sa globalité, des problèmes méthodologiques immenses, a été relativement uniformisé au XIX siècle sous les coups de l’impérialisme occidental. Même si toutes les terres qui nous intéressent ont connu des expériences souvent différentes dans la forme, les évolutions du XIX et du XX siècle convergent vers une mondialisation et une intégration de plus en plus poussée des périphéries (parfois localisées au centre) surtout pendant et depuis la Seconde Guerre mondiale. L’entrée dans l’ère de la modernité ne se fait pas partout à la même vitesse et surtout elle épargne en partie certains endroits : à cet égard, l’isolement insulaire est un frein.
Dès lors que les choses changent et que le phénomène s’accélère dans le Pacifique Nord, on peut se demander, si les périphéries du Sud, ne sont pas soudain pénalisées par une évolution qui n’est pas sans rappeler ce qui se passe par exemple dans d’autres régions du monde où des continents entiers sont soudain délaissés.
Du milieu du XX siècle à nos jours, le Pacifique connaît plusieurs évolutions
• Le passage de champs de bataille de la Guerre Froide à périphérie délaissée ou intégrée dans les nouvelles relations internationales
• Une vague de décolonisation et le passage d’une situation coloniale à une situation postcoloniale
• Le décollage économique des rives du Pacifique nord qui contraste avec l’abandon et l’enlisement économique du centre.

Dans les années trente, le Pacifique offre l’image d’un espace contrasté, mais déjà dominé en grande partie par une puissance, les États-Unis surtout depuis que ces derniers se sont rendus maîtres de territoires sous souveraineté espagnole en 1898 (Philippines, Guam) et se sont installés au Samoa dites depuis américaines (1899). La présence étasunienne ne remet pas en cause l’hégémonie britannique sur une grande partie du Pacifique Sud. Mais depuis 1867 (avec le Canada), les Britanniques cherchent à contrôler leur espace colonial à moindre coup : aussi l’Australie en 1901, la Nouvelle-Zélande en 1907 ont-ils reçu le statut de dominions. La France est beaucoup moins présente que le Royaume-Uni. Quant à la Russie, la révolution bolchévique et la guerre civile qui en découle la rendent absente des évolutions régionales pendant plus de décennies. Reste un nouveau venu, le Japon. L’empire du Soleil Levant est le principal bénéficiaire de la Première Guerre mondiale, mais son impérialisme se heurte de plus en plus à celui des États-Unis.
Dans la plupart des espaces contrôlés directement par des puissances occidentales ou par le Japon (colonies, ou mandat de la SDN) l’impression qui domine est celle d’une somnolence parfois troublée, comme aux Samoa, par des mouvements de revendications. Mais c’est surtout sur les côtes de l’Amérique et de l’Asie que les choses bougent. Les courants révolutionnaires y sont nombreux à partir des deux centres que sont le Mexique relayé par le Pérou dans les années 1920 et l’URSS qui soutient les mouvements communistes ou ceux d’indépendance nationaliste, ce qui entraîne une grande confusion dans les effets de leur politique en Chine en particulier.

 1- Au coeur des Relations internationales

La Seconde Guerre mondiale modifie les équilibres antérieurs : l’hégémonie étasunienne est désormais tout aussi incontestable que le retour de l’URSS comme grande puissance du Pacifique. La lutte pour le leadership asiatique est la première des deux manches régionales qui se jouent entre les deux nouveaux grands avant que l’URSS dans les années soixante-dix ne se lancent dans l’établissement de zones d’influences dans les îles du Pacifique et en Amérique Centrale.

Dans le cadre du containment, les États-Unis créent tout d’abord une ligne de défense face à l’Asie où le communisme gagne du terrain. Le Japon qui connaît sept années d’occupation américaine et une épuration limitée voit la plupart des mesures prises contre son industrie par exemple suspendue en 1949, devant le regain de tensions internationales dans la région. Il trouve une place dans le système de défense étasunien que pérennise le traité de San Francisco du 8 septembre 1951. Cet accord fait des îles Ryû kyû un territoire sous mandat de l’ONU administré par les militaires américains. Okinawa devient une puissante base nucléaire et un centre de télécommunications indispensable, clé du système de défense du Pacifique occidental. En 1960, ce traité est transformé en traité de coopération et de sécurité mutuelle, qui consacre l’ancrage du Japon aux côtés des États-Unis. En même temps, à partir de 1947, les États-Unis encouragent le miracle japonais.
Par ailleurs, les États-Unis ont depuis 1945, deux flottes de porte-avions dans le Pacifique, des unités de Marines qui stationnent dans les îles micronésiennes, aux Philippines et aux îles Ryû kyû ; au Japon, ils reprennent les anciennes bases navales de Yokosuka et de Sasebo et installent leur aviation à Misawa et aux îles Aléoutiennes, prolongement de l’Alaska. Les États-Unis possèdent en outre dès 1949, un autre allié très belliqueux à Taïwan qui reste jusqu’en 1971 le représentant unique de la Chine. Le système de défense étasunien s’appuie aussi sur les archipels micronésiens. Les États-Unis reprennent la souveraineté sur Guam et se font accorder la tutelle sur toutes les autres îles de la région par l’ONU qui récupère les territoires sous mandat de la SDN. En 1947, la Micronésie se voit dotée du statut spécial de « mandat stratégique », dépendant du seul Conseil de Sécurité où les États-Unis ont un droit de veto. À condition de contribuer au développement économique et social des îles dont ils ont la tutelle, les États-Unis peuvent établir des bases militaires et en interdire l’accès aux missions de l’ONU. Ils sont maîtres des eaux territoriales de ces archipels et peuvent les fermer à qui bon leur semble. Ce statut permet de faire des essais d’armes de tous genres, en particulier nucléaires. Enfin la ligne de défense se poursuit vers le sud avec la création de l’ANZUS en 1951 qui les lie l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
Le climat de Guerre Froide encourage les États-Unis à faire du Pacifique un véritable lac atomique. Les expériences étasuniennes se poursuivent d’abord en Micronésie, à Bikini de 1946 à 1969 et à Eniwetok (ou Enewetak) de 1946 à 1958, puis à Johnston et Christmas en 1962, enfin aux Aléoutiennes provoquant la naissance de Greenpeace, une ONG canadienne. Les Britanniques emboîtent le pas en Australie de 1952 à 1963, à Malden (1968) et les Français, après la perte du Sahara, à Moruroa et à Fangataufa de 1969 à 1996.
Les conséquences à long terme des essais nucléaires dans l’environnement deviennent évidentes avant même la fin de l’ère des tests. Les essais américains contaminent durablement la terre et la mer alentour. Les populations des îles Marshall, premières populations du Pacifique touchées par les radiations, souffrent de traumatismes physiques ou psychologiques. Des déplacements de populations sont d’ailleurs vite nécessaires dans les Marshall, mais cela n’évite pas les problèmes : les habitants des atolls sont souvent les victimes d’opérations dont les effets néfastes ne seront reconnus que trente ans plus tard.
En 1986, est signé dans les îles Cook, le traité de Rarotonga qui regroupe pays insulaires autour de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. Le traité ne se sera signé par la France, le Royaume-Uni et les États-Unis qu’en 1996 (il ne sera jamais ratifié aux E-U).
Ces mesures qui se veulent préventives par la terreur qu’elles inspirent n’empêchent pas la région de connaître de violents conflits armés durant la Guerre Froide : Guerre de Corée (1950-1953), guerre d’Indochine dans sa phase finale, guerre du Vietnam où les Américains commencent à s’engager en 1964 et qui se solde par leur défaite militaire en 1975.Washington doit alors changer de politique dans la région et cesse de soutenir des régimes de dictatures (comme celui du président Marcos aux Philippines qui finit par tomber en 1986).
Il faut en effet répondre à la politique de « descente vers les mers chaudes » initiée par Moscou dès l’installation de sa flotte dans l’ancienne base américaine au Vietnam de Cam Ranh en 1975. L’offensive soviétique est tout autant diplomatique que militaire. Les accords avec les pays océaniens portent souvent sur la pêche puis sur un terrain plus géostratégique. Les Soviétiques échouent finalement auprès de Tonga en 1976 à cause de l’opposition australienne, mais ils arrivent à leurs fins avec les îles Cook en 1978 et le Kiribati en 1985 tandis que la révolution sandiniste au Nicaragua leur donne la possibilité de s’établir en Amérique Centrale : c’est une revanche sur le relatif échec du Che Guevara, mort en 1967. Parfois les États-Unis favorisent un rapprochement entre gouvernements océaniens et Moscou par la brutalité de leurs réactions. Voulant défendre ses thoniers en but à l’hostilité des autorités papoues en 1982 et salomonaises en 1984, l’administration Reagan pousse Port-Moresby, mais surtout Honiara victime d’un embargo sur son poisson vers URSS. C’est sur fond de rivalité entre Soviétiques et Américains que l’on doit relire les Évènements en Calédonie.
Le discours du 28 juillet 1986 à Vladivostok de Mikhael Gorbatchev marque une rupture avec la politique antérieure soviétique : il veut faire de la ville une fenêtre largement ouverte sur le Pacifique et affirme sa volonté d’une amorce de retrait soviétique en Afghanistan, d’un règlement des litiges avec la Chine d’un contrôle réel des armes nucléaires ainsi que d’une coopération à long terme avec le Japon. C’est la fin de la volonté de pénétration soviétique dans le Pacifique. Dans un premier temps, s’associant aux demandes des Insulaires du Pacifique, l’URSS tente obtenir une réduction de la flotte américaine et de faire de cette région une zone dénucléarisée. À partir de l’année suivante, la menace soviétique s’estompe définitivement.

 2- La décolonisation et ses limites

La période voir un autre phénomène, celui des décolonisations. Celles qui se déroulent en Asie dans la décennie qui suit la fin de la Seconde Guerre mondiale sont bien connues.
Le mouvement de décolonisation et la volonté d’émancipation touchent aussi les pays de l’Océanie plus tard. Ils n’épargnent pas les dominions blancs. En 1948, l’Australie fait un geste symbolique : elle dote ses citoyens d’un passeport différent du passeport britannique. En 1951, ne pouvant plus compter sur la Grande-Bretagne, elle signe avec la Nouvelle-Zélande le traité de l’ANZUS. En application à ce traité, les deux pays envoient des soldats en Corée, puis au Vietnam entre 1964 et 1973. Mais surtout, l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché Commun en 1972 achève la rupture et plonge la Nouvelle-Zélande très dépendante de ses exportations de viandes dans le marasme. Désormais les dominions blancs prennent leur distance définitive avec le Royaume-Uni et commencent à avoir leurs propres relations avec les pays asiatiques de la zone.
L’indépendance des Samoa en 1962 marque le début du mouvement d’indépendance en Océanie. Au Samoa, l’indépendance finalement accompagnée par la Nouvelle Zélande, qui s’y était violemment opposée avant-guerre (écrasement de la révolte des Mau). À la suite de la transformation des mandats de la SDN en territoire sous tutelle, les Samoa adressent une pétition aux Nations Unies pour recevoir la même autonomie que le royaume voisin de Tonga. Mais la Nouvelle-Zélande n’attend pas les résultats de la commission d’enquête pour organiser les institutions du futur État. Le refus des Samoans de se plier aux règles démocratiques occidentales est un frein au processus d’émancipation : les Samoans veulent en particulier réduire le droit de vote aux seuls Samoans car ils refusent de bouleverser les structures traditionnelles. Finalement, Samoa, qui n’arrivera pas à être réunifié, devient autonome en 1959 et indépendant le 1er janvier 1962. Un peu plus tard, le Royaume-Uni se désengage de Fidji où après avoir encouragé les mesures d’autonomie, il octroie une indépendance préparée en octobre 1970. La constitution garantit les droits fonciers des Mélanésiens, mais les Indiens n’obtiennent qu’un système électoral compliqué qui les lèse. Les promesses d’émergence d’un parti pluriethnique peuvent alors faire espérer un développement harmonieux du nouvel État dans le cadre du Commonweath. On parle alors de triomphe de la Pacific Way, une façon efficace de régler les conflits à l’amiable. Cinq ans plus tard, après plusieurs années de préparation et deux années d’autonomie, la PNG reçoit l’indépendance. Le Pangu Paty de Somare s’installe au pouvoir. Les Salomon sont indépendants en 1978 et le Vanuatu en 1980.
La décolonisation en Océanie a pris parfois des tours inattendus. C’est le cas en Irian Jaya (West Nieuw Guinee). Après la guerre, cette moitié occidentale de la Nouvelle Guinée reste administrée par les Néerlandais, peu désireux de satisfaire les revendications des Indonésiens nouvellement indépendants sur ce territoire. Les Néerlandais tentent de préparer les Papous occidentaux à l’indépendance, en développant l’éducation et la formation professionnelle. Il s’agit de créer une élite capable de prendre en charge le pays. Des partis politiques et des syndicats naissent à cette époque. En 1961, les premières élections organisées dans le pays permettent la constitution d’un parlement national. Mais ses jours sont comptés car l’Indonésie fait de son annexion un point d’honneur et dans le climat de Guerre Froide qui sévit alors, les États-Unis et les Pays-Bas sont soucieux de ne pas trop heurter une Indonésie prête à tendre la main à Moscou. Les Pays-Bas cèdent alors en 1962, l’administration de la région à l’ONU qui la rétrocède à l’Indonésie le 1er mai 1963. Commence alors une guérilla qui n’est pas finie aujourd’hui.
Les colonies françaises du Pacifique offrent une autre évolution. La période s’ouvre sur la disparition du statut de colonie remplacé par celui de DOM-TOM doté pour ces derniers d’une assemblée territoriale et la suppression du code de l’Indigénat : les Kanak deviennent pleinement citoyens en 1957. La loi cadre Defferre de 1956 majore les pouvoirs de l’Assemblée des TOM et en 1958, les TOM océaniens choisissent de rester français et de devenir membres de la Communauté. Mais la V° République apporte plus de modernité que de démocratie dans des territoires touchées par l’évolution internationale : cette première passe par le boom du nickel en Nouvelle-Calédonie, par les retombées économiques de la nucléarisation en Polynésie.
Il ne faut pas pour autant pas non plus négliger les forces politiques locales principalement en Polynésie où le Rassemblement démocratique des Populations Tahitiennes (RPDT) de Pouvanaa A Oopa réclame à la fin des années 50 , l’« océanisation » des cadres, la lutte contre le capitalisme et le combat contre le colonialisme. En Nouvelle-Calédonie, la participation des Mélanésiens à la vie politique augmente, mais l’Union Calédonienne (UC), créée en février 1953 par le député Maurice Lenormand éclate sur l’attitude à adopter face à la politique centralisatrice de Paris à partir de 1958.
En Nouvelle-Calédonie, l’essoufflement du boom du nickel fait de la terre l’enjeu très fort d’une revendication kanak. Les premières tensions qui mènent aux Événements sont contemporaines de ces difficultés économiques. Les voix s’élèvent de plus en plus pour réclamer l’indépendance : même l’Union Calédonienne se prononce pour l’indépendance à son congrès de Bourail en 1977, tandis que se crée la même année un Front Indépendantiste (FI), qui se définit « anti-capitaliste, anti-impérialiste, pour le socialisme, pour l’unité du peuple à la base. »
L’arrivée des socialistes au pouvoir à Paris marque un temps d’arrêt dans les revendications. Mais aucune solution n’est trouvée : c’est l’époque de la valse des statuts. En novembre 1984, la situation devient insurrectionnelle : c’est le début des Évènements marqués de barrages, de sabotages et de morts. Ils vont durer quatre ans, au terme desquels le Front de Libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) - fondé en septembre 1984 et inspirateur d’un gouvernement provisoire de Kanaky - et le Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR) - parti de la droite calédonienne dirigé par Jacques Lafleur - acceptent de dialoguer sous les auspices du gouvernement français. Le 26 juin 1986 sont signés les accords de Matignon, suivis dix ans plus tard par l’accord de Nouméa. L’évolution est moins heurtée en Polynésie où les réformes de 1977 à 1984 calment les mécontentements.
Reste le cas des possessions étasuniennes. Les États-Unis intègrent complètement Hawaii qui devient le 50e État de l’Union en 1959, sept mois après l’Alaska.
Cependant ni les Samoa américaines, ni Guam – les autres territoires insulaires américains comme Johnston ou Wake n’ont aucun habitant – ne connaissent une évolution aussi favorable. Ils n’ont pas le statut d’État fédéré. Guam fait partie des « territoires non-incorporés organisés », territoires qui appliquent en partie la constitution américaine et bénéficient d’une autonomie avec leurs parlements et gouvernements locaux, ainsi qu’au niveau international. Leurs habitants sont citoyens américains, mais ils ne participent pas aux élections de l’Union. Les Samoa sont des « territoires non-organisés ». Ce type de territoire n’applique pas la constitution américaine : il a un parlement et des représentants indépendants des États-Unis, et n’a aucune possibilité de passer des accords internationaux.
La tutelle étasunienne sur la Micronésie est aussi très réelle. Les Mariannes du Nord choisissent par référendum, en 1975, un statut de Commonwealth, proche de celui de Guam et déjà appliqué à Porto-Rico. Les Marshall et Palau refusent également de suivre le reste de la Micronésie qui en 1976 est élevé au rang d’État, même si les États-Unis conservent une partie de la souveraineté sur l’archipel (diplomatie) : l’indépendance n’est effective qu’en 1990. Les Marshall, séparées de la Micronésie, choisissent cependant un statut identique, avec des clauses de sécurité étendues à trente ans pour Kwajalein. Quant à Palau, le territoire se dote par référendum d’une constitution en 1981, ce qui lui permet la signature d’un accord-cadre de libre association avec les États-Unis. Ayant une constitution résolument anti-nucléaire, l’accord est finalement ratifié à Palau après huit référendums successifs en 1993. L’indépendance de cet État, définitivement acquise en 1994, montre assez que pour bénéficier de la manne financière des États-Unis, condition de survie pour des micro-États sans ressource, des sacrifices majeurs s’imposent, sur le domaine du nucléaire notamment.

 3- Vivre l’indépendance

Les nouveaux États indépendants ont un poids régional qui leur permet parfois de s’imposer pendant quelques années. Walter Lini, père du socialisme mélanésien, promeut non seulement ses idées mais également une image moderne du nouvel Etat dont il est le président, le Vanuatu : il veut concilier, à la mode tanzanienne – la Tanzanie de Julius Nyerere –, le socialisme et la coutume mélanésienne qui accorde une importance fondamentale au collectif sur l’individuel.
Au niveau planétaire, l’ONU est une tribune pour ces nouveaux États qui peuvent vendre leur voix pour des avantages matériels : c’est le moyen que Taïwan a trouvé pour contrecarrer la politique de la Chine communiste. Mais parfois, ils arrivent avec d’autres à se faire entendre sur des points importants. Le nouveau droit de la mer est ainsi adopté à la 3e conférence sur le droit de la mer qui, débutée en 1973, s’achève en 1982 (signature à Montego Bay, à la Jamaïque, de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM)). Il donne des avantages énormes aux États et territoires insulaires. Avec soixante cinq mille habitants répartis sur des dizaines d’îles couvrant une superficie terrestre de six cent quatre-vingt-dix kilomètres carrés, le Kiribati est ainsi doté d’une ZEE de trois millions et demi de kilomètres carrés. Les États de la région ne sont pas les seuls à profiter de cette situation : l’îlot inhabité de Clipperton donne à la France une ZEE de plus de quatre cent cinquante mille kilomètres carrés.
Pour offrir un front commun au niveau international, les États et territoires océaniens sont très tôt conscients de la nécessité de se regrouper. Dès 1947, dans le but de promouvoir la coopération et le développement du Pacifique, est créée, la Commission du Pacifique Sud, dont sont membres de droit toutes les nations ayant la charge de peuples du Pacifique. Par la suite, la Commission reprend à son compte des sujets d’études dans les domaines de l’éducation, de la santé ou de l’agriculture. Plus de vingt ans plus tard, en août 1971 est fondé à Wellington, le Forum du Pacifique Sud, rebaptisé en 2000, Forum des îles du Pacifique, basé aujourd’hui à Fidji. Cette organisation internationale fait son cheval de bataille de la dénucléarisation du Pacifique et le Forum sert de cadre pour l’adoption et la ratification du traité de Rarotonga, le 6 août 1985. Ce traité instaure une vaste zone dénucléarisée en Océanie.
À un niveau plus régional, en 1982, Walter Lini propose le projet d’une union fédérale régionale mélanésienne de la Papouasie à la Nouvelle-Calédonie. Il est ainsi à l’origine du Groupe mélanésien du Fer de Lance créé à Port-Vila en mars 1988, mais qui existe informellement depuis 1986. Le but de ce mouvement est double, soutenir le mouvement indépendantiste kanak en Nouvelle-Calédonie, en appuyant notamment le FLNKS lorsqu’il dépose un projet de constitution du futur État de Kanaky à l’ONU et créer une zone de libre-échange dans la région.
Avec la disparition du Bloc communiste, les organismes de coopération vont connaître une évolution qui les tourne vers des projets d’intégration économique. Créée en 1967, l’ASEAN, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) dont la vocation initiale était de faire front au communisme, devient en 1992 une union douanière se donnant 15 ans pour devenir une zone semblable à l’Union européennes dans la région. Dans le même esprit les États-Unis créent avec leurs voisins l’ALENA (janvier 1994). Dès lors, pour lutter contre l’isolement économique qui la guette, l’Australie plaide la cause d’une organisation spécifique. Un projet de Coopération économique Asie-Pacifique (APEC), voit le jour en 1989 et émerge comme une force en 1993. Cette année là, réunis à Seattle à la demande de Bill Clinton, les quinze membres de l’APEC font pression sur l’Europe dans les négociations du GATT. L’événement, symbolique, consacre l’émergence d’une zone Pacifique face à la zone Atlantique. L’année suivante, l’APEC se fixe à Bogor un objectif, celui de développer une zone de libre échange et d’investissements dans l’Asie-Pacifique en 2010 pour certains Etats, en 2020 pour les autres, en fonction de leur niveau de développement. La crise asiatique de 1997 a porté un rude coup à ces tentatives de coopération riveraine et qui excluent la zone insulaire du Pacifique.
Les évolutions internationales et économiques des dernières décennies du XX siècle ont des incidences importantes à l’intérieur des nouveaux États.
Ainsi assiste-ton à la fin de ce qui apparaît alors comme une chimère : le Pacific Way. Le Pacific Way, comme mode de règlement des conflits, a triomphé transitoirement à Fidji en 1970. Mais il ne dure pas et d’autres modes de fonctionnement, plus violents, sont employés. L’entente entre Mélano-Fidjiens et Indo-Fidjiens (initialement deux populations numériquement identiques) ne résiste que le temps des premières élections. Les Indo-Fidjiens n’acceptent ni le système électoral, ni les mesures favorisant leur rapatriement en Inde. Les tensions s’intensifient à la suite des élections de 1977, croissent les années suivantes et culminent en 1987 par deux coups d’État militaires et la proclamation d’une république. Les Mélanésiens reprochent alors aux Indiens de contrôler la vie économique du pays. La nouvelle constitution favorise largement les Fidjiens d’origine mélanésienne et, en 1992, l’organisateur des deux coups d’état, le général Sitiveni Rabuka devient Premier ministre. Il se fait l’apôtre de la non-violence entre ces deux communautés où règne un profond malentendu. Mais les coups d’État se succèdent, toujours fomentés par les Mélano-Fidjiens, mobilisés par la peur de se voir dépossédés de la terre et du pouvoir par les Indo-Fidjiens, plus riches et mieux intégrés dans l’économie de marché internationale. Les troubles suscitent des départs, qui ne donnent cependant pas l’avantage numérique aux Mélanésiens. Le coup d’État de 2006 est un peu différent. Mené par un militaire mélanésien comme les précédents, il est dirigé contre le gouvernement de Qarase, devenu après sa victoire électorale de 2001, le défenseur des autochtones contre les Indo-Fidjiens et l’auteur d’un certain nombre de mesures discriminatoires en faveur des Mélanésiens. Le nouvel homme fort de Fidji, Frank Bainimarama se fixe l’objectif de mettre fin aux tensions interethniques. Actuellement, le pays, soumis à un régime transitoire, et qui attendait des élections libres pour 2009, semble sombrer peu à peu dans une dictature militaire.
À la division de la population en deux groupes ethniques s’ajoute l’inquiétude des chefs de l’est de l’archipel, qui craignent tout ce qui peut porter atteinte à leur pouvoir et à la coutume. Les aspirations des Indo-Fidjiens et des Mélanésiens des villes sont aussi dangereuses pour le maintien de leurs intérêts, que le rejet par les Blancs de la politique d’apartheid. Les tensions entre les chefs coutumiers et les autres, mettent l’armée, souvent employée dans des opérations de paix de l’ONU, en position naturelle d’arbitre. Le pouvoir autoritaire en place bénéficie enfin de l’appui de certains hommes politiques ou universitaires fidjiens qui pensent ouvertement que la coutume n’est pas compatible avec la démocratie. Les crises de la fin du XX siècle aux Fidji ou aux Salomon où l’État se délite peu à peu montrent bien que la démocratie n’est pas une valeur solidement installée dans la région.
Le Pacific Way est aussi abandonné dans les relations internationales de la région. Une gestion déplorable, une corruption généralisée, une insécurité grandissante favorisent sa disparition. Le conflit de Bougainville en Papouasie-Nouvelle-Guinée en est un exemple. De guerre intérieure, le conflit s’est étendu au pays voisin, les Salomon, provoquant une guerre civile entre habitants de Malaita et de Guadalcanal de 1998 à 2002. Une intervention armée australienne a ramené la paix : la présence des Australiens est encore aujourd’hui le meilleur garant de l’ordre civil dans l’archipel.

 4- Une nouvelle donne économique

En 1970, le Japon qui s’est reconstruit rapidement surtout depuis 1956 est déjà au troisième rang de l’économie mondiale. Il est moteur dans la région. La prospérité du Japon fait des émules. Les pays voisins imitent un modèle qui passe alors pour particulièrement efficace, tout en partant de situations totalement différentes. Jusqu’en 1955, le Japon est un pays ruiné qui a derrière lui une histoire industrielle, un savoir-faire et surtout des structures, tandis que la Corée ou Taiwan partent d’une économie principalement agraire où l’industrie était, jusqu’en 1945, une industrie coloniale aux mains des mêmes Japonais.
Mais ni le Corée, ni Taïwan, attractifs par une main d’oeuvre peu cher encadrée par un régime fort, ne sont aussi solides que le Japon. La Corée est surendettée. Pourtant dans un premier temps, les Nouveaux Pays Industriels (Corée du Sud, Taiwan, Hong Kong et Singapour) sont imités par les pays que la presse de l’époque appelle les Tigres (Indonésie ou Philippines par exemple). Ce développement s’accompagne d’une démocratisation de tous ces régimes forts et dictatoriaux, qui ont obtenu des débuts de croissance au prix du maintien autoritaire de l’ordre social. Ainsi, le régime du président Marcos aux Philippines, longtemps soutenu par les États-Unis face aux mouvements séparatistes et souvent marxistes, agitant l’archipel, tombe-t-il, en février 1986. Le pays sort de plus de quinze ans de loi martiale.

La prospérité générale et la fin de la Guerre Froide, avec la présence d’une Chine qui accepte désormais les lois du marché, annoncent une ère mondiale totalement nouvelle où le Pacifique est en passe de dépasser par ses résultats économiques l’Atlantique. C’est alors que les medias européennes, françaises en particulier, présentent le Japon non seulement comme un modèle économique de réussite, mais aussi comme un vrai modèle de société. Il semble que l’époque de la prédominance économique, survenant après trois décennies de Guerre Froide, va permettre de réaliser une intégration impossible auparavant.
Le succès asiatique est perceptible en 1987 lorsque les flux transpacifiques entre l’Asie et les États-Unis s’inversent. Dix ans plus tard, la crise financière et boursière a ralenti l’essor de la région à l’exception toutefois importante de la Chine.
Les Grandes puissances semblent se désintéresser du sort des habitants et des sociétés insulaires de la région. Le Royaume-Uni se retire en 1996 des institutions régionales, même si l’année suivante, il réintègre la Communauté du Pacifique – l’ex-CPS qui a changé de nom en 1998 – prétextant qu’il possède encore le minuscule îlot de Pitcairn, peuplé d’une centaine de descendants du Bounty. Les États-Unis se désengagent en fermant des ambassades et en réduisant leur aide. Mais ce désengagement reste partiel dans les îles situées au nord de l’équateur. Les îles Marshall et les États fédérés de Micronésie renouvellent le Compact of free Association qui leur permet de recevoir une aide financière, garantie pour vingt ans contre l’utilisation de bases par les Américains : la base de Kwajalein, nécessaire au programme de défense stratégique de « la Guerre des étoiles », leur est ainsi garantie jusqu’en 2066. La Chine, qui s’intéresse de longue date aux pays en voie de développement, multiplie les initiatives dans le Pacifique principalement oriental pour sécuriser les routes commerciales indispensables à son développement extraverti. Mais l’Océanie ne constitue pas un enjeu majeur pour la Chine qui se contente dans cette région de déclarations suivies de quelques mesures parcellaires (tout au moins pour l’instant).
Seule, la France continue sa politique d’aide régionale, en prenant le contre-pied de la politique de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. Ces deux pays, inquiets de la dérive des États voisins, fournissent une aide qu’ils essaient de contrôler sans intervenir dans la politique des États bénéficiaires. L’équilibre est donc instable et ne manque pas de déclencher des polémiques parmi les hommes politiques australiens. Les relations entre la France et les dominions blancs se sont améliorées ces dernières années, les territoires français représentant encore des îlots de stabilité et de prospérité au milieu d’un océan de plus en plus tumultueux. Mais l’Australie a tendance à considérer le Pacifique Sud comme une chasse gardée et accepte mal que les pays de la zone se tournent vers l’Asie pour commercer. Durant les événements salomonais, elle se pose même en gendarme de la région. En 2003, elle envoie dans l’archipel une force d’intervention de mille cinq cents hommes, auxquels se joignent cent quarante Néo-Zélandais.
Les mêmes raisons guident d’autres initiatives de Canberra : le préfet de police de Fidji est désormais australien et, en août 2003, c’est un Australien qui devient le président du Forum du Pacifique Sud, par élection à bulletins secrets et non, comme c’est la coutume, du Pacific Way, par consensus. À cet égard, cette nomination est une double « première ». Le gouvernement libéral de John Howard a même d’autres ambitions. Il veut créer une zone économique dans la région avec comme monnaie unique le dollar australien. La défaite électorale de Howard et de son parti à la fin de l’année 2007 porte sans doute un coup fatal à ce projet qualifié alors de « néo-colonialiste », dans les rangs d’une opposition devenue majoritaire.
La mondialisation qui avait commencé au XVI siècle semble désormais couper l’espace Pacifique en deux parties : un Nord qui reste pleinement intégré au monde qui continue de se développer et un Sud insulaire de plus en plus laissé à lui-même alors que commence à se poser de redoutable challenge écologique : Nauru, Tuvalu, Kiribati sont en passe de disparaître. Par ailleurs, après la balkanisation qui a accompagné le processus de décolonisation, on observe aujourd’hui une « africanisation » : elle est très sensible dans l’arc mélanésien où la société traditionnelle est en complète désagrégation et où les jeunes fuient les tribus pour le mirage urbain alors même que la macrocéphalie des capitales est souvent un problème insoluble en Océanie. Toutes les villes de la région sont en passe de devenir des
zones d’insécurité, comme le sont devenus beaucoup de régions en Papouasie ou aux Salomon. Partout, la délinquance urbaine augmente L’avenir est donc sombres et les défis nombreux à relever dans une région qui manque de moyens.


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Histoire du Pacifique contemporain

8 août 2010
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Cette étude place l’histoire de l’Océanie dans le contexte plus large de l’histoire du Pacifique.


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