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Pour comprendre la situation aux Fidji

samedi 17 juillet 2010 par Hélène GOIRAN

Les Fidji sont le seul pays du Pacifique insulaire à avoir connu des coups d’Etat militaires et le Commodore Frank Bainimarama, commandant de l’armée, est à la tête du pays depuis le 5 décembre 2006.

L’implication de l’armée dans la vie politique fidjienne est évidente depuis 1987, alors que, jusque-là, le pays paraissait stable et peu menacé par un coup de force des militaires, ceux-ci étant très engagés dans les opérations de paix internationales et montrés en exemple pour leur valeur et leur professionnalisme. La population fidjienne, composée de deux communautés d’importance comparables, les Mélanésiens et les Indo-Fidjiens1, vécut dans la paix tant que les autochtones gardèrent le pouvoir politique. A partir de son indépendance, en 1970, les Fidji furent gouvernées par le parti de l’Alliance, son leader, Ratu Mara étant le Premier ministre. Les ministres étaient majoritairement des Fidjiens. Les élections d’avril 1987 virent la défaite de Ratu Mara et de son parti face à une coalition composée du National Federation Party (N.F.P.) et du parti travailliste, le Fiji Labour Party (F.L.P.), récemment créé. Cette coalition était conduite par le docteur (Fidjien de souche) Timoci Bavadra. Ce Mélanésien progressiste devint Premier ministre et composa un gouvernement multiracial. Beaucoup de Fidjiens de souche y virent la perte de leur pouvoir politique au profit des Indo-Fidjiens, qui détenaient déjà une large part du pouvoir économique. Les groupes nationalistes se mobilisèrent et la tension monta. Peu importaient la légalité et l’équité, c’était une question de légitimité. Les nationalistes considéraient que leur suprématie était quasiment de droit divin, s’appuyant sur l’Ancien testament et des terres données par Dieu aux peuples élus.

L’armée était presque entièrement fidjienne, la police l’était en majorité. Beaucoup de leaders coutumiers avaient une instruction militaire et souvent une expérience des opérations extérieures, acquise pendant la Seconde Guerre mondiale, la campagne de Malaisie ou les missions de soutien de la paix. Rares étaient les Indiens à avoir une telle formation. Les Mélanésiens avaient donc le monopole de la force légale. Le 14 mai, l’officier qui était le numéro trois des Royal Fiji Military Forces, le lieutenant-colonel Sitiveni Rabuka, opéra un coup d’Etat.
Malgré les pressions internationales, Rabuka et ses partisans restèrent au pouvoir pendant 12 ans.

En 1999, les élections furent remportées par le parti travailliste. Son leader, l’Indo-Fidjien Mahendra Chaudhry, fut nommé à la tête d’un gouvernement multiracial de coalition. L’agitation monta dans l’archipel. Le 19 mai 2000, dans la foulée d’une grande manifestation nationaliste dans les rues de Suva, un groupe mené par un homme d’affaires douteux, mi-mélanésien, mi-européen, George Speight, et soutenu par des membres des forces spéciales des Republic of Fiji Military Forces, entra en force dans le Parlement (comme l’avait fait Sitiveni Rabuka 13 ans auparavant) et prit en otage le Premier ministre, les ministres et les députés qui s’y trouvaient.
Mais, comparé à celui de 1987, le coup de mai 2000 ne fut que confusion. L’opération était mal planifiée, ses meneurs restant dans l’ombre et poussant sur le devant de la scène des acteurs qui n’avaient pas l’envergure nécessaire pour la faire réussir. Manquant du support opérationnel de l’armée dans son ensemble, ses instigateurs ne purent pas contrôler la radio, la télévision ni les télécommunications.

L’armée ne s’y rallia pas, au contraire. Son commandant, le Commodore Bainimarama, instaura la loi martiale le 29 mai. Il prit la tête de l’exécutif du pays et fut ainsi le chef de l’Etat jusqu’à la signature de l’accord de Muanikau, le 29 juillet. Les putschistes et leurs partisans, qui comptaient sur le soutien des militaires et n’avaient pas prévu leur opposition, se sentirent dépossédés de leur action et accusèrent Frank Bainimarama d’avoir opéré un coup dans leur coup.
Les événements de mai 2000 firent connaître le Commodore Bainimarama comme défenseur de la démocratie et des institutions fidjiennes face aux agissements des nationalistes mélanésiens. Ayant obtenu la libération des otages (après 55 jours de détention) puis arrêté les meneurs (visibles) du coup, Frank installa sans tarder un gouvernement provisoire civil dirigé par Laisenia Qarase, choisi pour des compétences économiques et le fait qu’il n’appartenait ni à la classe politique ni à l’establishment coutumier, et retourna à ses fonctions de commandant de l’armée tout en observant les agissements du gouvernement relatifs aux trop lentes enquêtes sur les événements.
Début 2004, à l’approche de l’expiration de son temps de commandement, le Commodore se cramponna à son poste et s’opposa au gouvernement pour empêcher que les instigateurs et bénéficiaires du renversement du gouvernement Chaudhry ne continuent à échapper à la justice. Maintenu dans ses fonctions par le Président de la République, malgré l’opposition du Premier ministre, il continua à participer de manière très substantielle à la vie politique du pays. Malgré les résultats des élections de 2001 et 2006 qui ont conforté la légitimité de Laisenia Qarase, le Commander RFMF est resté l’homme fort des Fidji. Aucune sanction véritable n’a été prise contre lui alors que son attitude outrepassait ses compétences. Après des mois de confrontation verbale avec le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur (son ministre de tutelle, Josefa Vosanibola), les prises de position politiques de Frank Bainimarama se sont radicalisées en septembre 2006 et ses exigences à l’égard du gouvernement Qarase n’ont fait qu’augmenter, suscitant l’inquiétude et les réactions d’Etats (Australie, Nouvelle-Zélande, Etats-Unis, notamment) et d’organisations (l’ONU surtout).
Malgré le très fort soutien que lui apportait la communauté internationale, L. Qarase était très isolé aux Fidji : ni ses ministres, ni les institutions coutumières, ni les autorités religieuses, ni les organisations non-gouvernementales locales ne se sont mobilisés en sa faveur. Il a tellement montré sa faiblesse que le Commodore, conforté dans sa puissance et lassé de ce qu’il considérait comme les mensonges du chef du gouvernement, a exigé toujours davantage.
Mardi 5 décembre 2006, après avoir, depuis la veille, procédé à diverses actions déjà illégales, dont la récupération (sans violence ni résistance) des armes et munitions de la seule unité de la police qui en détenait, Frank Bainimarama a obtenu du Président de la République qu’il contraigne le Premier ministre à céder aux exigences des militaires ou à démissionner. Laisenia Qarase a refusé et Ratu Josefa Iloilo a chargé le Commodore de mettre en place un gouvernement intérimaire. Puis le Président a changé de position et a désavoué le Commander RFMF, qui a décidé de continuer son action, conduisant le quatrième coup d’Etat fidjien en moins de 20 ans.
Les militaires fidjiens, très majoritairement solidaires et en accord avec leur Commander, ne semblaient pourtant pas être prêts à mener un coup d’Etat, puisque, en 2000, ce sont eux qui avaient évité le bain de sang que le coup n’aurait manqué d’être si le Commodore n’avait pris le pouvoir pour.
L’ironie de la situation de la fin de l’année 2006 est que c’est Frank Bainimarama, précisément, qui avait choisi Laisenia Qarase comme Premier ministre intérimaire en 2000, pensant que ce roturier spécialiste des finances publiques saurait rétablir la situation économique (très dégradée) du pays et échapper aux pressions et malversations de la classe politique. L. Qarase, une fois au pouvoir, s’était révélé être très proche des milieux nationalistes et avait immédiatement mené une politique destinée à s’assurer le soutien des Fidjiens mélanésiens.
Se déclarant investi d’une mission au service de son pays qui dépasse l’obligation de respecter la Constitution, le Commodore s’est alors fixé pour objectif de finir la tâche commencée en 2000 en empêchant le plein succès du coup d’Etat conduit par George Speight : il considère de son devoir (et de celui de l’armée dans son ensemble), de faire en sorte que tous les citoyens, sans distinction d’origine, aient les mêmes droits et les mêmes devoirs et que ceux qui ont causés les événements dramatiques de 2000 et/ou qui se sont enrichis indûment soient tous poursuivis et sanctionnés. Ce que le gouvernement Qarase refusait catégoriquement, au nom de la prééminence des intérêts des Fidjiens de souche.
Début 2009, plus de deux ans après son coup d’Etat, « Frank » pouvait se féliciter :

  • sa nomination avait été validée en octobre 2008par la High Court de Suva qui a jugé que le Président de la République, en le nommant Premier ministre intérimaire, avait agi dans le cadre de ses compétences constitutionnelles ;
  • la violence avait été évitée et les mesures d’urgence levées (alors qu’elles étaient toujours en vigueur, par exemple, dans la capitale du Royaume des Tonga depuis l’émeute de novembre 2006) ;
  • la plupart des institutions et organisations fidjiennes avaient cessé de s’opposer à lui et à son action (à commencer par les chefs coutumiers et l’Eglise méthodiste) ;
  • la majorité de la population le soutenait (que ce soit par adhésion ou par résignation).

Une Charte populaire a été élaborée, qui pose les bases de l’évolution du pays. Les mentions de l’appartenance ethnique ont disparu des documents officiels. Les sanctions imposées par certains pays, surtout l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les Etats-Unis, ont eu pour conséquence une diminution du nombre de touristes se rendant aux Fidji et, donc, l’affaiblissement de l’économie, mais le gouvernement provisoire ne se laissait pas influencer. Le Forum des îles du Pacifique exigeait pour le 1er mai l’annonce d’élections avant la fin de l’année 2009, sinon les Fidji

seront exclues de l’organisation. Le gouvernement intérimaire s’est tourné vers d’autres partenaires, en particulier asiatiques (Chine, Inde, Indonésie, Malaisie) approfondissant les relations, non seulement dans les domaines économique et politique, mais aussi en termes de coopération de défense, qui changeront indéniablement les équilibres régionaux.
Puis, le 9 avril 2009, la Court of Appeal, examinant en appel la validité de la nomination de Frank Bainimarama et de la dissolution du Parlement, a jugé que celles-ci étaient illégales et que le Président de la République devait nommer un nouveau Premier ministre intérimaire, ni Laisenia Qarase, ni Frank Bainimarama. Le soir même, le Commodore déclarait admettre le jugement mais vouloir faire appel devant la Supreme Court. Le lendemain, le Président de la République annonçait qu’il abrogeait la Constitution et gouvernerait par décrets, révoquait les juges et allait nommer un nouveau chef de gouvernement provisoire chargé de diriger le pays jusqu’à des élections, au plus tard en septembre 2014 ( !). Le 11 avril, il renommait Frank Bainimarama à ce poste, et celui-ci recomposait autour de lui le même gouvernement provisoire. Les détracteurs du Commodore, dans le pays et à l’extérieur, renouvelaient leurs sévères critiques.
Alors que l’armée fidjienne de 1987 avait rallié massivement Rabuka pour défendre les intérêts mélanésiens, celle de 2000, derrière le Commodore Bainimarama, refusa de soutenir les conspirateurs et celle de 2006 mena au contraire un coup d’Etat pour mettre fin aux divisions ethniques et à la domination des chefs coutumiers. Ce changement radical de posture des militaires s’explique peut-être par différents facteurs. D’abord, par nature, le soldat obéit ; si le commandement donne des ordres, en général, il obtempère. Et le commandement des R.F.M.F. était, en 2000, solide et déterminé à éviter les troubles qui, en 1987, avaient tant fait souffrir les Fidji, et si longtemps. Tous les militaires, ou presque, avaient alors participé, souvent plusieurs fois, aux difficiles opérations de soutien de paix dans des pays lointains, notamment au Moyen Orient, ce qui leur avait ouvert l’esprit et leur avait montré les dégâts catastrophiques des conflits entre communautés. Sur le site Internet des R.F.M.F., dans les pages consacrées aux opérations de soutien de la paix, il est indiqué que « les nombreuses années d’expériences dans le maintien de la paix ont grandement aidé les R.F.M.F. à gérer les problèmes locaux avec professionnalisme et à l’amiable, tout en ramenant la nation sur la voie des principes démocratiques ».

1 Les Fidji étaient devenues une colonie britannique le 10 octobre 1874. La colonie devait produire pour se financer ; le coton, la canne à sucre et le cocotier nécessitaient beaucoup de main d’oeuvre. Les travailleurs sous contrat des autres îles du Pacifique étaient de moins en moins nombreux car, après beaucoup d’abus, les contrôles s’étaient faits contraignants et le flux se tarissait. Le gouverneur Gordon ne voulut pas recourir aux Fidjiens pour ne pas modifier leur mode de vie villageois. A Trinidad comme à Maurice, où il avait été en poste, il avait vu à l’oeuvre les travailleurs indiens sous contrat et estima que le même dispositif pourrait être appliqué aux Fidji.
Entre 1879 et 1916, les autorités coloniales britanniques organisèrent l’engagement et le transport vers les Fidji d’environ soixante mille Indiens : des ouvriers agricoles, mais aussi des femmes et des enfants. Beaucoup restèrent aux Fidji à l’issue de leurs contrats. Ces populations indiennes conservèrent leurs caractéristiques culturelles et religieuses, notamment leurs langues. Le métissage fut exceptionnel. Au milieu du XXe siècle, les Indo-Fidjiens représentaient plus de 50% de la population de la colonie.


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8 août 2010
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