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Comment enseigner une question socialement vive (QSV) dans le cadre de l’enseignement de l’HG-EMC-HGGSP en Nouvelle-Calédonie ?

samedi 29 juillet 2023 par Patrice FESSELIER-SOERIP

 Qu’est-ce qu’une question socialement vive (QSV) ?

Des questions socialement vives posent un questionnement nouveau. Elles font appel à l’émotion voire au traumatisme. Ce sont des questions controverses, que l’on retrouve dans les médias, relevées par les historiens et philosophes.
Se pose alors la question de la légitimité. La question du silence de certains acteurs mais aussi de la responsabilité des descendants. L’élève peut alors questionner son positionnement : « de qui suis-je solidaire » d’après Charles Heimberg in L’ enseignement des QSV en histoire et géographie (historien et didacticien de l’histoire, professeur à l’université de Genève).
Dois-je être solidaire de mes ancêtres ou des contemporains ? Cette réflexion repose sur des valeurs et des émotions et examine la question identitaire. Les QSV permettent ainsi de sortir d’un discours réparateur pour adopter une posture épistémologique et interroger les savoirs.
Pour sortir de l’émotion, il faut aller vers des savoirs : l’enjeu est de construire avec les élèves la problématique. Pourquoi se poser des questions encore aujourd’hui ? Qu’est-ce qui fait débat ? Qu’estce qui est en débat ? Pourquoi est-ce vif ? Les faits ne sont pas en débat, ce sont les interprétations qui sont questionnées. Ce sont donc des enjeux complexes qui reposent sur les pratiques sociales de référence qui sont à construire avec les élèves. Enseigner, les QSV, c’est enseigner des résultats et faire comprendre des choix, des interprétations.
Il vaut mieux se poser la question du pourquoi à la place du comment. C’est ce qui nécessite de questionner en même temps le vécu, les valeurs, les émotions qui parlent aux élèves et des enjeux globaux. La contextualisation est donc indispensable pour expliquer cette tension aux élèves et peut être mise en lumière par une démarche d’enquête. L’enquête historique doit permettre aussi de confronter des sources. Cette démarche permet donc un processus de mise à distance tout en contextualisant les documents.
Les questions socialement vives dans nos classes ont permis aux élèves de s’approprier aussi une histoire commune en Nouvelle-Calédonie. Et cela passe par la reconnaissance de l’histoire de l’Autre. Étudier le chef Ataï durant l’insurrection de 1878, c’est aussi permettre de déconstruire tout le mythe autour de ce que certains considèrent comme un martyr, le « héros d’un roman national » (cf. Jerry Delathière).

L’étude de la statue du gouverneur Jean-Baptiste Olry (vice-amiral, gouverneur de la NouvelleCalédonie d’avril 1878 à août 1880), inaugurée en 1897, transférée, en 2021, de la place des Cocotiers au jardin du musée de la ville de Nouméa permet à la fois de traiter :

  • de l’insurrection kanak de 1878 réprimée par le gouverneur Olry ;
  • des conséquences de la colonisation entre 1853 et 1878 ;
  • de la question du statut de l’indigénat instauré de 1887 à 1946 ;
  • des motivations expliquant la décision du conseil municipal de 1893 d’ériger cette statue mettant à l’honneur ce gouverneur militaire ;
  • du sculpteur Denys Puech (lauréat du prix de Rome en 1884, directeur de la Villa Médicis en 1921 et dont les œuvres sont exposées aujourd’hui au Musée d’Orsay et au musée éponyme à Rodez) qui a réalisé la statue tandis que le bas-relief est l’œuvre de Paul Mahoux ;
  • des vives réactions de jeunes militants des Foulards Rouges et des Jeunesses calédoniennes à l’égard de cette statue et du bas-relief de bronze qui représentait la « reddition d’Ataï » et des guerriers kanak « jetant leurs armes au pied du gouverneur Olry » ;
  • du démantèlement du bas-relief sur décision du conseil municipal en 1974 ;
  • du square Olry (1897) à la Place de la paix (2022) Koo Wè Joka (« Là où l’on fait la paix » en langue nââ numèè) ;
  • du remplacement de cette statue, 2022, par deux autres, pour honorer la paix au travers des deux figures symboliques que sont devenues Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou alors que celle du gouverneur trône désormais dans le jardin du musée de la ville comme une façon d’accepter les « ombres et les lumières » de l’Histoire calédonienne.

Ailleurs dans le monde, d’autres statues mettent à jour des crispations et d’autres enjeux mémoriels :

  • aux États-Unis : la statue du général Lee déboulonnée en 2021, ancien commandant des Sudistes, dénoncée comme un symbole raciste rappelant le passé esclavagiste américain trônait depuis 130 ans à Richmond, dans l’État de Virginie ;
  • à Paris avec la statue de Colbert devant l’Assemblée nationale, vandalisée en 2020, pour dénoncer celui qui a été à l’initiative du Code noir en 1685.

Aujourd’hui, il s’agit, pour nous, d’adopter un discours historique qui consiste à raisonner dans un contexte et non pas à « juger le passé avec nos yeux d’aujourd’hui ». On ne juge pas, on donne des éléments de compréhension. Comprendre n’est pas relativiser ou excuser. Il ne s’agit pas non plus de mettre dos à dos mémoire, notamment familiale, et récit historique. Le récit historique en classe utilise des grilles de lecture différentes, selon les acteurs, à différentes échelles, mondiale, nationale et locale. On peut aussi comparer deux modèles : comme le modèle britannique et le modèle français dans leur politique coloniale et l’impact de la colonisation dans les territoires colonisés.
Charles Heimberg est l’auteur de travaux portant sur les mémoires et sur l’histoire scolaire. Il considère qu’ « interroger le passé implique de considérer tour à tour des points de vue différents » : par exemple, du point de vue des victimes, des bourreaux et des témoins. Il ne s’agit pas de déconstruire une connaissance qui est fortement résistante chez nos élèves, mais de prendre en compte la réalité des élèves qui tourne autour de la mémoire familiale. L’équilibre est à trouver entre des savoirs scolaires et des savoirs sociaux.
Il y a des questions socialement vives, et il y a également des « questions sociétales vives » : une question sociétale vive interroge sur le « vivre ensemble et le survivre ensemble » selon Alain Legardez, professeur à l’université d’Aix-Marseille en sciences de l’éducation qui travaille avec Laurence Simonneaux, spécialiste des QSV, professeure en sciences de l’éducation, à l’université de Toulouse. La question est posée également sur la neutralité de l’enseignant. Ne pas confondre neutralité des valeurs, qui nous anime, qui peuvent être des valeurs républicaines qui ont toute leur place dans nos enseignements comme la laïcité ou des valeurs océaniennes autour de l’humilité, de la parole et du partage.
L’étude des questions socialement vives invite également à interroger sur la capacité des élèves à adopter une posture et une approche critique. Il s’agit pour l’enseignant de faire appel à l’esprit critique de l’élève à partir d’un raisonnement historique. Lorsqu’une question ou un sujet traite d’enjeux globaux comme la transition énergétique, les effets du changement climatique, le modèle économique capitaliste ou le consumérisme, on peut susciter chez nos élèves un engagement, on parle d’ « éduc’action » : l’élève agit en citoyen éclairé.

En 1986, Thomas E. Kelly, professeur de l’éducation à l’université John Carroll à Cleveland dans l’Ohio, explique les quatre postures de neutralité de l’enseignant :

  • la neutralité exclusive : l’enseignant ne doit pas aborder les thèmes controversés ;
  • la partialité exclusive : c’est l’intention délibérée de l’enseignant de conduire les élèves à adopter un point de vue particulier sur une question controversée ;
  • l’impartialité neutre : les élèves doivent être impliqués dans des débats sur des questions controversées et l’enseignant doit rester neutre et ne pas dévoiler son point de vue ;
  • l’impartialité engagée, l’enseignant donne son point de vue tout en favorisant l’analyse de point de vue en compétition sur les controverses : il se positionne en fonction des valeurs et des principes (et non en fonction de son opinion politique ou de sa conscience religieuse).

Aujourd’hui, les autorités académiques privilégient souvent une neutralité exclusive alors que de plus en plus de spécialistes en sciences de l’éducation, qui étudient la posture enseignante dans le cadre des questions socialement vives, incitent le professeur à se positionner dans une impartialité engagée. Par exemple sur des questions scientifiques et sur des enjeux globaux comme les ODD, il ne s’agit pas de dire aux élèves : « il faut » mais plutôt s’inclure dans une forme d’interrogation : « Comment peut-on ensemble agir pour ? En ayant débattu, en ayant des connaissances ensemble, quelles seraient les actions les plus intéressantes ? ». Le débat oral en EMC peut être un prolongement du cours d’histoire. On peut inviter des groupes d’élèves à se positionner selon les acteurs et/ou selon les enjeux.


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Comment enseigner une question socialement vive (QSV)

29 juillet 2023
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Mise au point épistémologique des QSV


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