HG/NC Le site académique d'histoire-géographie de Nouvelle-Calédonie

Unité et diversité en Océanie intertropicale

samedi 17 juillet 2010

Synthèse

L’Océanie intertropicale se compose d’Etats et territoires disséminés dans l’océan Pacifique, où vivent près de 10 millions d’hommes confrontés à l’insularité et exposés à des risques naturels. Aujourd’hui, l’urbanisation tend à s’y généraliser et devient le facteur le plus important dans l’évolution du peuplement. En outre, parce que l’Océanie se fonde sur la conscience d’une identité socioculturelle qui lui est propre, elle se heurte parfois à des valeurs et des repères culturellement différents. Comment les éléments naturels, démographiques, culturels et politiques constituent-ils l’unité et la diversité de l’Océanie intertropicale ? Quels défis les sociétés océaniennes doivent-elles relever ?

I – Des Etats et des territoires éclatés dans l’immensité océanique

Une des caractéristiques de l’Océanie intertropicale est son immensité. Un espace très vaste où domine le Pacifique, un océan de 180 millions de km2. Par conséquent, les terres émergées qui ne représentent que 568 000 km2 semblent bien peu. L’unité et la diversité des territoires et des peuples de cette région du monde reposent sur ce constat. Les traits communs et les contrastes s’expliquent par l’éclatement des terres, l’insularité, l’éloignement et l’isolement. La mer comme la terre deviennent alors essentielles dans l’organisation des sociétés océaniennes : ressources économiques, repères identitaires, facteurs de migration.

II – L’Océanie face au défi démographique et urbain

Depuis 6 000 ans, les hommes ont réussi à maîtriser leur environnement naturel, à s’adapter à leurs milieux de vie parfois contraignants. Aujourd’hui, ces sociétés sont marquées par la christianisation, la colonisation, la décolonisation et la mondialisation qui bouleversent leurs repères culturels et historiques et leur identité. Les comportements ont changé face à la natalité, à la maladie, à la place de la femme. Certains peuples réussissent, là ou d’autres échouent, à préserver les traditions, à valoriser leur patrimoine et leurs coutumes. Face à l’occidentalisation des sociétés, des hommes perdent leurs repères. Nombreux sont ceux qui sont attirés par les lumières de la ville, symbole de modernité, lieu de l’économie de marché mais aussi des désillusions et des frustrations. Les sociétés océaniennes sont en pleine mutation, ancrées dans le passé, elles souhaitent agir dans le présent pour mieux se défendre dans l’avenir. De multiples défis sont à relever : celui de l’explosion démographique et urbaine, de l’exode rural et des migrations externes qui déstabilisent l’équilibre des territoires. D’autres problématiques fragilisent les sociétés océaniennes : les inégalités dans l’accès à la santé, les habitudes alimentaires nuisibles ou les comportements à risques qui se répercutent sur les dynamiques démographiques. Les mutations du peuplement apparaissent sous des aspects variés selon les sociétés humaines et leur place dans la transition démographique.

III – Les fondements de l’identité océanienne

Par ailleurs, les Etats et territoires de l’Océanie intertropicale partagent d’autres traits culturels et historiques semblables tels que l’origine commune des peuples océaniens descendants des Austronésiens, l’unité linguistique, la transmission orale de la tradition, l’importance de la coutume, le respect des clans et des chefferies. A l’inverse, des éléments de l’organisation sociale, l’occupation de l’espace, les structures politiques diffèrent.

IV – Fragilité politique et crise identitaire dans le Pacifique insulaire

Les territoires se sont acheminés vers des statuts entre souveraineté et dépendance. Les règles démocratiques s’adaptent parfois difficilement aux exigences de la société traditionnelle. Toutefois, le « Pacific way of life » et le consensus océanien permettent dans certains territoires de tenter des expériences novatrices. Or, lorsque les exigences de la société traditionnelle sont opposées et contredisent les aspirations de la société moderne, les tensions apparaissent. L’instabilité politique présente dans certains Etats et territoires insulaires montre leurs limites. Le rejet de l’uniformisation des modes de vie qu’impose la mondialisation se retrouve dans la revendication identitaire. Les peuples revendiquent les droits coutumiers sur leurs terres. Des communautés s’enracinent tandis que d’autres sont à la recherche de leurs racines. L’affirmation identitaire prend parfois la forme d’une lutte violente contre l’autorité étatique ou contre une ethnie.

Ainsi, l’Océanie intertropicale n’est ni totalement uniforme ni complètement diversifiée. Son histoire et sa géographie expliquent les contrastes et les similitudes qui caractérisent les Etats et territoires insulaires océaniens. L’aspect économique et le niveau de développement complètent l’analyse (autre dossier). L’ensemble des dynamiques géographiques, démographiques, culturelles et politiques montrent une Océanie en pleine mutation.

Commentaire

Document 1 : Les caractères géographiques de l’Océanie intertropicale

Document 1a : Une caractéristique géographique commune : l’insularité
Document 1b : Des terres émergées modestes au sein de vastes ZEE
Document 1c : Qu’est-ce que l’insularité ?

L’insularité est la première caractéristique de l’Océanie, un espace géographique dominé par l’immensité de l’océan Pacifique et ses 180 millions de km2, pour seulement 9 millions de km2 de terres émergées. La fragmentation de l’Océanie en Etats et territoires montre un découpage très inégal entre des Etats d’une dizaine ou d’une vingtaine de milliers de kilomètres carrés (Fidji, Nouvelle-Calédonie) et des micro-Etats de quelques centaines (Guam, Cook) voire quelques dizaines de kilomètres carrés (Nauru). L’Océanie intertropicale se compose de vingt-quatre entités politiques.
L’étude des ZEE révèle de très vastes étendues maritimes reconnues par la troisième conférence des Nations Unies sur le droit à la mer dont la Convention de Montego Bay a été signée le 10 décembre 1982. Avec plus de 5 millions km2, la Polynésie française détient la plus vaste ZEE du Pacifique alors que l’ensemble de ses terres émergées ne représentent que 3 521 km2. L’exemple de Nauru est aussi révélateur de l’importance de la ZEE pour les micro-Etats insulaires. Il est à rappeler que sur la carte (document 1a) les limites, sous forme d’un découpage géométrique, entre les Etats ne correspondent pas à celles des ZEE. Ces contours proviennent du cartographe.
Les Etats et territoires insulaires sont confrontés aux mêmes handicaps liés à l’insularité : l’éloignement, l’isolement et l’exiguïté. Dans certains archipels, les îles sont éloignées les unes des autres. Les fortes distantes qui les séparent du chef-lieu ou de la capitale posent parfois (certaines populations s’en accommodent) des difficultés pour la scolarité ou le suivi médical par exemple. La distance entre Pukapuka au nord de l’archipel des îles Cook et Mangaia au sud est de 1470 kilomètres. Aux Salomon, la distance entre les îles les plus occidentales et les plus orientales est d’environ 1500 kilomètres.
Dans certaines Etats et territoires insulaires, les perspectives pour la jeunesse demeurent limitées. La situation défavorable de l’emploi pousse certains d’entre eux à quitter leur île. C’est l’exemple de Wallis-et-Futuna avec la Nouvelle-Calédonie ou de Tokelau, des îles Cook et de Niue avec la Nouvelle-Zélande. Aujourd’hui, on constate qu’il vit plus de ressortissants de ces îles dans leur terre d’émigration que dans leur pays d’origine. Ces communautés sont parfois perçues comme une charge par leur pays d’accueil faisant naître des tensions dans certaines banlieues de Nouvelle-Zélande voire des conflits ethniques en Nouvelle-Calédonie comme en décembre 2001 (les expulsés originaires de Wallis-et-Futuna de l’Ave maria à Saint-Louis sous la menace de certains Kanak de la tribu).

Document 2 : De forts contrastes démographiques en Océanie

Avec près de 9,5 millions d’habitants, en 2008, l’Océanie est l’espace géographique le moins peuplé du monde. Les territoires de la Mélanésie concentrent plus de populations (8,3 millions d’habitants) que ceux de la Polynésie et de la Micronésie réunies (1,2 million d’individus). Les densités sont fortes dans les Etats micronésiens : 484 habitants/km2 à Nauru contre 19 habitants /km2 au Vanuatu.
Une des caractéristiques de la démographie océanienne est sa jeunesse. Les jeunes de moins de 24 ans constituent la tranche d’âge la plus importante : 64% aux Samoa, 62% au Vanuatu. Ailleurs le vieillissement est amorcé, d’où des chiffres plus faibles : 44% de jeunes en Nouvelle-Calédonie, 38% aux îles Cook (les effets de l’émigration vers la Nouvelle-Zélande). Aussi la part des personnes âgées de 60 ans et plus atteint 10 aux îles Cook, à Niue et à Wallis-et-Futuna. En revanche, cette tranche d’âge représente une part plus faible à Nauru (3%), Samoa américaines (6%).
La croissance démographique montre les contrastes entre les populations. Alors que celles des îles Cook et Niue connaissant une croissance négative expliquée par l’émigration, les jeunes et les actifs quittent leur île pour la Nouvelle-Zélande et ne reviennent pas, laissant les personnes âgées sur place. D’autres territoires sont confrontés à une explosion démographique (voir document 3) : un taux d’accroissement naturel de 2,7% aux Salomon ou 2,6% au Vanuatu.
Les familles nombreuses sont fréquentent dans beaucoup de territoires océaniens. L’indice de fécondité peut atteindre 4 voire plus : 4,8 enfants par femme aux Salomon et 4,6 aux Samoa. Certains territoires se sont engagés dans des politiques de planning familial pour réduire la fécondité (2,6 aux Fidji). Mais l’indice moyen de fécondité est de 3,4 en Océanie contre 2,7 dans le monde. « Les enfants sont les garants de la sécurité et la communauté attend des gens qu’ils fassent beaucoup d’enfants. Le fait d’avoir plus d’enfants augmente les chances de voir l’un ou plusieurs d’entre eux réussir sur le plan économique et subvenir aux besoins de la famille¹ ». La contraception artificielle n’est pas répandue partout en Océanie. La pression culturelle et l’influence de la religion s’y opposent. D’autre part, la prévention, les campagnes de sensibilisation et les soins médicaux sont difficiles à mettre en oeuvre : populations isolées, coûts financiers élevés. Les personnels et auxiliaires de santé se heurtent parfois à des maladresses qui entraînent des refus de la part des populations. Les hommes préférant se faire soigner par un personnel de santé masculin tandis que les infirmières sont censées soigner les femmes, par exemple. En Papouasie-Nouvelle-Guinée, les soins de santé sont gratuits mais les populations doivent prendre en charge les frais de déplacement entre leur village et le dispensaire le plus proche. En milieu rural, les femmes fidjiennes enceintes privilégient la médecine traditionnelle pendant leur grossesse, absence de contrôle prénatal). Beaucoup d’entre elles continuent à travailler aux champs. L’éloignement entre certains villages papous et l’hôpital favorise l’accouchement à domicile. Ces facteurs expliquent l’importance de la mortalité infantile. Les taux sont très élevés : 66‰ aux îles Salomon, 64‰ en Papouasie-Nouvelle-Guinée. En revanche, les taux sont plus faibles ailleurs dans le Pacifique : 4,9‰ à Wallis-et-Futuna, 7,9‰ à Niue où l’accès aux services de santé est suffisant.
Des pays sont confrontés à un vieillissement de leur population.
Les espérances de vie sont en moyenne de 65 ans pour les hommes et de 70 ans pour les femmes soit un écart de 5 années. Les situations diffèrent entre la Mélanésie et la Polynésie : un Papou peut espérer vivre 54 ans alors qu’un habitant de la Polynésie française vivra dix-neuf années de plus. Les conditions sanitaires et sociales expliquent de tels contrastes démographiques : la consommation excessive d’alcool et de tabac, une alimentation traditionnelle délaissée au profit de régimes alimentaires riches en graisse et en sucre provenant de produits importés (taux de diabétiques élevés).

¹ Démographie et planification du développement dans le Pacifique, Section Démographie-population, Secrétariat général de la Communauté du Pacifique, 2001.

Document 3 : Une Océanie en pleine transition démographique

Tous les Etats et territoires de l’Océanie intertropicale n’ont pas encore, pour la plupart, terminé leur transition démographique, d’où une forte croissance de leur population. La situation démographique révèle le niveau de développement humain et économique de ces Etats et territoires. L’Océanie pourrait être divisée en trois ensembles : d’abord les territoires comme la Polynésie française et les îles Cook qui se dirigent vers un régime moderne (taux de natalité se situant entre 5 et 7‰, taux de mortalité entre 15 et 20‰). Ils présentant des indicateurs démographiques comparables à certains pays du Nord. Viennent ensuite les territoires qui se situent dans la seconde phase de la transition (Fidji, Samoa) avec des taux légèrement plus élevés, notamment celui de la mortalité (23 à 28‰). Enfin, les autres territoires venant de franchir la première phase : Salomon, Vanuatu où la mortalité demeure très élevée (entre 30 et 35‰) (voir document 2).

Document 4 : Une Océanie confrontée au défi urbain Document 5 : Une urbanisation contrastée

Globalement, l’Océanie est un espace encore majoritairement rural. La population rurale représente 56% des habitants contre 44% de citadins. Cependant, la ville prend une importance croissante. D’après la carte sur le taux d’urbanisation (document 5), le phénomène tend à se généraliser. Certes, les rythmes et les modalités d’urbanisation diffèrent selon les territoires, mais l’urbanisation est le facteur le plus important dans l’évolution du peuplement de l’Océanie. A l’exception de la Nouvelle-Calédonie, les archipels de la Mélanésie sont les plus ruraux : entre 65 et 80% de ruraux contre seulement 20 à 35% d’urbains. Les chiffres de la population urbaine reflètent les différences entre les Etats et territoires (document 2). Ainsi, territoires à forte population rurale (Papouasie-Nouvelle-Guinée : 87% de ruraux) et ceux à forte population urbaine (Guam : 93% d’urbains) se côtoient en Océanie.
Cette urbanisation croissante pose des problèmes d’identité et de repères. Même si les villes sont les lieux de la modernité, l’urbanisation s’est accompagnée d’un déséquilibre social au sein des villes. Certaines villes, telles que Port-Vila, Nouméa, Port-Moresby sont fragmentées entre quartiers développés et quartiers misérables sans eau courante, ni traitement des eaux usées ou de collecte des déchets. La croissance des villes s’accompagne souvent d’un exode rural qui entraîne un étalement urbain. L’explosion urbaine s’est concentrée sur la ville principale. La macrocéphalie de la capitale ou du chef-lieu se traduit par une polarisation des activités, des hommes et des richesses. Par ailleurs, le phénomène de périurbanisation apparaît dans les grandes agglomérations océaniennes (Nouméa, Papeete). Les migrations internes ne sont pas maîtrisées et le développement urbain des chefs-lieux et capitales est souvent anarchique : manque de logements, infrastructures (santé, école) insuffisantes, transports en commun inadaptés. Les nouveaux arrivants « ne sont pas aussi bien protégés que dans les villages, qui représentent un filet de protection. Les personnes âgées et les jeunes sont particulièrement vulnérables¹ ».

¹ Démographie et planification du développement dans le Pacifique, Section Démographie-population, Secrétariat général de la Communauté du Pacifique, 2001.

Document 6 : Unité et diversité linguistique en Océanie insulaire

Toutes les langues d’Océanie¹ appartiennent à la famille des langues austronésiennes qui regroupe entre 800 et 1000 langues. Partis de l’île de Taïwan il ya 6000 ans, les Austronésiens ont progressivement peuplé les îles du Pacifique. L’origine commune des Océaniens se traduit par la dispersion des langues austronésiennes. Celles-ci sont très diversifiées « tant sur le plan des sons que de la grammaire² » mais elles proviennent bien d’ « une même langue mère ». Ce sont les évolutions internes propres à une langue, les échanges et les liens entre les îles expliquent cette diversité. Les recherches archéologiques complètent cette analyse avec la découverte de poteries Lapita, de fragments d’obsidienne (roche volcanique généralement noire) ou de coquillages dans plusieurs archipels. Il existe 350 langues mélanésiennes, une quarantaine de langues polynésiennes et une vingtaine de langues micronésiennes. Si certaines de ces langues sont en voie de disparition d’autres sont parlées par plus de cent mille locuteurs comme le tongien ou le fidjien.
S’ajoute à cela, les langues issues de la colonisation. Les langues océaniennes se sont enrichies de certaines langues indo-européennes (français, anglais) ou asiatiques (chinois, hindi). Dans certains Etats et territoires, des langues créoles sont apparues : le bislama (ou bichlamar dérivé du français mais surtout de l’anglais) au Vanuatu, le tayo en Nouvelle-Calédonie (patois français parlé dans la tribu de Saint-Louis), pijin aux îles Salomon (à la fois créole et pidgin à base lexicale anglaise).

¹ À l’exclusion des langues papoues et aborigène.

² Claire MOYSE-FAURIE (linguiste et directeur de recherche au CNRS, Université Paris 3), « Langues », juillet 2003.

Document 7 : Des sociétés ancrées dans la tradition et la coutume

Les deux auteurs rendent compte de la place de la coutume des peuples d’Océanie dans des Etats et territoires fortement influencés par leur ancienne ou actuelle métropole. Le droit des puissances tutélaires s’est adapté aux coutumes autochtones encore largement ancrées. Dans ces sociétés marquées par la tradition, la coutume (kastom en Mélanésie) participe à l’ordre social. L’ensemble des lois ou des règles qui régissent la vie communautaire forment le droit coutumier qui définit les normes sociales, la conduite des individus, les règles de politesse et les usages lors des fêtes coutumières et les interdits ou tabous. Transmise oralement, la coutume est le ciment du groupe. Garant de la cohésion sociale, le droit coutumier se manifeste aussi lors d’une infraction aux règles coutumières qui entraînent des sanctions physiques envers l’individu et ses aînés dont ils ont la responsabilité (par exemple ses frères aînés et ses cousins). Il ne s’agit pas d’exclure l’individu. L’harmonie sociale et la cohésion du groupe (famille, clan, tribu) sont privilégiées. Une cérémonie de pardon est alors organisée afin que l’individu reprenne sa place au sein du groupe. Aussi, la dimension la plus importante de la coutume concerne le lien à la terre. Coutume et terre ont des liens consubstantiels dans toute l’Océanie. L’individu et son clan définissent leur identité en fonction de la terre et des éléments naturels.
L’Océanie se fonde aussi sur la conscience d’une identité culturelle spécifique. Cette identité océanienne commune est désignée par les Océaniens sous le terme de « Pacific way of life » qui « valorise des coutumes supposées antimatérialistes et anti-individualistes »¹. Ces Océaniens revendiquent aussi une « très grande diversité culturelle ». Dès les premiers contacts avec les Européens ces hommes du Pacifique ont été transformés par l’imaginaire occidental en « homme naturel ». Les peuples ont, « selon les sociétés auxquelles ils appartiennent, connu à peu près tous les degrés du phénomène dit d’acculturation² ».
Dans certaines sociétés du Pacifique Sud, les traditions longtemps stigmatisées sont actuellement réhabilitées. Cette réhabilitation s’exprime par des spectacles culturels et la culture devient symbole de l’identité nationale. Les cultures traditionnelles sont célébrées, la coutume (kastom) est sacralisée mais elles sont « loin de représenter des formes de résistance à la mondialisation¹ ».

En outre, tradition et modernité, société traditionnelle et société moderne sont souvent perçues comme des termes antinomistes. Or, selon certains anthropologues³, la société traditionnelle ou la coutume ont la capacité à s’adapter aux exigences de l’économie de marché. A l’exemple des Gorokans, peuple papou, les Océaniens réussissent à devenir des acteurs économiques, tout en respectant les contraintes liées à la coutume, parce que le travail économique est alors au service de la coutume. Les grandes cérémonies coutumières (naissance, circoncision, mariage, intronisation d’un chef, deuil) motivent les individus à travailler et à réussir pour le bien du groupe : c’est donc bien « le social qui détermine les besoins de la production économique³ ».

¹ Alain BABADZAN - professeur des universités en ethnologie à l’Université Montpellier III et IUF (Institut universitaire de France), Le spectacle de la culture, Globalisation et traditionalismes en Océanie, L’Harmattan, 2009.

² Sandra REVOLON (Maître de conférences en anthropologie), CREDO (Centre de recherche et de documentation sur l’Océanie), Université de Provence.

³ Paul de DECKKER, professeur d’anthropologie spécialiste de l’Océanie insulaire.

Document 8 : Démocratie et colonialisme dans le Pacifique

« Les archipels du Pacifique sont en proie à des affrontements de tous ordres : ethniques ou culturels, politiques et sociaux, sans parler des violences urbaines générées par des agressions de toutes sortes. Les archipels océaniques polynésiens et micronésiens encore solidement structurés doivent gérer l’insertion de leurs traditions dans un contexte de pression démographique exigeant de nouveaux espaces qui ne peuvent être trouvés que par l’émigration¹. ».
Les sociétés océaniennes sont confrontées à deux problématiques : celle qui consiste à préserver les traditions, la coutume ou le droit coutumier et la seconde, qui suggère une démocratisation de la société. Ce sont deux concepts sociétaux qui ne sont pas nécessairement opposés mais qui requièrent une solution originale. Forcé de constater que la démocratie est fragile dans plusieurs Etats dans le monde, elle est aussi parfois menacée dans le Pacifique à l’instar des îles Salomon, de Fidji et de Tonga. L’instabilité politique qui les caractérise pourrait s’expliquer par les effets de la colonisation sur les sociétés, les mentalités, les règles de la vie communautaire qui ont évolué et qui ne semblent pas avoir réussies à s’adapter au modèle occidental qui leur a été imposé. De plus, la décolonisation non préparée a plongé des Etats nouvellement indépendants dans la désorganisation des structures traditionnelles.
Les îles Salomon sont le théâtre d’affrontements interethniques entre les habitants de Guadalcanal et ceux de l’île de Malaita. Les Malaitans, qui se sont installés depuis la Seconde Guerre mondiale sur l’île de Guadalcanal, sont largement représentés dans le secteur économique, dans la fonction publique et au sein du gouvernement. Se sentant dépossédés, des jeunes de Guadalcanal créent en 1998 un mouvement révolutionnaire et commettent des exactions qui aboutissent à l’expulsion de 20 000 Malaitans. Le conflit s’aggrave lorsqu’une troupe paramilitaire composée de Malaitans est constituée. Une force de police multinationale composée d’Australiens et de Néo-Zélandais y est envoyée. L’année 2003 est marquée par une recrudescence de la violence. En 2006, la communauté chinoise, présente à Honiara, est la cible de violences qui se terminent par la destruction du Chinatown de la capitale. Alors que le jeu démocratique avait été menacé à plusieurs reprises lors de l’élection des Premiers ministres par le parlement salomonien (ou salomonais), il semblerait que la démocratie soit restaurée depuis décembre 2007, avec la nomination de Derek Sikua au poste de Premier ministre².
Certes, des Etats et territoires connaissent de graves difficultés politiques, cependant certains tentent de consolider la démocratie (Vanuatu).

¹« Unité et diversité des géopolitiques insulaires dans le Pacifique Sud », François DOUMENGE in L’Asie-Pacifique, des crises et des violences, Christian HUETZ DE LEMPS et Olivier SEVIN (dir.), PUPS, 2008

² Hegel GOUTIER, Le Courrier, le magazine des relations et coopérations Afrique - Caraïbes - Pacifique et Union Européenne, n°5, N.S, avril-mai 2008.

Document 9 : Tonga, des traditions monarchiques bien ancrées

L’Océanie se fonde sur la conscience d’une identité culturelle spécifique qui se heurte parfois à d’autres aspirations notamment démocratiques.
Tonga est un royaume héréditaire et une monarchie traditionnelle qui évolue à la mort de Taufa’ahau, le roi Tupou IV, le 10 septembre 2006. Le 30 juillet 2008, son fils George Siaosi lui succède, sous le nom de Tupou V selon les règles coutumières et est couronné le 1er août. Il est le 23e roi d’une dynastie qui remonte au XVIIe siècle. Dans cette monarchie constitutionnelle, indépendante depuis 1970 du Royaume-Uni et membre du Commonwealth, le pouvoir exécutif est détenu par le roi, le pouvoir judiciaire dépend de lui car il nomme les juges qui siègent à la Cour suprême. Le pouvoir législatif appartient à l’Assemblée législative mais le royaume a conservé des institutions qui reposent sur le principe du suffrage par ordres : 9 députés, issus de l’aristocratie, sont élus par 33 électeurs membres de cet ordre. 9 autres députés sont élus par les 51 000 électeurs roturiers. Quant au roi, il désigne les 16 membres du gouvernement qui complètent le dispositif. De fait, Tonga est singulière dans le Pacifique. Depuis 2005, des mouvements pro-démocratiques se sont constitués réclamant plus de démocratie. Fred SLEVE, roturier, est alors nommé Premier ministre en février 2006. Cependant, l’exaspération de la jeunesse du royaume provoque des émeutes les 15 et 16 novembre 2006, dans la capitale Nuku’alofa, dont le bilan est de huit morts et le renfort d’un contingent de 150 hommes des forces australiennes et néo-zélandaises. Le couvre-feu et l’état d’urgence sont décrétés le 16 novembre 2006. De nouvelles élections législatives ont eu lieu en avril 2008 selon les anciennes règles législatives. En revanche, le roi Tupou V a promis une démocratisation pour les élections de 2010. Il s’agit d’augmenter la part de représentativité du peuple dans les institutions : 17 députés roturiers au lieu de 9 actuellement, 4 élus parlementaires au lieu de 16 et les traditionnels 9 députés de l’aristocratie. Le souverain a promis d’autres réformes démocratiques et est prêt à renoncer au pouvoir.

Document 10 : un espace politique fragmenté

A l’instar du document 1a, la carte 10 n’indique pas les ZEE des Etats et territoires insulaires océaniens. Il s’agit d’un découpage géométrique tracé par le cartographe. Vingt-quatre entités politiques composent l’Océanie intertropicale.
Par rapport à l’Asie et à l’Afrique, le mouvement des indépendances constitutionnelles a été plus tardif en Océanie insulaire. En 1962, le Samoa occidental (aujourd’hui Samoa) est le premier archipel à y accéder tandis que Palau est le dernier Etat indépendant en 1994. Tous siègent à l’ONU.

Plusieurs territoires océaniens ne sont pas indépendants. Certains sont inscrits par l’ONU sur la liste des territoires à décoloniser : la Nouvelle-Calédonie (France), Pitcairn (Royaume-Uni), Tokelau (Nouvelle-Zélande, référendum d’autodétermination rejeté par la population tokélauane en février 2006 puis en octobre 2007), Guam et les Samoa américaines (Etats-Unis). Cook et Niue, bien qu’indépendants, ont passé un accord d’association avec la Nouvelle-Zélande qui leur verse une aide financière annuelle. La Nouvelle-Calédonie (collectivité à statut spécifique et évolutif), la Polynésie française (COM) et Wallis-et-Futuna (COM) demeurent des collectivités autonomes au sein de la République française. Les Etats-Unis sont présents à Hawaï (50e Etat fédéré), dans des territoires indépendants mais en association (les Etats fédérés de Micronésie, les îles Marshall et Palau) et dans des territoires rattachés : les Mariannes du Nord et Guam.
Des Etats se regroupent dans des organisations régionales dont la Communauté du Pacifique (CP) tend à constituer le modèle. Dans une mondialisation caractérisée par une interdépendance entre les différentes régions du monde, une entente économique (la CP), politique (pays du Fer de lance), militaire (coopération entre des Etats océaniens et la France par le biais des Forces armées de Nouvelle-Calédonie) et culturelle (Festival des Arts du Pacifique) permettent d’y faire face.


titre documents joints

Fiche 1 (géographie terminale) PP. 100-103

7 août 2010
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88.2 ko

Unité et diversité en Océanie intertropicale


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