Croissance et déséquilibres de l’économie calédonienne
Synthèse
L’économie calédonienne connaît depuis 1998 une prospérité exceptionnelle qui permet la modernisation rapide du pays. Ce développement économique est fondé sur l’exploitation d’une unique ressource minérale et sur le soutien massif de l’Etat. Mais la croissance de l’économie calédonienne demeure fragile et déséquilibrée.
Une prospérité exceptionnelle.
- Une croissance économique forte : le PIB réel s’est élevé de 3,7% par an en moyenne de 1998 à 2007. Cette croissance, supérieure à la moyenne des pays industrialisés développés, permet l’augmentation régulière du niveau de vie moyen (+1,5% par an) qui est l’un des plus élevés de l’Océanie. Elle s’accompagne de la création de plus de mille emplois par an, contribuant à faire baisser le chômage à un niveau proche du plein emploi. L’inflation reste maîtrisée ce qui est un signe de bonne santé économique.
Les collectivités (Nouvelle-Calédonie, provinces, communes) profitent de rentrées fiscales accrues pour investir prioritairement dans le développement économique et social, le rééquilibrage provincial et la formation. - Une économie qui se modernise : la croissance du secteur tertiaire explique 57% de la croissance du PIB entre 1998 et 2006. Les services emploient les trois quarts des effectifs salariés, c’est le principal secteur créateur d’emplois entre 1998 et 2006 (près de 80% des emplois créés). En se tertiarisant l’économie calédonienne se diversifie et permet à la demande interne de devenir un stimulant de la croissance.
Deux facteurs expliquent ce dynamisme.
- Le nickel, une mono activité : la filière nickel (extraction minière et industrie métallurgique) produit selon les années entre 3% et 11% de la valeur ajoutée calédonienne (en fonction du prix du métal) et emploie 4,5 % de la population active sans compter les emplois indirects. La croissance du secteur, stimulée par des cours mondiaux élevés et la construction de deux nouvelles usines, explique près d’un quart de la croissance du PIB entre 1998 et 2006.
Surtout le nickel, dont la Nouvelle-Calédonie est l’un des cinq principaux producteurs mondiaux, représente l’essentiel (96,3%) des exportations calédoniennes. C’est, pour l’instant, l’unique avantage comparé du pays pour son insertion dans l’espace économique mondial. Les exportations de produits de base ne permettent en 2007 de couvrir au mieux que 70% des importations d’énergie et de produits manufacturés (déficit commercial de plus de 50 milliards de FCFP par an en moyenne). Mais le triplement de la production prévu à l’horizon 2012 devrait contribuer au rééquilibrage de la balance commerciale et au développement de l’emploi.
Le secteur secondaire hors nickel, handicapé par l’insularité et protégé par des barrières protectionnistes, reste en revanche peu développé, de même que le secteur primaire. - Une croissance soutenue par les pouvoirs publics : les transferts extérieurs représentent plus de 20% du PIB, ce qui est exceptionnellement élevé. Il s’agit essentiellement des dépenses de l’Etat (surtout les traitements de ses fonctionnaires) et des contrats de développement pluriannuels que l’Etat conclut avec les collectivités pour soutenir financièrement leurs projets.
L’Union Européenne contribue aussi au développement de la Nouvelle-Calédonie par ses aides (FED, BEI).
Une croissance fragile et déséquilibrée.
- La poursuite de la croissance en débats : les bases de la croissance économique calédonienne sont fragiles. Très dépendante du nickel, l’économie calédonienne souffre déjà de la baisse des cours du métal amorcée en 2008.
Surtout, la prise en compte croissante de l’environnement amène à s’interroger sur le caractère durable du développement calédonien : les industries extractives et métallurgiques sont des activités très polluantes et le nickel est une ressource non renouvelable.
Des efforts de diversification ont déjà été entrepris par les collectivités, pour développer le tourisme notamment, mais d’autres secteurs pourraient participer davantage à la création de richesses : l’agriculture et l’élevage, par exemple, qui ne représentaient en 2007 que 1,5% du PIB pour 2,2% de l’emploi salarié mais aussi la sylviculture ou les services aux personnes. - Le partage des fruits de la croissance en débats : l’avenir économique de la Nouvelle-Calédonie dépend étroitement du maintien d’un équilibre social menacé par la perception de plus en plus aigue des inégalités. En effet le niveau de vie moyen relativement élevé masque des écarts considérables (de 1 à 20) de revenus selon la qualification et le lieu de résidence. Une partie de la jeunesse, particulièrement en brousse, se sent exclue du marché du travail et de la société de consommation.
La politique engagée par les pouvoirs publics doit parvenir rapidement à réduire ces écarts car on ne peut construire le « destin commun » inscrit dans l’Accord de Nouméa en laissant se développer une société à deux vitesses.
Notions
Croissance
En économie elle s’apprécie essentiellement à partir de l’évolution du produit intérieur brut (P.I.B.), c’est-à-dire la progression de l’ensemble des biens et des services produits chaque année dans le pays, y compris par des entreprises étrangères. Une croissance régulière est plus profitable à la société qu’une croissance heurtée (succession de « booms » et de crises).
Inflation
C’est la perte du pouvoir d’achat de la monnaie qui se traduit par une augmentation générale et durable des prix. Pour évaluer l’inflation, on utilise l’indice des prix à la consommation des ménages (IPC) calculé par l’ISEE. L’IPC est un instrument de mesure de l’évolution, au cours du temps, du niveau général des prix des biens et services figurant dans la consommation des ménages (hors logement).
Chômage
Le taux de chômage est le rapport chômeurs/population active. Est chômeur toute personne cherchant un emploi et enregistrée à l’Institut pour le Développement des Compétences de Nouvelle-Calédonie (IDC-NC).
En dehors des recensements (les derniers ont eu lieu en 1996 et 2004) il n’existe pas de mesure du taux de chômage en Nouvelle-Calédonie. Le chiffre de 2007 est une estimation de l’IDC-NC.
Valeur ajoutée
C’est une notion comptable correspondant à l’ensemble des contributions productives des entreprises. On la calcule en retranchant la valeur des consommations intermédiaires de la valeur des biens et services produits.
Secteurs d’activité
Le secteur primaire comprend l’ensemble des activités liées à l’exploitation du milieu naturel (agriculture, pêche, activités forestières,…) sauf les activités minières. Le secteur secondaire comprend les activités de transformation (industrie) ainsi que les activités minières qualifiées en NC d’ »industries extractives ». Le secteur tertiaire comprend l’ensemble des activités de service (administration, transport, banque, tourisme…). On distingue parfois un secteur quaternaire correspondant aux activités caractéristiques des pays les plus développés (recherche, communication, informatique,…).
Importation/substitution
Les entreprises cherchent à fabriquer sur place des produits jusque là importés. Les pouvoirs publics, soucieux de protéger l’emploi, soutiennent cette logique en taxant lourdement les produits qui concurrencent ceux de l’industrie locale. En théorie cette stratégie de substitution aux importations doit protéger l’industrie locale le temps qu’elle réalise les gains de productivité nécessaires pour affronter la concurrence internationale.
Commentaire
Ce commentaire a été rédigé entre septembre et novembre 2009.
Une actualisation (rédigée en avril 2010) de quelques chiffre-clés est proposée, en italique, au bas de certains paragraphes.
Doc.1 : Les indicateurs macroéconomiques de la Nouvelle-Calédonie de 1999 à 2007.
- L’économie calédonienne a connu une croissance soutenue (3,7% en moyenne) de 1999 à 2007. Sans atteindre les taux spectaculaires (entre 5 et 8%) enregistrés dans les pays émergents d’Asie orientale, cette croissance est supérieure à celle (3%) des pays industrialisés développés regroupés au sein de l’OCDE.
Surtout, il s’agit d’une croissance régulière qui contraste avec les périodes passées. Pour un taux de croissance annuel moyen de 4,5% en moyenne entre 1960 et 2007, l’économie calédonienne a connu alternativement des pics de prospérité exceptionnelle (20% en 1965 ; 30% en 1970 ; 15% en 1988) et de graves récessions (-15% en 1962 ; -10% en 1973 ; -5% en 1983) synonymes de destruction de richesses et d’emplois. - L’inflation a considérablement diminué depuis les taux à deux chiffres (près de 15% par an) du début des années 80 (on parle de désinflation). Elle est en moyenne de 1,4% par an sur la période, légèrement inférieure à celle de la zone euro (2%). L’économie calédonienne profite de la faible hausse des prix de ses importations (contexte international peu inflationniste) et de la force de sa monnaie (le Franc CFP, suivant l’Euro dans ses évolutions, s’est apprécié de 21% sur la période par rapport au Dollar).
- Cette croissance forte, régulière et peu inflationniste contribue à faire diminuer fortement le nombre des demandeurs d’emploi. En 2004 ont recensait 15 721 demandeurs d’emploi (pour 96 406 actifs) contre 6 572 en 2007. L’IDC-NC (ex Agence pour l’emploi) estime que ce chiffre peut difficilement baisser et qu’on « approche du plein emploi » c’est-à-dire que ce taux correspondrait à un chômage incompressible (de transition entre deux emplois par exemple). Le chômage touche surtout les jeunes (35% ont moins de 35 ans), de brousse (en 2007, 90% des offres pour 71% des demandes d’emploi au Sud, 9,5% des offres pour 26% des demandes au Nord et 0,5% des offres pour 3% des demandes aux Iles) et peu qualifiés (près de 80% ne sont pas titulaires du baccalauréat).
- Cette croissance permet l’élévation du niveau de vie moyen. Le PIB par habitant a augmenté en moyenne de 1,5% par an entre 1998 et 2006 pour atteindre 2,7 millions de FCFP. Dans son Bilan 2008 le CEROM (Comptes Economiques Rapides de l’Outre Mer) estime que l’Indice de Développement Humain calédonien est comparable à la moyenne des pays développés et place l’archipel 34e sur 177 loin devant les Petits Etats Insulaires (PEI) d’Océanie.
Actualisation : après une année 2007 exceptionnelle (+5,7%) la croissance n’a été que de +0,2% en 2008 selon les estimations de l’ISEE, à la limite de la récession. La population ayant augmenté entre temps le PIB/hab. a légèrement reculé (-7,3%) passant de 3,184 à 2,953 millions de FCFP entre 2007 et 2008. Néanmoins le taux de chômage se maintient à un faible niveau (6,4% en 2009 selon les estimations de l’IDC-NC) dans un contexte peu inflationniste (0,2% en 2009).
Doc.2 : Contribution des secteurs d’activité à la valeur ajoutée en 2006.
La valeur ajoutée correspond à environ 90% du PIB. En 2006 le PIB s’élevait à 647 milliards de FCFP.
- Le secteur tertiaire est dominant. Il s’agit d’un phénomène ancien (déjà plus de 50% de la valeur ajoutée en 1961) qui s’est amplifié (69% en 2006) et approche de celui des pays développés (72%). La croissance du secteur tertiaire (en particulier des services rendus aux ménages comme l’hôtellerie, la restauration, la santé,…) explique 57% de la croissance du PIB entre 1998 et 2006. Les services emploient 75% des effectifs salariés, c’est le principal secteur créateur d’emplois entre 1998 et 2006 (79% des emplois créés).
30% des salariés travaillent dans le tertiaire non-marchand (les administrations) mais on ne peut pas pour autant parler de « bureaucratie ». La “densité d’emplois publics” atteint environ 90 emplois publics pour 1 000 habitants en Nouvelle-Calédonie contre 120 emplois publics pour 1 000 habitants en Métropole et dans les départements d’outre-mer. Le poids relatif des services non marchands dans l’emploi total en Nouvelle-Calédonie s’explique par le fait que la population salariée ne représente que 30% de la population totale (37% en Métropole).
Le CEROM juge que l’économie calédonienne « se diversifie et trouve dans la demande interne le moteur de sa croissance » car si on ajoute aux services le BTP c’est près de 85% de la VA (valeur ajoutée) qui peut prospérer à l’abri de la concurrence internationale. - Le secteur secondaire est dominé par la filière nickel (extraction et transformation) dont la part dans la VA totale a suivi l’envolée des cours du métal : de 3,1% en 1998 elle est passée à 11% en 2006. La croissance du secteur nickel expliquerait jusqu’à 25% de la croissance du PIB entre 1998 et 2006.
- Le secteur primaire ne représente que 2% de la VA totale, ce qui est exceptionnellement faible. Ce secteur n’emploie même pas 3% de la population active.
Actualisation : en 2008 la contribution du secteur nickel à la VA n’a été que de 9% contre 70% pour le secteur tertiaire et 19% pour les autres industries et le BTP selon l’ISEE.
Doc.3 : Le commerce extérieur de la Nouvelle-Calédonie.
- Le commerce extérieur accuse un déficit annuel moyen (du solde commercial) de 54,5 milliards de FCFP entre 1990 et 2007, Il faut y ajouter le déficit de la balance des services qui se creuse depuis 2001 pour dépasser 60 milliards de FCFP en 2007. Ces déficits contribuent à dégrader le solde des transactions courantes (principal poste de la balance des paiements) avec, en 2007, -135 milliards de FCFP (-135Md) pour le solde des biens et -64Md pour celui des services (surtout les transports aérien et maritime).
Toutefois le taux de couverture (exportations/importations) remonte, passant de moins de 40% à plus de 70% (73,2%), le plus élevé depuis 13 ans, grâce à l’envolée du prix du nickel. Le taux d’ouverture (importations+exportations/PIB) est plutôt faible : 30% environ. C’est comparable à la France et à la Polynésie Française mais c’est très inférieur aux PEI (PNG : 45% ; Fidji : 68%). Selon le CEROM c’est le signe (paradoxal) d’une économie très introvertie en dépit de l’étroitesse de son marché intérieur. - Les importations en effet sont faibles, notamment du fait des restrictions protectionnistes. Il s’agit surtout de produits manufacturés et de produits pétroliers. Les principaux fournisseurs en 2007 étaient la France (26,6%), les autres membres de l’UE (16,3%), Singapour (13,6% surtout des hydrocarbures), l’Australie (10,7%) et la Chine (5,5%).
- Le nickel représente 96,3% des exportations calédoniennes. L’archipel est l’un des principaux exportateurs mondiaux depuis le XIXe siècle. Les principaux clients en 2007 étaient le Japon (22,3%), les pays (hors France) de l’UE (18,8%), la France (14,5%), Taiwan (12,1%) et la Chine (11,2%).
Le prix du nickel calédonien est indexé sur le cours du nickel établi chaque jour (en dollars/livre) par l’équilibre entre l’offre et la demande à la bourse aux métaux non ferreux de Londres (London Metal Exchange). Une livre représente un peu moins de 500 grammes et il faut 2 205 livres pour faire une tonne. Le cours du nickel a connu une envolée spectaculaire, comme les prix de nombreuses matières premières, passant de moins de 400 FCFP/livre en 2001 à plus de 1 500 FCFP/livre en 2007 avant de connaître un repli marqué. Les producteurs ne peuvent que subir les fluctuations de cours.
Actualisation : le cours du nickel a poursuivi sa dégringolade passant de 800 FCFP/livre en 2008 à moins de 600 FCFP/livre en 2009. Cet effondrement, combiné à une hausse des prix de l’énergie (+25%) a creusé le déficit commercial qui a atteint le niveau record de -155Md en 2008 selon l’ISEE.
Doc.4 : L’importance des transferts de l’Etat.
- Les « transferts extérieurs sans contrepartie » sont supérieurs en moyenne annuelle à 20% du PIB ce qui est considérable. C’est comparable à la Polynésie Française (près de 30%) mais bien plus élevé que dans les PEI (2% à Fidji, 7% en PNG, 11% aux Salomon, 12% au Vanuatu). Toutefois les transferts ne représentent plus que 15% du PIB en 2007 contre 20% en 2001. Contreparties sans doute nécessaires de la dépendance politique (« C’est la France qui paye ») les transferts proviennent de l’Etat et, à travers lui, de l’UE.
- L’Etat finance surtout ses propres dépenses (137 milliards de FCFP en 2008, notamment les traitements indexés des fonctionnaires) et participe à des contrats de développement pluriannuels conclus avec les collectivités (NC, provinces, communes) qui soutiennent en priorité le développement économique et social, le rééquilibrage provincial et la formation (plus de 46 milliards de FCFP pour la période 2006-2010). Par ailleurs le dispositif d’aide fiscale à l’investissement outre-mer (défiscalisation) fonctionne depuis 1986 ; près de 10 milliards de F CFP d’investissements en ont bénéficié en 2007, surtout (47%) dans le domaine du logement social.
- Depuis le traité de Rome de 1957 révisé par le traité d’Amsterdam de 1997 la NC est un PTOM associé à l’UE qui bénéficie à ce titre d’une préférence douanière et de certains investissements. Depuis 1967 des projets sont financés par le Fonds Européen de Développement. Le IXe FED (2002-2007) a ainsi alloué 2,5 milliards de FCFP (500 millions par an) pour financer un programme de formation continue. Des prêts sont aussi accordés par la Banque Européenne d’Investissement (BEI).
- Ces transferts permettent de limiter le déficit de la balance des transactions courantes : +44Mds pour le solde des revenus (salaires des fonctionnaires payés par l’Etat) et +48Mds pour le solde des « transferts courants » (les investissements des administrations d’Etat).
Doc.5 : Les projets industriels en NC.
Les projets industriels liés au nickel contribuent à faire bénéficier la NC d’un flux net d’IDE (investissements directs à l’étranger) de 120 milliards de FCFP en 2008 (57Md en 2007) ce qui rend le compte financier largement excédentaire et permet d’équilibrer la balance des paiements. Comparables en terme d’investissement et de production, les deux projets d’usine utilisent des procédés d’affinage radicalement différents.
- La pyrométallurgie produit, dans des fours électriques, du ferronickel contenant 25% à 30% de nickel mélangé à du fer très pur. Le ferronickel est ensuite utilisable directement dans les fours des fabricants d’inox ; il suffit d’y ajouter du fer et du chrome. On peut aussi affiner ce ferronickel dans des convertisseurs Bessemer afin d’obtenir un ferronickel plus pur (les mattes produites à Doniambo contiennent 77% de nickel). Ce sont aussi des ferronickels que compte produire l’usine de Vavouto.
La pyrométallurgie nécessite de colossales quantités d’énergie fournies en Nouvelle-Calédonie essentiellement (Doniambo bénéficie aussi de l’électricité du barrage de Yaté) par des centrales électriques alimentées au fuel et de plus en plus au charbon, plus économique mais plus polluant. - L’hydrométallurgie est employée par Eramet dans son usine du Havre-Sandouville pour attaquer les mattes avec du chlore et différents solvants afin d’obtenir un nickel particulièrement pur (99,99%) recherché par les industries de haute technologie, ainsi que du cobalt. Le procédé employé dans l’usine de Goro est aussi un procédé hydrométallurgique. Il s’agit du nouveau procédé PAL, conçu par Inco, qui consiste à purifier le nickel à l’aide d’acide sous pression. Ce procédé, qui n’a jamais été employé ailleurs, doit permettre de rentabiliser l’exploitation des gisements de latérites du Sud. Un tuyau sous-marin de 25 kilomètres de long rejettera dans le canal de la Havannah les effluents de cette usine unique au monde.
Doc.6 : Un « Caillou » de nickel.
- Les industries extractives constituent une activité économique essentielle en brousse. Les gisements les plus riches (saprolites) sont situés en Province Nord et sur la côte Est ; le vaste gisement du Sud est surtout constitué de latérites nickélifères. Les minerais sont faciles à extraire (ils sont en surface) et contiennent entre 1 et 3% de nickel. La Société Le Nickel (SLN) domine cette activité (50% du marché) devant la Société Minière du Sud Pacifique (SMSP, 30%) et les « petits mineurs ». La SLN est un partenariat entre Eramet, une multinationale basée en France (56%), les 3 Provinces (34%) et un partenaire japonais (10%). La SMSP appartient à 87% au groupe local SOFINOR (le reste de l’actionnariat demeure mystérieux). Avec une réserve estimée à 12 millions de tonnes de nickel contenu (la cinquième du monde), la Nouvelle-Calédonie a encore quelques décennies d’extraction devant elle (entre 50 et 100 ans selon les estimations).
- Le minerai extrait doit être affiné (ou purifié) pour permettre son utilisation par les industriels ; c’est-à-dire qu’on doit augmenter la teneur en nickel du produit en le concentrant et en éliminant les produits associés (cobalt…) au cours de différentes étapes. Il s’agit d’un processus métallurgique complexe, nécessitant de lourds investissements et gourmand en énergie. L’affinage tend de plus en plus à être localisé à proximité des lieux d’extraction afin de réduire les coûts de transport du minerai brut : le massif du Koniambo pour l’usine de Vavouto, le massif de Prony pour l’usine de Goro ; l’usine de Doniambo, elle, a recours au cabotage depuis les centres miniers de Thio, Kouaoua, Népoui, Tiébaghi et, depuis 2007, Poum.
La transformation par l’industrie métallurgique a toujours été effectuée jusqu’en 2008 dans une seule usine, celle de la SLN à Doniambo qui produit annuellement 60 000 tonnes de nickel. Un projet en cours devrait faire passer la production à 75 000 tonnes en 2010 mais ce délai ne semble aujourd’hui pas en mesure d’être tenu.
Le projet Vale Inco Nouvelle-Calédonie (ex Goro Nickel) est connu sous le nom d’ « usine du Sud ». Il est conduit par Vale Inco, une multinationale basée au Brésil (69%), associée à Sumitomo et Mitsui, des partenaires japonais (21%), et les 3 Provinces (10%). L’usine doit fonctionner progressivement à partir de 2009.
Le projet de Koniambo Nickel SAS (KNS), connu sous le nom d’ « usine du Nord », est un partenariat entre la SMSP (51%) et Xstrata, une multinationale basée en Suisse (49%). Le démarrage de l’usine est aujourd’hui prévu pour 2012. - En 2007 ce secteur, ouvert à la concurrence internationale, très capitalistique et très concentré horizontalement et verticalement, employait en Nouvelle-Calédonie 3 523 salariés soit 4,5% de l’emploi salarié. Les trois projets réunis devraient tripler la production (200 000 tonnes en 2012, probablement un peu moins), améliorer le solde commercial, conserver une partie de la VA sur place et créer des milliers d’emplois directs et surtout indirects.
Actualisation : en dépit de la morosité du marché du nickel le démarrage de l’usine de KNS, dont le coût est évalué désormais à 346 milliards de FCFP, est toujours prévu pour 2012 (LNC du 26 mars 2010). Retardée par divers incidents techniques, comme l’effondrement récent d’une colonne d’extraction, l’usine de Vale-Inco qui a déjà coûté 387 milliards de FCFP n’est toujours pas opérationnelle (LNC du 23 avril 2010).
Doc.7 : Un secteur industriel (hors nickel) peu compétitif.
- Un pays mono exportateur d’une ressource naturelle n’est pas certain de se développer grâce à elle (comme le montrent les échecs de la Côte d’Ivoire avec le cacao ou de l’Algérie avec les hydrocarbures) ; il faudrait pour cela que la NC dispose d’un tissu industriel prêt à prendre le relais du nickel.
D’abord, en dépit des efforts des collectivités pour obtenir des participations (au travers de la Société Territoriale Calédonienne de Participation Industrielle) une partie des profits échappera à la Nouvelle-Calédonie car les actionnaires sont surtout des multinationales qui rapatrient leurs dividendes et qui sont exemptés d’impôts pour une quinzaine d’années.
Ensuite l’industrie locale n’est pas stimulée par la demande croissante du secteur du nickel car elle est incapable de fournir le matériel lourd et de haute technicité (camions, fours, générateurs,…) dont il a besoin.
Enfin l’industrie locale est handicapée par son insularité : éloignement des lieux de production et de consommation (coûts de transport), manque de ressources énergétiques (et coût de l’énergie importée) ; étroitesse du marché intérieur (pas d’économies d’échelle). - Pour tenter d’y remédier les pouvoirs publics ont placé l’industrie locale sous haute protection en appliquant un « double protectionnisme » (selon un Rapport de novembre 2008 de la Chambre Territoriale des Compte). D’une part des quotas d’importations (contingentements) touchent les batteries, les chocolats, les pâtes alimentaires, les tee-shirts,… Les produits « STOP » (claquettes, papier hygiénique, sacs poubelle, détergents,…) sont même interdits d’importation. D’autre part des taxes (TGI, TCPPL, TSPA…) s’appliquent avec 8000 taux différents allant de 2 à 60%. Il s’agit de surtaxer les produits concurrençant la production locale (les barres chocolatées par exemple sont taxées à 100%).
Ce système, condamné par l’OMC et dérogatoire des règles de l’UE (en vertu d’accords spécifiques aux PTOM), ne se justifie que s’il est provisoire pour permettre le démarrage d’une activité avant sa mise en concurrence. A long terme le protectionnisme met l’industrie locale à l’abri de la compétition internationale ce qui se traduit par d’insuffisants efforts de productivité et des prix intérieurs plus élevés. - Le chiffre d’affaire réalisé en 2005 par les industries hors nickel (dont BTP et artisanat) était de 195 milliards de FCFP (195Md) contre 100Md pour les industries du nickel. Quant aux rentrées fiscales, elles proviennent d’abord des autres secteurs d’activités que le nickel (en 2005 : 9,6Md pour le nickel contre 14,4Md pour les autres secteurs), certaines années les recettes du nickel ont même été nulles (comme en 1999). Forts de ces résultats les industriels locaux insistent sur leur rôle dans le développement de l’emploi et dénoncent les marges exorbitantes réalisées par les importateurs.
Doc. 8 : Une société à deux vitesses ?
Pour la journaliste du Monde, qui s’appuie sur le Bilan 2008 du CEROM, le niveau de vie moyen des Calédoniens masque de profondes inégalités de revenu.
- La richesse est concentrée en Province Sud (71% de la population) qui contribue pour 81% au PIB. En 2004, pour un revenu moyen par Calédonien de 2,2 millions de FCFP (MF), le revenu moyen était de 2,5 MF en Province Sud mais seulement de 1,7 MF en Province Nord et de 0,9 MF en Province Iles.
Le rapport entre les revenus des ménages les plus riches et des ménages les moins riches est estimé à 20 en Nouvelle-Calédonie soit plus de trois fois celui de la France et un niveau comparable à celui du Chili.
Le Salaire Minimum Garanti (SMG) a été mis en place en 1985 ; indexé sur l’indice des prix à la consommation il a été augmenté progressivement par le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie (82 000 FCFP par mois en 2000, 125 464 FCFP fin 2009 ; il est de 134 000 FCFP en France métropolitaine et dans la plupart des DOM en 2009). Dans le secteur agricole le SMAG représente 85% du SMG. - Une large part de la population océanienne vit en marge de l’économie de marché, d’agriculture vivrière, de chasse et de pêche, avec peu d’échanges monétaires et d’accumulation de capital. L’initiative économique est limitée par la complexité des règles communautaires traditionnelles et de la gestion des terres coutumières.
Aujourd’hui (Les Nouvelles Calédoniennes : LNC du 12 octobre 2009) le Sénat Coutumier cherche à définir « la place du jeune Kanak dans la société contemporaine et les moyens de lutter contre la marginalisation d’une partie de la jeunesse ».
Actualisation : Une loi de pays du 15 janvier 2010 envisage de porter le SMG à 150 000 FCFP d’ici mi-2012.
Doc. 9 : Des menaces réelles pour l’environnement.
- Les atteintes à l’environnement accompagnent incidemment l’exploitation du nickel. Fuite de milliers de litres de gasoil à Tiébaghi (mai 2009), pollution du lagon par ruissellement à Monéo (janvier 2008), barge chargée de minerai coulée à Kouaoua (avril 2007), soufre dans les fumées de Doniambo (août 2004). Sans compter toutes les anciennes mines, aménagées sans préoccupation environnementale, qui déversent leurs fines latérites dans les cours d’eau en attendant une coûteuse revégétalisation.
- Aujourd’hui (2009) la centrale au fuel de Doniambo produit 160 MW, contre 60 MW pour le barrage de Yaté, et seulement 25 MW pour les éoliennes. Trois nouvelles centrales fonctionnant au charbon (très polluant) doivent voir le jour entre 2009 et 2015 : Prony Énergies (100 MW dès la fin de l’année), la nouvelle centrale de Doniambo (50 MW de plus qu’actuellement) et la centrale du Koniambo (270 MW). Au total les Calédoniens devraient produire environ 600 MW d’électricité, dont 500 rien que pour couvrir les besoins des trois usines. Selon le rapport Nouvelle-Calédonie 2025 (de source gouvernementale), chaque Calédonien émettra l’équivalent de 36,8 tonnes par an de CO2, principal gaz à effet de serre, lorsque les trois centrales au charbon tourneront à plein régime. A titre de comparaison, la Métropole et les départements d’outre-mer produisent moins de 8,5 tonnes par an et par habitant, les Etats-Unis 22 tonnes « seulement » !
- La Nouvelle-Calédonie avait volontairement évité d’être concernée par le protocole de Kyoto, voté en 1998 et ratifié en 2005 par l’Union Européenne, afin de pouvoir lancer ses projets d’usine sans contrainte. Sous la pression croissante des associations (Rhéébù Nùù, Action Biosphère, Ensemble Pour La Planète…) le choix des pouvoirs publics entre environnement et développement économique devrait être aujourd’hui plus nuancé (dans le sens d’un développement plus durable).
Doc.10 : Un climat social tendu.
- Rien que dans le secteur privé les conflits sociaux ont doublé entre 2003 et 2006 (56 conflits en 2006 pour 34 360 journées perdues). Selon l’ISEE, la tendance générale en 2007 et 2008 était à la baisse (sauf secteur des transports) du nombre de conflits dans le secteur privé mais le secteur public connaissait une hausse des jours de conflit ; la moitié des conflits dans le privé a été organisée à l’initiative d’un syndicat : l’USTKE.
Plus de la moitié (51%) des mouvements sociaux a pour origine la contestation de sanctions disciplinaires ou de licenciements et des revendications salariales, plusieurs revendications pouvant être exprimées au cours d’un même conflit. Les thèmes de l’emploi local et de la vie chère sont particulièrement fédérateurs et repris par d’autres syndicats (l’USOENC notamment). - En ce qui concerne l’emploi local un texte attendu depuis deux ans devrait être présenté au Congrès à la fin de 2009. Selon le gouvernement ce projet de loi du pays sur la protection de l’emploi local dans le secteur privé « ne vise pas à empêcher l’emploi de personnes extérieures à la Calédonie, où n’y résidant que depuis peu. Elle donne la priorité aux citoyens et aux résidents [et à leurs conjoints] durablement installés [depuis plus de dix ans], mais à compétences et expériences professionnelles égales. L’esprit de cette loi est de protéger beaucoup les emplois peu qualifiés qui peuvent être aisément pourvus par des Calédoniens, et de protéger très peu les emplois hautement qualifiés qui auront du mal à trouver preneur dans l’étroit marché du travail local » (LNC du 14 octobre 2009).
- Le thème de la vie chère trouve un écho auprès de la population qui a vu son pouvoir d’achat s’éroder en 2008 avec un quasi doublement de l’inflation (qui passe de 1,8% en 2007 à 3,7% en 2008), particulièrement sensible dans le secteur alimentaire (+4,6%). A titre d’exemple, d’après l’ISEE, le Big Mac local était en 2003 le 5e plus cher du monde, derrière la Suisse mais loin devant la Nouvelle-Zélande (27e) et l’Australie (41e). Le Comité Economique et Social explique (LNC du 31 août 2009) que la liberté totale des prix (depuis 1974 seule une vingtaine de prix sont réglementés) dans un marché étroit et très concentré favorise les monopoles au détriment des consommateurs.
Avant 1975, le système fiscal calédonien était le reflet d’une économie de comptoir (un comptoir colonial était un poste de traite où les ressources étaient exploitées, sans développement économique et social local) car il était basé sur la perception de droits indirects, de taxes assises sur l’importation (la Taxe Générale à l’Importation a été instituée en 1920) et de droits de sorties sur les minerais exportés. L’impôt sur les bénéfices des sociétés n’apparaît qu’en 1975, l’impôt sur le revenu des personnes physiques en 1982, la Taxe Générale sur les Services en 1994. Ce système fiscal est jugé en 2008 « archaïque » et « opaque » par la Chambre Territoriale des Comptes. Il introduit des discriminations, contribue à la cherté de la vie et pénalise les consommateurs les plus démunis.
Actualisation : le texte sur l’emploi local a été voté en première lecture par le Congrès (LNC du 31 décembre 2009) mais le groupe FLNKS a réclamé une seconde lecture et déposé des amendements demandant « qu’à égalité de diplômes, la priorité revienne aux enfants de ce pays […] quelle que soit leur ethnie […] inscrits sur la liste électorale spéciale » (LNC du 14 janvier 2010).
Sources
IEOM
De l’Institut d’Emission d’Outre-Mer ( www.ieom.fr )
- La Nouvelle-Calédonie en 2007, IEOM, 2008
CEROM
Des Comptes Economiques Rapides de l’Outre-Mer,( www.cerom-outremer.org) :
- L’économie calédonienne en mouvement, CEROM, 2005
- Les défis de la croissance calédonienne, CEROM, 2008
ISEE
De l’Institut de la Statistique et des Etudes Economiques ( www.isee.nc )
- Bilan économique et social 2007, ISEE, 2008
- Les comptes économiques de la Nouvelle-Calédonie de 1998 à 2003, ISEE, 2007
CTC
De la Chambre Territoriale des Comptes (www.ccomptes.fr )
- Rapport sur la gestion des recettes fiscales et douanières depuis 2002, CTC, 2008
Ouvrages
C. Perret (sous la direction de), Perspectives de développement pour la Nouvelle-Calédonie, PUG, 2002.
Liens utiles
www.lnc.nc le quotidien local avec son moteur de recherche par mot-clé.
www.nouvellecaledonie2025.gouv.nc le schéma d’aménagement du pays.
www.sln.nc les centres miniers et l’usine pyrométallurgique de Doniambo.
www.valeinco.nc l’usine hydrométallurgique du Sud (riche photothèque).
www.koniambonickel.nc l’usine pyrométallurgique du Nord.
www.medef.nc la fédération patronale.
www.finc.nc la fédération des industries.
www.ustke.org le syndicat USTKE.
www.oeil.nc l’Observatoire du grand sud.
www.actionbiosphere.com l’association Action Biosphère.
www.eplp.asso.nc/site l’association Ensemble pour la planète.
titre documents joints
Fiche 5 PP.58-61 géographie première
Croissance et déséquilibres de l’économie calédonienne