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La justice en Nouvelle-Calédonie

mardi 14 mai 2013 par Luc STEINMETZ

 Introduction

Vocabulaire préliminaire :

Les sens du mot « justice ». La justice, ce peut être :

  • La vertu qui inspire le respect absolu du droit d’autrui ;
  • Le caractère de ce qui est équitable, conforme au droit, à la loi morale ou religieuse ;
  • Le pouvoir de dire le droit, de rendre le droit à chacun et aussi l’exercice de ce pouvoir ;
  • Ce peut être enfin l’institution qui exerce ce pouvoir. C’est le sens que nous allons retenir dans notre intervention.
    Ainsi entendue, la « justice » désigne l’ensemble des juridictions.

Juridiction : de jus, juris (le droit) ; dictio (dire) = institution dont le rôle est de « dire le droit ».

Pouvoir judiciaire ? Peut-on parler d’un pouvoir judiciaire au sens strict en France ? Non, car en démocratie le pouvoir ne peut venir que du peuple, or les juges ne sont pas élus. Mais plutôt « service administratif de la justice » (cf. titre VIII de la Constitution « De l’autorité judiciaire », dont le Président de la République est garant de l’indépendance assisté par le conseil supérieur de la magistrature → inamovibilité des magistrats du siège).

Différence entre « Magistrats du siège » ou « assis » qui jugent et « Magistrats du parquet » « debout » qui assurent la défense de la société et requièrent les peines.

Les deux grands principes d’organisation de la justice

1. La séparation des autorités administratives et judiciaires (qui remonte à la loi du 24 août 1790).

Deux ordres de juridictions :

  • administratives avec au sommet le Conseil d’État ; elles ont à connaître les litiges qui opposent l’administration aux particuliers et les administrations entre elles.
  • judiciaires avec au sommet la Cour de cassation ; elles jugent les litiges entre particuliers (juridictions civiles) et les auteurs d’infractions (juridictions pénales ou répressives).

2. La règle du double degré de juridiction

Principe : quand on a perdu ou été condamné en « 1re instance », on peut demander à être jugé une deuxième fois par une juridiction supérieure : c’est « faire appel ».

Exceptions : cette règle ne joue pas quand le litige est de faible importance.
Ces deux grands principes d’organisation de la justice se retrouvent en Nouvelle-Calédonie mais avec des particularités.

 I - Les particularités de l’organisation de la justice en Nouvelle-Calédonie

1. Une adaptation des juridictions qui tient compte de la « taille humaine » de la collectivité calédonienne.
(cf. tableaux infra)

2. L’existence de deux sections détachées du TPI et d’une antenne détachée pour tenir compte de la « taille physique » de la Nouvelle-Calédonie.

3. La prise en compte d’une population kanak à « statut coutumier » par :

  • la présence d’assesseurs coutumiers dans les juridictions civiles étatiques ;
  • la reconnaissance d’une justice coutumière civile.

Mais survivance conflictuelle d’une justice pénale coutumière illégale et donc sanctionnée

 A - Les juridictions judiciaires en Nouvelle-Calédonie

Le tableau ci-dessous est commenté en insistant sur ce qui fait la différence entre l’organisation métropolitaine et celle en vigueur en Nouvelle-Calédonie.


En blanc : juridictions civiles - En jaune : juridictions pénale

1. L’organisation du tribunal de première instance (le TPI)

C’est en Nouvelle-Calédonie la fusion en une seule juridiction du premier degré des deux juridictions qui existent en métropole : le TI (tribunal d’instance) et le TGI (tribunal de grande instance).


En blanc : juridictions civiles - En jaune : juridictions pénales

Trois particularités méritent d’être relevées :

  • Le tribunal civil, lorsqu’il siège en formation coutumière se voit complété par deux assesseurs coutumiers (cf. infra II).
  • En métropole, le tribunal de commerce est composé uniquement de représentants de la profession élus. En Nouvelle-Calédonie, c’est un magistrat professionnel qui est le président du tribunal mixte de commerce ; il est associé à trois juges consulaires représentants la profession et qui sont élus.
  • En métropole, le conseil des prud’hommes (compétent pour juger les conflits individuels du travail) est uniquement composé de conseillers prudhommaux employeurs et salariés élus. En Nouvelle-Calédonie, c’est un magistrat professionnel qui assure la présidence du tribunal du travail avec auprès de lui des assesseurs employeurs et salariés.

2. Les sections détachées du TPI de Koné et de Lifou


En blanc : juridictions civiles - En jaune : juridictions pénales

Notons aussi l’existence d’une antenne détachée à Poindimié pour faciliter aux justiciables les formalités administratives liées aux actes de justice.

 B - Les juridictions administratives

1. La juridiction administrative ordinaire

Elle est assurée par le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie qui est juge en première instance.
Il est chargé de dire le droit et de trancher les litiges entre l’administration et les citoyens, il est donc compétent pour juger la grande majorité des litiges résultant de l’activité des pouvoirs publics.
Par contre, il n’y a pas de cour d’appel administrative en Nouvelle-Calédonie. Pour faire appel d’un jugement du TA de Nouvelle-Calédonie, il faut s’adresser à la Cour administrative d’appel de Paris. Et au Conseil d’État à Paris en cas de cassation.

2. La juridiction administrative spécialisée

Il s’agit d’une juridiction financière. C’est la Chambre territoriale des comptes de Nouvelle-Calédonie (CTC). Elle est chargée de vérifier les comptes des collectivités locales (Nouvelle-Calédonie, provinces, communes) ainsi que de leurs établissements publics et de juger des éventuels conflits relatifs à ces comptes. Les liens entre la Cour des comptes (à Paris) et la Chambre de Nouvelle-Calédonie sont étroits. La Cour opère un contrôle hiérarchique sur le fonctionnement de la CTC. La Cour des comptes est le juge d’appel de la CTC.

 C - Le Conseil constitutionnel et les « lois du pays »

Il convient pour être complet de parler du rôle du Conseil constitutionnel qui peut-être amené à juger de la constitutionnalité des lois du pays votées par le congrès. La procédure de sa saisine est la suivante.

  • Dans les quinze jours qui suivent l’adoption d’une loi du pays par le Congrès de la Nouvelle-Calédonie, diverses autorités (haut-commissaire de la République, gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et président du Congrès ou d’une assemblée de province) ou onze membres du Congrès ont la possibilité de demander une nouvelle délibération de ce texte.
  • Si aucune demande en ce sens n’a été formulée, la procédure de promulgation est engagée.
  • Une nouvelle délibération ne peut être refusée et ne peut intervenir moins de huit jours après la demande. S’il n’est pas en session, le Congrès est spécialement réuni à cet effet.
  • La loi du pays, si elle a fait l’objet d’une nouvelle délibération du Congrès - condition sine qua non - peut être déférée au Conseil constitutionnel, dans un délai de dix jours, par les mêmes autorités que précédemment ou dix-huit membres du Congrès. Si elle ne contient aucune disposition contraire à la Constitution, elle peut être promulguée. Dans le cas inverse, il convient de distinguer selon que cette disposition est séparable ou non de l’ensemble de la loi du pays. Selon les cas, c’est la promulgation d’une disposition seulement ou de la loi du pays dans son entier qui est bloquée.

 II - Ordre juridique kanak et ordre juridique français : confrontation historique et situation actuelle

Dans la société kanak traditionnelle, la coutume était la règle sociale, dont les manquements étaient sanctionnés par la justice coutumière.

  • Après le rattachement de la Nouvelle-Calédonie à la France (1853), l’ordre juridique mélanésien a été progressivement confronté au système français, sans être réellement pris en compte avant 1946.
  • Il a fallu attendre 1982 pour que la justice française puisse incorporer la coutume dans ses sources et l’appliquer aux Kanak qu’elle régit.
  • Cette incorporation est intervenue avec l’ordonnance du 15 octobre 1982 et a été confirmée par l’Accord de Nouméa et la loi organique statutaire.
  • Elle se traduit par la présence d’assesseurs coutumiers dans la juridiction française qui applique le droit coutumier en matière civile mais pas en matière pénale.

 A - 1853-1982 : ignorance, méconnaissance et tardive prise en compte de la coutume par la justice française

1 - Le temps des malentendus de la période coloniale (1853-1946)

  • Sur le plan pénal, en cas de délit ou de crime, les indigènes étaient soumis au droit pénal français (aggravé par le code de l’indigénat) et au droit punitif coutumier.
  • Sur le plan civil, les indigènes restaient entièrement régis par la coutume, en marge des juridictions françaises.

2 -La coexistence facilitée des deux droits (1946-1982)

  • La fin de la colonie et la consécration de la dualité de statut personnel :
    • Art. 82 Constitution de 1946 : « les citoyens qui n’ont pas le statut civil français conservent leur statut personnel tant qu’ils n’y ont pas renoncé ».
    • Art. 75 de la Constitution de 1958 : « Les citoyens de la République qui n’ont pas le statut civil de droit commun conservent leur statut personnel tant qu’ils n’y ont pas renoncé ».
  • Possibilité pour les Mélanésiens de passer d’une manière irréversible du « statut civil particulier » au statut de droit commun. Deux catégories de Mélanésiens au regard du droit français : 95 % régis par la coutume ; 5 % régis par le droit civil français.
  • Pénalement, tous relèvent de la justice pénale de la République qui leur applique le droit pénal français.
  • Mais les tribunaux français, même si les Mélanésiens de statut particulier s’adressaient à eux en matière civile, ne pouvaient juger en leur appliquant la coutume, faute de la connaître. Sauf déclinatoire de compétence renvoyant aux autorités coutumières, ils leur appliquaient le droit commun.

 B - La situation actuelle : de l’ordonnance de 1982 à l’Accord de Nouméa et à la loi organique


1 - C’est le temps de l’application du droit coutumier par la justice française.

L’ordonnance n° 82-877 du 15 octobre 1982 a tenté de résoudre le problème qui vient d’être évoqué en instituant en Nouvelle-Calédonie des assesseurs coutumiers au tribunal civil de première instance et à la Cour d’Appel de Nouméa. Le mécanisme mis en place se caractérise par :

  • L’instauration d’une compétence du juge judiciaire associé à des assesseurs coutumiers pour connaître des litiges entre citoyens de statut civil particulier. Lors des procès, ces assesseurs ont voix délibérative : ils jugent comme les magistrats professionnels ; mais en même temps, ils sont réputés experts en coutume, et ils vont donner la règle coutumière qui s’applique dans un cas précis.
  • Cette compétence n’est pas exclusive et les citoyens de statut civil particulier peuvent décider de porter le conflit devant les autorités coutumières qui se voient reconnaître un pouvoir de conciliation entre citoyens de statut civil particulier.
  • Le mécanisme des assesseurs coutumiers a été rendu applicable aux sections détachées du tribunal de première instance de Nouméa créées en 1992 à Koné et à Lifou pour rendre plus proches des populations mélanésiennes la juridiction de droit « en formation coutumière ».

2 - L’Accord de Nouméa et la loi organique :

Ils contiennent des dispositions qui intéressent le droit coutumier et qui ont des interférences sur la justice coutumière, dans le prolongement de l’ordonnance de 1982.

  • Le statut civil particulier des Kanak s’appelle désormais statut coutumier. Irréversibilité du choix entre les deux statuts supprimée.
  • Le statut coutumier distingue les biens implantés sur les terres coutumières (nouveau nom des réserves) des biens situés en dehors. La coutume régit les premiers. Le droit commun régit les seconds (accession à la propriété et dévolution successorale).
  • La justice civile de droit commun (complétée par les assesseurs coutumiers) est seule compétente pour connaître les litiges relatifs au statut civil coutumier et aux terres coutumières.
  • Mais en matière pénale, les Kanak ne relèvent que de la justice pénale et de la loi pénale française.

3 - Les problèmes liés à la dualité des ordonnancements juridique et juridictionnel

  • La condamnation d’un droit pénal coutumier et d’une justice pénale coutumière. cf. notamment la condamnation par le TC et la CA de Nouméa des« chefs fouettards » de Lifou, et le rejet de leur pourvoi par la Cour de cassation : affaire dite des « témoins de Jéhovah ». Mais la justice pénale coutumière sévit tout de même tant qu’une plainte n’est pas déposée au pénal.
  • L’incompétence des juridictions pénales de la République à statuer sur intérêts civils. cf. Avis Cour de cassation des 16 décembre 2005 et 15 janvier 2007, selon lesquels, lors d’une instance pénale opposant des citoyens de statut civil coutumier, la réparation du dommage subi par la partie civile relève de la coutume.

titre documents joints

La justice en Nouvelle-Calédonie

14 mai 2013
info document : PDF
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Intervention lors du stage qui s’est déroulé au Vice-Rectorat le 11 octobre 2012.


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