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L’émancipation civique et politique des Mélanésiens

samedi 17 juillet 2010 par Benoît TREPIED

L’émancipation civique et politique des Mélanésiens (1946-1957).

 Ensemble documentaire

Document 1 :

Tract du parti communiste calédonien, avril 1946

Document 2 :

Tract de l’UICALO, mai 1946

Document 3 :

lettre du Gouverneur de la Nouvelle-Calédonie au Ministre d’Outre-Mer, 19 mai 1947, SANC 97 W 18

Document 4 : rapport d’un gendarme, 1956.

Tract du parti communiste calédonien, avril 1946
(Service des archives de la Nouvelle-Calédonie, 107 W 1650)

 Chronologie indicative

24 juin 1940 : le Conseil Général de Nouvelle-Calédonie décide à l’unanimité de continuer la
guerre aux côtés des Alliés. Dans les années qui suivent, plusieurs centaines d’engagés
volontaires indigèn es sont stationnés dans les casernes calédoniennes ou envoyés sur
théâtre des opérations extérieures au sein du Bataillon du Pacifique.

1942-1946 : la Nouvelle-C alédonie devient une base arrière de l’armée américaine dans le
Pacifique, où passent au total plus d’un million de soldats alliés. De nombreux
Mélanésiens sont employés dans les camps militaires américains.

30 janvier-8 février 1944 : la conférence de Brazzaville jette les bases de l’Union Française.

22 août 1945 : une ordonnance accord e le droit de vote aux indigènes non-cito yens ministres
du culte, militaires et anciens combattants des deux guerres mondiales, fonctionnaires
et agents de l’administration, titulaires de diplômes officiels et chefs traditionnels, soit
894 personnes. Seront ajoutés à cette liste quelques mois plus tard les moniteurs des
écoles privées et les catéchistes.

22 décembre 1945 : abolition du régime de l’Indigénat pour les sanctions.

15 janvier 1946 : assemblée générale constitutive du parti communiste calédonien (PCC).

20 février 1946 : abolition du régime de l’Indigénat pour les peines.

25 avril 1946 : premiers tracts du PCC à l’adresse de la population mélanésienne.

3 mai 1946 : abolition du système des réquisitions de main-d’œuvre indigène. La liberté
entière de circulation est octroyée à tous les indigènes. Les contrats d’engagement sont
progressivement abolis.

25 mai 1946 : premier tract de « revendications de l’Union des Indigènes Calédoniens Amis
de la Liberté dans l’Ordre » émis par un « Comité d’appel » d e quinze notables
mélanésiens proches des Missions et hostiles au PCC.

12 octobre 1946 : promulgation en Nouvelle-Calédonie de la loi du 7 mai 1946 proclamant
citoyens tous les ressortissants des territoires d’outre-mer. L’inscription des nouveaux
citoyens aux listes électorales n’est pas prévue po ur la Nouvelle-Calédonie.

27 octobre 1946 : la Constitution de la Quatrième République crée l’Union Française.

Fin 1946 : déclin rapide du PCC après le départ de sa secrétaire Jeanne Tunica Y Casas pour
l’Australie en août.

12-19 mars 1947 : assemblée générale constitutive de l’Union des Indigènes Calédoniens
Amis de la Liberté dans l’Ordre (UICALO, d’insp iration catholique).

25-27 juin 1947 : assemblée générale constitutive de l’Association des Indigènes Calédoniens
et Loyaltiens Français (AICLF, d’inspiration protestante).

23 mai 1951 : la loi élar gissant le collège électoral indigène dans les territoires d’outre-mer est
rendue applicable à la Nouvelle-Calédonie. Les listes électorales comptent 8930
autochtones (60 % des Mélanésiens en âge de v oter) et 10828 inscrits de statut civil
commun.

1er juillet 1951 : élection-surprise à la députation de Maurice Lenormand, candidat soutenu
par l’UICALO et l’AICLF.

17 septembre 1952 : accord politique à Nouméa sur les procédures électorales pour le
renouvellement du Conseil Général de Nouvelle-Calédonie, validé par l’Assemblée
Nationale le 19 novembre 1952.

8 février 1953 : victoire des « listes d’Union Calédonienne » élaborées par Maurice
Lenormand, l’UICALO et l’AICLF, lors des élections pour le renouvellement du
Conseil Général. Elles obtiennent 14 sièges su r 25, dont 9 sont occu pés pour la
première fois par des con seillers généraux mélanésiens.

3 et 10 octobre 1954 : lors des élections municipales dans l’Intérieur, les « listes d’Union
Calédonienne » remportent 15 municipalités sur 29 et totalisent 7195 voix contre 8391
à l’ensemble des autres listes.

8 janvier 1956 : réélection triomphale de Maurice Lenormand à la députation.

12-13 mai 1956 : congrès constitutif du « Mouvement d’Union Calédonienne »

22 juillet 1957 : décret appliquant à la Nouvelle-Calédonie la Loi-Cadre Defferr e du 19 juin
1956, mettant en place une large autonomie locale. Les dernières restrictions au
suffrage universel sont levées : les listes électorales comptent alors 13725 inscrits
autochtones et 13824 inscrits de statut civil commun.

6 octobre 1957 : l’Union Calédonienne remporte les premières élections territoriales et dirige
le premier Conseil de Gouvernement.

Sources :

- Houdan, Olivier, 1998, Maurice Lenormand, 40 ans d e vie politique en Nouvelle-Calédonie (1951-
1988), mémoire de maîtrise d’histoire, Université Charles de Gaulle-Lille III.

  • Kurtovitch, Ismet, 2002, La vie politique en Nouvelle-Calédonie : 1940-1953, thèse de doctorat
    d’histo ire, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion.

 Bibliographie indicative

Demmer, Christine, 2002, Les Héritiers d’Eloi Machoro (1941-1985). Une génération
nationaliste au pouvoir à Amââ et Kûöö, villages de Xârâcùù (Canala), Nouvelle-
Calédonie, Paris, thèse de doctorat en anthropologie sociale, Ecole des Hautes Etudes
en Sciences Sociales.

Guiart, Jean, 1966, L’Entrée des Mélanésiens dans la Cité, Paris, Centre de documentation
pour l’Océanie.

Houdan, Olivier, 1998, Maurice Lenormand, 40 ans de vie politique en Nouvelle-Calédonie
(1951-1988), Lille, mémoire de maîtrise d’histoire, Université Charles de Gaulle-Lille
III (consultable au Centre Culturel Tjibaou).

Houdan, Olivier, 2000, « Deux couleurs mais un seul peuple » : Histoire du Mouvement
d’Union Calédonienne (1953-1977), Lille, mémoire de DEA en histoire, Université
Charles de Gaulle-Lille III (consultable au Centre Culturel Tjibaou).

Kurtovitch, Ismet, 1997, Aux origines du F.L.N.K.S. : l’U.I.C.A.L.O et l’A.I.C.L.F (1946-
1953), Nouméa, Ile de Lumière.

Kurtovitch, Ismet, 2001, « Histoire de l’accord du 17 septembre 1952 », Bulletin de la Société
d’ Études Mélanésiennes, n°31, pp. 21-40.

Kurtovitch, Ismet, 2002, La vie politique en Nouvelle-Calédonie : 1940-1953, thèse de
doctorat d’histoire, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion.

Lenormand, Maurice, 1954, L’évolution politique des autochtones de la N ouvelle-Calédonie,
Paris, Société des Océanistes, Musée de l’Homme.

Lenormand, Maurice, 1991, « Décolonisation ratée, indépendance avortée », Journal de la
Société des Océanistes, n °92-93, 1&2.

Soriano, Eric, 2000, « Tisser des liens politiques. Mobilisations électorales et vote
mélanésien (1946-1958) », in Bensa, Alban et Leblic, Isabelle (dir.), En Pays Kanak,
Paris, Mission du Patrimoine Ethnologique, Collection Ethnologie de la France, cahier
14, Editions de la Maison des Sciences de l’Homme.

Soriano, Eric, 2001, Une Trajectoire du politique en Mélanésie. Construction identitaire et
formation d’un personnel politique. L’exemple K anak de Nouvelle-Calédonie (1946-
1999), Montpellier, thèse de doctorat en science politique, Université Montpellier 1
(consultable aux Archives de la Nouvelle-Calédonie).

Trépied, Benoît, 2007, Politique et relations coloniales en Nouvelle-Calédonie. Ethnographie
historique de la commune de Koné, 1946-1988, Paris, thèse de doctorat en
anthropologie sociale, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (consultable au
Centre Culturel Tjibaou).

 Extraits d’entretiens sur les débuts de la politique en milieu mélanésien

Sources :

Soriano, Eric, 2000 , « Tisser des liens politiques. Mobilisations électorales et vote mélanésien (1946-1958 ) », in
Bensa, Alban et Leblic, Isabelle (dir.), En Pays Kanak, Paris, Mission du Patrimoine Ethnologique, Collection
Ethnologie de la France, cahier 14, Editions de la Maison des Sciences de l’Ho mme.

Trépied, Benoît, 2007, Politique et relations coloniales en No uvelle-Calédonie. Ethnographie historique de la
commune de Koné, 1946-1988, Paris, thèse de doctorat en anthro pologie sociale, Ecole des Hautes Etudes en
Sciences Sociales (consultable au Centre Culturel Tjibaou).

Tournées de propagande UC en tribu : les stratégies des candidats mélanésiens

« Quand on va en tribu à cette époque, la politique n’est pas encore quelque chose de très
compris par les gens. Eu x, ils voient ce qui fait le Mélanésien dans sa culture : la tribu, le clan,
les chefs, la terre… Ils réagissent en fonction des problèmes coutumiers mais la politique elle
n’est pas perçue comme quelque chose de réel, vous comprenez. Ca, c’est un gros problème
pour nous. Le vote, on l’explique en disant que cela doit rapporter quelque chose. Des
adductions d’eau, l’ électricité, les routes […], mais la politique comme les Européens, ça ne
vient que chez certains et petit à petit. »
(entretien d’Eric Soriano avec Michel Kauma, Nouméa, juillet 1994).

« A l’époque, le travail des élus était beaucoup plus simple, il suffisait de savoir qui étaient les
notables et toute la tribu suivait, sans rien dire, p arce que le notable l’avait dit. La question,
c’était juste de savoir qui il fallait aller voir en premier. Parce qu’après, cela créait des
jalousies. Il y avait des gens qui étaient incontournables parce qu’ils étaient chefs ou qu’ils
s’occupaient bien des affaires de la tribu. Mais pour les voir, il fallait d ’abord voir qui était
important. Après seulement, on pouvait discuter. Souvent avec un traducteur, parce qu’il y a
beaucoup de langues chez nous et tout le monde ne parlait pas le français. »
(entretien d’Eric Soriano avec Maurice Parawi Reybas, Nouméa, juillet 1994).

« Ce qui nous a sauvés, c’était la coutume. Les gens, ils avaient l’habitude de la coutume
c’est-à-dire qu’ils sav aient à qui il fallait obéir. La force de la coutume a fait que même si les
gens ne comprenaient pas très bien à quoi correspondait ce geste, ils savaient que c’était bien
pour la tribu parce que le chef ou le conseil des anciens l’avaient dit. A cette époque, les
jeunes et les femmes obéissaient au doigt et à l’œil, li n’y avait pas de contestation. Et ne pas
faire ce qu’on vous disait, c’était refuser quelque chose de sacré. Alors, dans la tête des gens,
ne pas aller voter, c’était comme ne pas respecter les règles de la coutume. »
(entretien d’Eric Soriano avec Elia Tidjine, Poum, septembre 1996).

« Nos vieux avant, quand on sort de la messe, deux ou trois semaines avant l’élection, ils
disent, ils annoncent à tous les gens que ce jour-là, on va voter. Donc la liste à nous, voilà, ils
nous montrent. Il y avait les délégués de l’UICALO, […] ils passent dans les tribus, et puis ils
annoncent aux gens, « voilà, il y aura une élection. Nous, on va voter… », ils montrent les
cartes ou les bulletins. Ils ont mis dessus la croix [verte, symbole de l’UC], pour pas qu’on se
trompe, même le vieux qui ne lisait pas. »
(Entretien de Benoît Trépied avec une femme de la tribu de Tiaoué, Koné, décembre 2002).

Conditions matérielles du vote

« A cette époque-là, on ne vote pas dans les tribus, on vote tous en bas, au village de Koné.
[…] Mais il n’y a pas de voiture qui monte à la tribu, on descend à pied. Les vieux , les vieilles
dans le temps, ils vont à pied, voter à Koné. […] Alors il y a des gens qui partent un jour
avant. C’est-à-dire le week-end où il y a le vote, les gens ils partent d’ici Atéou le vendredi ou
le samedi. Ils vont dormir à Koniambo [tribu située à 4 km du village] . De là, ils descendent le
dimanche matin au village pour voter. Après ils retournent là-bas [à Koniambo], et puis ils
rentrent, ou alors il y a des gens qui rentrent ici le matin de bonne heure, le lendemain. […] Il
y en a qui partent tous ensemble, pour aller au vote, en marchant. Il y a des familles qui
partent en famille. Ils marchent à pied, ou ils montent à cheval. »
(entretien de Benoît Trépied avec un homme de la tribu d’Atéou, Koné, février 2004).

Perception locale de l’UC : la question de l’eau

BT : « Comment vous êtes devenu délégué de l’UICALO ? »
« A cette époque-là, il y avait pas des gens qui ont des capacités supérieures, en étud es et tout
ça. Si on parlait un peu le fran çais, allez, vas-y. C’est comme ça qu’ils m’ont mis. C’était pour
former l’UICALO et l’UC.
Après, une fois qu’on avait formé l’UC, ils ont demandé ce qu’on voulait dans chaque
tribu. Moi, j’ai demandé pour l’eau, on était malheureux ici pour l’eau. J’avais demandé donc,
juste pour une adduction d’eau, à notre parti politique. […] Je suis descendu à Païta pour la
formation de l’UIC ALO [assemblée générale con stitutive de mars 1947…] Il fallait faire des
comptes-rendus de ce qui ne va pas chez nous. Moi j’ai dit : c’est l’eau, on est mort pour
l’eau. On peut pas laver le linge sans que le linge devienne jaune. On sait ce que ça fait le
nickel. […] Après ça, on a fait la réunion ici. Moi, j’ai dit aux gens ici : « j’ai demandé pour
l’eau, on va avoir l’eau, ils ont dit oui, ils vont arriver avec des tu yaux. Ils vont venir voir
d’abord, après ils vont envo yer les tu yaux. » »
(Entretien de Benoît Trépied avec un homme de la tribu de Koniambo, ancien maçon de la
Mission catholique, K oné, novembre 2002).

« Moi, la tribu où j’ai vu le premier robinet, c’est à Koniambo. C’est les vieux qui ont creusé
la tranchée, la conduite, pour amener l’eau. Moi, je faisais encore l’école à Tiaoué, j’étais un
tout petit gamin. Et le mercredi après-midi, on va toujours dans les tribus, le jeudi il y a pas
d’école. Je descends à Koniambo avec mes oncles, ma grand-mère était là. De ce temps-là, on
allait chercher l’eau à la rivière. Et le soir on arrive, un de mes oncles dit : « viens voir le
robinet avec la grand-mère », j’ai dit : « mais robinet c’est quoi ? ». Arrivé là, on arrive avec
la lampe, il tourne le robinet, l’eau coule. Il dit : « à partir de maintenant, c’est fini, avec ta
grand-mère vous n’irez plus chercher l’eau à la rivière. L’eau, elle arrive par le tu yau. » C’est
là où j’ai vu, le premier travail de l’UICALO, UC. Moi, j’ai toujours dit, là où j’ai vu le
premier robinet, c’est à Koniambo. A Koniambo, l’eau venait par un tuyau. Mais à Tiaoué, on
allait encore prendre l’eau à la rivière. C’est de là que j’ai toujours dans ma tête : ah, l’eau,
c’est UC, il faut pas aller à côté. »
(Entretien de Benoît Trépied avec un homme de la tribu de Tiaoué, Koné, juillet 2003).

Benoît Trépied, Docteur en sciences sociales (EHESS), Assistant Temporaire
d’Enseignement et de Recherche en histoire à l’Université de la Nouvelle-Calédonie (2008).

titre documents joints

L’émancipation civique et politique des Mélanésiens (1/4)

22 août 2010
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2.4 Mo

Des documents


L’émancipation civique et politique des Mélanésiens (2/4)

22 août 2010
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12.5 ko

Une chronologie


L’émancipation civique et politique des Mélanésiens (4/4)

22 août 2010
info document : PDF
16.2 ko

Des entretiens


L’émancipation civique et politique des Mélanésiens (3/4)

22 août 2010
info document : PDF
7.8 ko

Une bibliographie


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