Sujets ou citoyens, la question des statuts indigènes en Australie, Nouvelle -Calédonie, Nouvelle-Zélande et Polynésie
Compte rendu de la conférence d’Isabelle Merle, le 3 juillet 2008, au centre Tjibaou
Introduction brève sur un constat et un paradoxe : la colonisation a été l’oeuvre de démocraties
occidentales. Celles-ci ont argué de l’impossibilité d’appliquer le modèle démocratique aux
peuples conquis sous prétexte d’une inadaptation de leur structure sociale au XIXe siècle.
Au XXe siècle, les promesses d’appliquer le modèle démocratique ont été sans cesse
retardées. Enfin, au XXIe siècle, ces démocraties souhaitent imposer ce modèle par la force.
Pour comprendre le statut de l’indigénat, un retour sur les fondements de la citoyenneté est
nécessaire. Son application dans le Pacifique sera ensuite étudiée.
I. La notion de citoyenneté
a) La notion de citoyenneté en France
La citoyenneté remonte à la Révolution française. Les sujets l’obtiennent sans restriction, les
esclaves sont émancipés.
Sous le Consulat et l’Empire, l’esclavage est rétabli en 1802. Le code civil élabore les
« prémisses » d’un code de la nationalité. Celle-ci est liée à la filiation. Le citoyen est un
homme qui possède les moeurs et coutumes françaises. L’étranger est exclu de la citoyenneté.
La première moitié du XIXe siècle limite les droits politiques aux citoyens payant un
important impôt.
En 1848, le suffrage universel masculin est voté ainsi que l’abolition de l’esclavage. Les
populations anciennement asservies deviennent des citoyens à part entière selon les voeux de
V. Schoelcher.
Or, avec la colonisation de l’Algérie en 1830, une nouvelle situation s’offre au législateur.
Comment qualifier des populations habitant le sol français mais de cultures et de coutumes
différentes ? Dans ce contexte, le statut de l’indigénat est établi. Il marque une rupture
puisqu’il sépare nationalité et citoyenneté.
En 1885, le décret sur la naturalisation permet aux étrangers d’obtenir la citoyenneté si, après
une lourde enquête administrative, ils prouvent une intégration aux moeurs et coutumes
françaises. Cette demande ne peut être formulée qu’après dix années de séjour continu en
métropole, mais seulement trois années de présence sans interruption dans la colonie
algérienne.
Dans ces conditions, il devient plus aisé pour un étranger d’obtenir la citoyenneté française
que pour un Français de statut indigène de devenir citoyen français.
Un décret permettant le passage du statut d’indigène à celui de citoyen, est promulgué à la
même période. Mais, les textes d’application ne sont rédigés qu’en 1933 et de manière très
confidentielle en Nouvelle-Calédonie.
La loi cadre de 1887 qui met en place l’indigénat permet l’établissement d’un régime
d’exception. Elle facilite les mesures répressives de haute police et de police de proximité.
En cas de révolte, les opérations de maintien de l’ordre sont opérées avec par exemple la mise
en place de condamnations collectives. Ce régime d’exception se justifie par l’idée de guerre
permanente contre les éléments séparatistes.
Concernant les mesures de police de proximité, elle permet aux forces de gendarmerie
d’arrêter et de juger les contrevenants aux règles de l’indigénat sans qu’ils puissent se
défendre.
Ne respectant ni l’individualisation des peines ni la séparation des pouvoirs et le droit à la
défense, ce statut est donc anticonstitutionnel.
b) La notion de citoyenneté anglaise
La définition de citoyenneté anglaise est beaucoup plus tardive. La religion cimente la
citoyenneté. Jusqu’en 1914, les individus catholiques ne sont pas des sujets anglais.
II. Les situations de l’indigénat dans le Pacifique
Deux groupes apparaissent nettement : les ethnies considérées comme « hard primitive »
(les aborigènes et les canaques) et les ethnies considérées comme « soft primitive » (les
maoris et maohis).
Cette classification induit des traitements nettement différents qui peuvent être qualifiés
de « hard colonianism » et de « soft colonianism ».
1) les « hard colonialism »
a) La Nouvelle-Calédonie
La Nouvelle-Calédonie est marquée par une radicalisation du statut colonial. La population
mélanésienne ainsi que les assimilés (Asiatiques sauf Japonais, Polynésiens présents sur la
colonie) sont considérés comme sujets ou indigènes non citoyens jusqu’en 1946. Le décret
appliqué en 1933 est peu divulgué et n’intéressera que quelques individus.
La colonisation et l’appropriation du territoire sont l’oeuvre de l’État. Ce sont les militaires qui
conquièrent l’espace suivis par l’administration pénitentiaire et les colons. Les autorités se
désintéressent totalement de la vie des réserves. Elles n’interfèrent absolument pas dans les
statuts individuels, ni dans les attributions foncières. Elles négligent les règles de la coutume
alors que dans les colonies africaines, l’État essaie de les codifier.
Le cantonnement et les réserves induisent une fermeture socio-spatiale très forte, ce qui
permet selon certains une protection du monde canaque.
b) L’Australie
La situation diffère de trois manières.
Les Aborigènes étant considérés comme de « grands primitifs », incapables de gérer des
réserves foncières, n’ont aucun droit sur le foncier. Il faut attendre l’arrêt Mabo de 1992, pour
que leurs droits soient admis.
La colonisation a été l’oeuvre de colonisateurs privés. Ainsi, les réserves aborigènes
délimitées sont sans cesse remises en cause. Les populations sont refoulées par les avancées
des fronts pionniers.
Ces peuples sont, dés le XIXe siècle, mis sous tutelle car ils sont considérés comme
étant en danger. Cette idée de danger fait référence au génocide des Tasmans dans les années
1840. Ainsi, des réserves sont délimitées pour leur permettre d’avoir un foncier viable et une
protection. Or, la colonisation privée nie ces réserves. La notion de peuple à protéger sous
tend l’idée d’incapacité. Ainsi, les États vont s’autoriser à intervenir dans les cas individuels.
Considérés comme incapables d’élever leurs enfants, les familles sont écartelées. Les enfants
sont placés dans des familles blanches.
2) les « soft colonialism »
La colonisation de la Polynésie et de la Nouvelle-Zélande sont très fortement différentes. Le
regard porté sur les peuples en est l’origine.
La Polynésie et la Nouvelle-Zélande ont été découvertes au XVIIIe siècle. Les rapports
scientifiques sont empreints de naïveté. Les deux archipels sont des paradis terrestres, peuplés
de bons sauvages pour la Polynésie. Les guerriers maoris sont redoutables, ce qui dénote des
qualités d’organisation. (Alors qu’au XIXe siècle, la colonisation de la Nouvelle-Calédonie
se produit dans un contexte philosophique empreint de darwinisme social).
Les structures politiques et sociales sont plus élaborées. Elles respectent une hiérarchie qui
peut être comprise par les Européens. Ces peuples sont ouverts aux échanges. Ainsi, les
Maoris acceptent des produits européens contre des terres.
Dans les deux archipels, les colonisateurs vont donc devoir négocier directement leur
installation avec les autorités locales. En 1840, la notion de protectorat nait à Tahiti, le roi
conservant ses prérogatives sur les affaires internes. Cette même année, les Maoris concluent
un traité avec la Reine d’Angleterre.
D. Monterrain, agrégé d’histoire - géographie
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Sujets ou citoyens, la question des statuts indigènes
Compte rendu de la conférence d’Isabelle Merle, le 3 juillet 2008, au centre Tjibaou