Les échanges

Les navigateurs européens doivent nécessairement obtenir de l'eau et des vivres frais pour pouvoir poursuivre leur voyage. Afin de troquer avec les indigènes, les navires embarquent de grandes quantités d'objets manufacturés de peu de valeur : la pacotille. Les objets en fer, en particulier, attirent la convoitise des peuples qui ignorent le métal.

Tahitiens présentant des fruits à Bougainville. Gravure du XVIIIe siècle (source : Wikimedia)

 

Approfondissement

La pacotille est une marchandise bon marché qui permet aux navigateurs de se ravitailler à peu de frais et aussi de se procurer facilement les plantes, les animaux et les objets d'art primitif qui iront enrichir les collections des musées européens. Par ailleurs, il est de tradition que les marins emportent eux aussi de la pacotille pour faire leur propre commerce lors des escales.

Les pirogues étaient revenues au navire dès le lever du soleil, et toute la journée on fit des échanges. Il s’ouvrit même de nouvelles branches de commerce ; outre les fruits de l’espèce de ceux apportés la veille et quelques autres rafraîchissements, tels que poules et pigeons, les insulaires apportèrent avec eux toutes sortes d’instruments pour la pêche, des herminettes de pierre, des étoffes singulières, des coquilles, etc. Ils demandaient en échange du fer et des pendants d’oreilles. […]  les insulaires apportaient de toutes parts des fruits, des poules, des cochons, du poisson et des pièces de toile qu’ils échangeaient contre des clous, des outils, des perles fausses, des boutons et mille autres bagatelles qui étaient des trésors pour eux.

Bougainville, Voyage autour du monde, 1771

Bougainville nous donne une idée de ce qui était nécessaire pour ravitailler ses deux navires.

[…]Entre ce qui en a été consommé dans le séjour à terre et ce qui a été embarqué dans les deux navires, on a troqué plus de huit cents têtes de volailles et près de cent cinquante cochons ; encore, sans les travaux inquiétants des dernières journées, en aurait-on eu beaucoup davantage, car les habitants en apportaient de jour en jour un plus grand nombre.

Bougainville, Voyage autour du monde, 1771

Instruments de Malicolo et de Tanna, illustration du Voyage autour du monde, 1771

La question des vivres est cruciale dans les voyages au XVIIIe siècle. Le voyage de Bougainville n'a pas été de tout repos et certains se plaignent que le manque de vivres frais a bien failli compromettre l'expédition et empêché tout réel travail d'exploration.

[...] l'écrivain du bord, le ronchonneux Saint-Germain, n'a pas tout à fait tort quand il note dans son journal : " la façon dépourvue de précaution dont cette traversée a été entreprise est d'autant plus sensible qu'elle nous fait perdre le fruit de nos peines". Evoquant toutes les îles aperçues et négligées, il ajoute : " mais pressés par le défaut de vivres nous n'avons pu en visiter aucune... Que pouvons-nous même dire de Cythère ?... A quoi se réduit l'utilité de ce voyage pour la nation ?" [...]. Mais constatons que le récit de Bougainville, comme ceux de ses compagnons, donne après Tahiti l'impression d'une course angoissée contre le temps, la faim et le scorbut [...]. Quand, après avoir quitté Tahiti le 15 avril 1768, il atteint quatre mois et demi plus tard le havre sauveur de Boero, il écrit ces lignes [...] : "personne ne pouvait se dire entièrement exempt du scorbut et la moitié de l'équipage était hors d'état de faire aucun travail. Huit jours de plus à la mer eussent assurément coûté la vie à un grand nombre, et la santé à presque tous. Les vivres qui nous restaient étaient si pourris et d'une odeur si cadavéreuse que les moments les plus durs de nos tristes journées étaient ceux où la cloche avertissait de prendre ces aliments degoûtants et malsains".

Carr Adrien, L'Expédition de Bougainville et l'hygiène navale de son temps, in: Journal de la Société des océanistes, Tome 24,1968

Pour dialoguer avec les indigènes, les Européens utilisent le langage corporel, mais très vite ils recrutent et forment des interprètes. C'est surtout le cas en Polynésie où les navigateurs constatent la présence d'une langue commune entre toutes les îles : la langue maohi ou maori. C'est plus difficile en Mélanésie où il existe des centaines de langues, parfois sur une même île. A Tahiti, un indigène a embarqué avec Bougainville. Il s'agit de Aoutourou, un homme d'une trentaine d'années, fils d'un chef de district et d'une captive originaire de Raïatea. Il a été le premier à monter à bord à l'arrivée des bateaux et il insiste (c'est Bougainville qui le dit) pour partir avec lui. Bougainville l'emmène en Europe où le Tahitien fait sensation dans les salons et où son naturel alimente les discussions sur le "bon sauvage". En 1770, Aoutourou embarque sur un navire à destination de son île natale, mais il meurt de la variole à l'île de France (Maurice) en 1771.