La Boudeuse
La Boudeuse est la frégate que commande Bougainville. C'est un navire de guerre, qui est accompagné pour cette expédition de l'Etoile, un navire de transport. 330 hommes environ sont embarqués sur les deux navires.
La frégate La Boudeuse. Gravure du XVIIIe siècle (source : Wikimedia)
Approfondissement
La Boudeuse est une frégate de 12 flambant neuve, un navire de guerre à trois mâts, de 550 tonneaux pour 40 mètres de long. Elle porte 32 canons.dont 26 canons de 12 livres (que Bougainville a fait remplacer par des canons de 8 pour gagner du poids) en batterie et 6 canons de 6 sur le pont. Elle fait partie d'une nouvelle classe de bâtiments (dont le prototype est l'Hermione, lancée en 1748) qui a remplacé les anciennes frégates de 8 (portant des canons de 8 livres). Suivant les progrès de l'armement naval, les frégates de 12 sont surclassées, après 1782, par les frégates de 18, puis par les frégates de 24 après 1794.
La Boudeuse avait un pont unique portant son artillerie et qui, au milieu, était en abord à environ 1,20 m au dessus de l'eau, il se relevait de quelques pouces vers l'avant et de quelques pieds vers l'arrière. Sous ce pont, un faux pont placé au milieu à environ 1,60 m sous les baux, donnait un vaste entrepont où logeait l'équipage ; matelots, mousses et soldats couchés dans des hamacs [le] partageaient avec les boeufs, moutons et cochons embarqués vivants pour les premiers jours de traversée [...]. Sur l'arrière, où le relèvement du pont donnait une hauteur supérieure, une cloison limitait la Sainte Barbe qui s'éclairait par deux petits sabords percés dans l'arcasse. Y logeaient les officiers mariniers et canonniers. Sur l'avant de cette Sainte Barbe, deux petites chambres de 2 X 2,50 m environ logeaient l'aumônier et le chirurgien. Au-dessus du pont, du grand mât à l'arrière, s'étendait le gaillard arrière, s'élevant à environ 1,80 m. Sous ce gaillard, à l'arrière, la grande chambre de 7 m de large sur 6 m de long, sur laquelle était prise la chambre de Bougainville. Elle était largement éclairée à l'arrière par une rangée de fenêtres, et donnait sur les côtés dans les bouteilles [constructions faites de chaque côté de la poupe, en dehors du vaisseau, revêtues et ornées de sculptures qui servent d’ornementations et de commodités pour les officiers]. Une vaste table était fixée au milieu entourée de sièges formant caissons à provisions. Sur l'avant de cette grande chambre, de chaque bord, on trouvait deux chambres de mêmes dimensions que celles du faux pont et prévues pour un ou deux officiers. Sous le reste s'abritait la bordée de quart. [...] Sous le gaillard avant, se trouvaient les cuisines ; officiers, maîtres, matelots et soldats ayant chacun la leur. Ces cuisines se limitaient d'ailleurs à un bac à sable et quelques marmites plus ou moins grosses [...]. Le gaillard d'arrière était réservé aux officiers et timoniers qui le partageaient avec quelques centaines de poules, oies, dindes, etc. Sous le faux pont, s'étendaient les soutes comprenant, à partir de l'arrière, la soute du maître canonnier, au-dessus de la soute à poudre. Puis la soute à pain, une vaste cale s'étendant jusqu'au grand mât contenait les vivres. Puis sur l'avant la soute à eau, puis la soute aux voiles et, sur l'arrière du mât de misaine, la soute aux câbles. Enfin à l'avant, la soute du maître de manoeuvres contenant filins et poulies, surmontant une deuxième soute aux poudres. Il est à remarquer que sur les navires de commerce un entrepont s'établissait au-dessus du pont, logeant passagers et équipage et tout l'espace sous le pont était disponible pour la cargaison. On comprend que Bougainville ait eu des difficultés à embarquer les vivres nécessaires à sa campagne dans ses soutes ainsi réduites.
L. Denoix,. Les bateaux du voyage de Bougainville La Boudeuse et l'Étoile, Journal de la Société des océanistes Tome 24,1968
La Boudeuse n'emporte que six mois de vivres aux capacités de conservation incertaines sous un climat chaud et humide. C'est pourquoi elle est accompagnée d'une flûte chargée d'emporter six mois de vivres supplémentaires. L'Etoile est un navire de transport, de 480 tonneaux. Elle porte 20 canons de 6 livres. Pour comparer, les plus grands vaisseaux de commerce de l'époque, ceux de la Compagnie des Indes, font 600 tonneaux. Malgré les dimensions des navires, l'espace sur les navires est exigü pour un aussi long voyage.
L. Denoix,. Les bateaux du voyage de Bougainville La Boudeuse et l'Étoile, Journal de la Société des océanistes Tome 24,1968
C'est le double environ de l'équipage d'un navire marchand de même taille. En outre, cet équipage comprend le naturaliste Commerson, l'astronome Véron et le cartographe Romainville ainsi que leurs domestiques.
A son retour, Bougainville se félicitera de n'avoir que peu de morts à déplorer dans son équipage. C'est vrai que, en deux ans et quatre mois, il n'y a eu que dix décès sur la Boudeuse :
[...] quatre ont péri noyés, deux sont mort du scorbut [...], deux de dysenterie contractée à Batavia [...], un de phtisie [...], et un de maladie indéterminée [...]. En fait, ce résultat, dix morts, accidents compris, pour 213 personnes embarquées sur la Boudeuse, et deux morts sur les 120 personnes de l'Etoile, était remarquable, comparés aux malheurs d'Anson, de Wallis, de Carteret et de Byron, et même de Cook à son premier voyage sur l'Endeavour [...]. Rappelons aussi, à titre de comparaison, que pour un voyage en Chine de deux ans, la mortalité moyenne des bâtiments de la Compagnie des Indes était de 20%, soit le cinquième de l'effectif.
Carr Adrien. L'Expédition de Bougainville et l'hygiène navale de son temps. In: Journal de la Société des océanistes. Tome 24,1968
Jeanne Baré, première circumnavigatrice de l'Histoire ?
Depuis quelque temps, il courait un bruit dans les deux navires que le domestique de M. de Commerçon, nommé Baré, était une femme. Sa structure, le son de sa voix, son menton sans barbe, son attention scrupuleuse à ne jamais changer de linge, ni faire ses nécessités devant qui que ce fut, plusieurs autres indices avaient fait naître et accréditaient le soupçon. Cependant, comment reconnaître une femme dans cet infatigable Baré, botaniste déjà fort exercé, que nous avions vu suivre son maître dans toutes ses herborisations, au milieu des neiges et sur les monts glacés du détroit de Magellan [...] ? Il fallait qu’une scène qui se passa à Tahiti changeât le soupçon en certitude. M. de Commerçon y descendit pour herboriser. A peine Baré, qui le suivait avec les cahiers sous son bras, eut mis pied à terre, que les Tahitiens l’entourent, crient que c’est une femme et veulent lui faire les honneurs de l’île. Le chevalier de Bournand, qui était de garde à terre, fut obligé de venir à son secours et de l’escorter jusqu’au bateau. Depuis ce temps il était assez difficile d’empêcher que les matelots n’alarmassent quelquefois sa pudeur. Quand je fus à bord de L’Étoile, Baré, les yeux baignés de larmes,m’avoua qu’elle était une fille : elle me dit qu’à Rochefort elle avait trompé son maître en se présentant à lui sous des habits d’homme au moment même de son embarquement ; [...] que, née en Bourgogne et orpheline, la perte d’un procès l’avait réduite dans la misère et lui avait fait prendre le parti de déguiser son sexe [...].
Bougainville, Voyage autour du monde, 1771
Et Bougainville de conclure, en militaire grivois plutôt qu'en homme du monde::
Elle n’est ni laide ni jolie, et n’a pas plus de vingt-six ou vingt-sept ans. Il faut convenir que, si les deux vaisseaux eussent fait naufrage sur quelque île déserte de ce vaste océan, la chance eût été fort singulière pour Baré.