Les Tahitiennes
Bougainville et ses compagnons, comme les autres navigateurs de l'époque, s'extasient sur la beauté des femmes polynésiennes et sur leur absence de pudeur. Cette liberté des moeurs enchante les Européens qui vivent, eux, dans une société marquée par l'influence du christianisme et par la notion de péché.
Portrait de Pooedoa, fille d'Orio (chef de district à Raiatea). Peint par John Weber, compagnon de Cook. 1777
Approfondissement
Selon Bougainville, le sort des femmes de Tahiti ressemble à celui des courtisanes.
La polygamie paraît générale chez eux, du moins parmi les principaux. Comme leur seule passion est l’amour, le grand nombre des femmes est le seul luxe des riches [...]. Ce n’est pas l’usage à Tahiti que les hommes, uniquement occupés de la pêche et de la guerre, laissent au sexe le plus faible les travaux pénibles du ménage et de la culture. Ici une douce oisiveté est le partage des femmes, et le soin de plaire leur plus sérieuse occupation. [...] la jalousie est ici un sentiment si étranger que le mari est ordinairement le premier à presser sa femme de se livrer. Une fille n’éprouve à cet égard aucune gêne ; tout l’invite à suivre le penchant de son coeur ou la loi de ses sens [...]. Il ne semble pas que le grand nombre d’amants passagers qu’elle peut avoir eu l’empêche de trouver ensuite un mari. Pourquoi donc résisterait-elle à l’influence du climat [...]?
Bougainville, Voyage autour du monde, 1771
Les marins du Roi profitent de l'occasion pour se livrer à d'étranges marchandages.
Grand troc tout l'après-midi avec les Sauvages qui ne paroissent point étonnés de nous voir, sont fins commerçans mais de bonne foi. Il est venue dans une des pirogues une jeune et jolie fille presque nue qui montroit son sexe pour de petits clouds [...].
Journal de bord de Bougainville, extraits parus dans le Journal de la Société des océanistes. Tome 24, 1968
La liberté des moeurs, et singulièrement des rapports entre les sexes, a marqué les Européens, soumis à la stricte discipline militaire et censés pratiquer, durant leur longue traversée, l'abstinence sexuelle. Bougainville se vante d'ailleurs, à la fin du voyage, qu'aucun officier ne figure parmi les victimes des maladies vénériennes.
L'hygiène corporelle est aussi un motif d'étonnement pour les Européens.
[…] La plus grande propreté embellit encore ce peuple aimable. Ils se baignent sans cesse et jamais ils ne mangent ni ne boivent sans se laver avant et après.
Bougainville, Voyage autour du monde, 1771
C'est qu'en Europe, au XVIIIe siècle, l'hygiène est encore une science nouvelle qui cherche à comprendre et enrayer les épidémies qui frappent les grands centres urbains. On se méfie de l'eau qui est supposée enlever la couche de crasse qui protège la peau, favorisant ainsi le passage des miasmes qui transmettent le choléra et la typhoïde. L'eau courante, les cabinets de toilettes, les lieux d'aisance et les égouts sont extrêmement rares.
De multiples freins au progrès de l'hygiène corporelle [existent comme] la méfiance persistante des médecins à l'égard de l'eau [...]. Rares sont les spécialistes qui conseillent de prendre plus d'un bain par mois. Hufeland [médecin du roi de Prusse] fait figure d'audacieux [en 1793] qui prescrit le rythme hebdomadaire [...]. "Baignez-vous si on vous l'ordonne ; conclut la comtesse de Bradi [dans un manuel de civilité] ; autrement ne prenez qu'un bain par mois au plus. Il y a je ne sais quoi d'oisif et de mou de s'établir ainsi au fond d'une baignoire, qui sied mal à une jeune fille".
Alain Corbin, Le miasme et la jonquille, 1982
Versailles, où Louis XV a sa Cour, est un véritable cloaque nauséabond.
Le parc, les jardins, le château même font lever le coeur par leurs mauvaises odeurs. Les passages de communication, les cours, les bâtiments des ailes, les corridors sont remplis d'urine et de matières fécales ; au pied même de l'aile des ministres, un charcutier saigne et grille ses porcs tous les matins ; l'avenue de Saint-Cloud est couverte d'eaux croupissantes et de chats morts.
La Morandière (1764) cité par le docteur Cabanès, Moeurs intimes du passé, 1908.