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La fiscalité en Nouvelle-Calédonie : une histoire ancienne

dimanche 22 mai 2011 par Luc STEINMETZ

Lorsqu’avant les années 1980 l’on abordait au cours d’une conversation la question de la fiscalité en Nouvelle-Calédonie avec un Métropolitain, il n’était pas rare d’entendre l’affirmation suivante : « La Nouvelle-Calédonie, ah oui ! le pays où l’on ne paye pas d’impôts ». Cette affirmation était vraie, mais seulement pour l’impôt sur le revenu des personnes physiques. Car l’histoire dit le contraire puisque l’institution des impôts en Nouvelle-Calédonie a suivi de peu l’acte de prise de possession du 24 septembre 1853 et l’érection de cette terre du Pacifique en colonie française.

C’est en effet dès 1859 qu’un arrêté du gouverneur de Tahiti dont la Nouvelle-Calédonie dépendait alors administrativement, institua une fiscalité spécifique de nature à assurer à la colonie naissante une partie des moyens de son fonctionnement. Et cette spécificité fiscale n’a fait que s’affirmer après que la Nouvelle-Calédonie est devenue une colonie autonome par le décret du 14 janvier 1860. L’autonomie fiscale officiellement accordée à la colonie par la loi du 13 avril 1900 va lui permettre d’élaborer une fiscalité calédonienne propre par les délibérations de son organe d’expression, le conseil général, mais avec la gestion du gouverneur, représentant de l’État.

Le passage du statut de colonie à celui de TOM par le décret du 25 octobre 1946 a confirmé cette autonomie fiscale jamais démentie jusqu’à nos jours. Elle a même été consolidée lorsque le statut d’autonomie de gestion du 28 décembre 1976 dit statut « Stirn », a donné définitivement à la Nouvelle-Calédonie la pleine compétence fiscale, compétence qui n’a bien évidemment pas été remise en cause par les statuts issus des accords de Matignon et de Nouméa.

Bien qu’autonome, la fiscalité calédonienne s’est d’abord construite en s’inspirant de celle de la Métropole. Mais sans pour autant se calquer sur les évolutions de cette dernière. Ainsi l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) est né en Métropole en 1917 pour faire face aux dépenses exceptionnelles de la Grande Guerre alors qu’il n’est apparu en Nouvelle-Calédonie qu’en 1982 au prix d’un acte administratif irrégulier ayant nécessité une validation législative par le Parlement. Puis la fiscalité calédonienne a connu ses propres mutations en raison des changements économiques et institutionnels de la collectivité au point d’acquérir une réelle originalité. En effet :

  • Tout d’abord, il y a peu ici d’impôts locaux (comme la taxe communale d’aménagement, récemment créée par la loi du pays n° 2010-5 du 3 février 2010), car les communes et les provinces bénéficient du reversement lié aux centimes additionnels à certains impôts de la Nouvelle-Calédonie (contribution des patentes, contribution foncière, droits d’enregistrement).
  • Ensuite, le budget de la Nouvelle-Calédonie est essentiellement un budget de répartition. Cela résulte de l’organisation budgétaire mise en place par le statut de la loi référendaire du 9 novembre 1988 (issue des Accords de Matignon) et confirmée par le statut de la loi organique du 19 mars 1999 (issue de l’Accord de Nouméa). Ce qui veut dire que la Nouvelle-Calédonie est le seul échelon de définition de la fiscalité, mais également de l’assiette et de la perception des impôts et que c’est son budget qui alimente celui des communes au moyen du FIP (fonds intercommunal de péréquation) et des provinces (avec application d’une clé de répartition qui montre aujourd’hui ses limites).
  • Enfin, le rendement de la fiscalité est largement lié aux bénéfices de la métallurgie du nickel qui connaissent des hauts et des bas, ce qui ne contribue pas à la pérennisation des recettes fiscales. D’où l’idée d’une réforme en profondeur du système fiscal calédonien pour le rendre plus adapté aux réalités économiques et sociales du pays.

La chronologie qui suit fait apparaître, au travers de la présentation non exhaustive des principaux impôts, les deux grandes phases de la construction de la fiscalité calédonienne et le lien qui existe entre l’évolution institutionnelle et économique du pays.

Dans une première phase qui va de 1859 au milieu des années 1970, le système fiscal calédonien était basé sur la perception de droits indirects qui représentaient 75 % des recettes fiscales et où la taxe à l’importation ainsi que les droits de sortie sur les exportations de minerais occupaient une place majeure. Cette première phase correspond au temps où l’économie calédonienne dépendait majoritairement des importations et des exportations et où les productions à valeur ajoutée locale étaient peu développées. Certains ont baptisé « économie de comptoir » cette période de l’économie

Dans une deuxième phase qui va de 1975 à nos jours, la Nouvelle-Calédonie a développé la fiscalité directe avec l’apparition de l’impôt sur les bénéfices des sociétés et de l’impôt sur le revenu des personnes physiques en même temps qu’elle a diversifié sa fiscalité indirecte. Cette deuxième phase a suivi les années du boom du nickel et la diversification du système productif calédonien avec la mise en place d’un tissu économique où des petites et moyennes entreprises de transformation locales se sont multipliées en créant davantage de valeur ajoutée sur place.

1re phase : 1859 - 1975 La prédominance de la fiscalité directe

  • En 1859, pour assurer le fonctionnement de la colonie, un arrêté du gouverneur crée le service de l’enregistrement dont le chef avait pour attribution de percevoir les droits d’enregistrement au même taux et de la même manière que ceux de la Métropole. Le même arrêté crée le droit de timbre.
  • En 1864 est institué la contribution foncière dont la gestion est assurée par le service du même nom et le recouvrement par le Trésor public. La création de l’impôt foncier avait suivi l’aliénation des terres domaniales intervenue par arrêté gubernatorial en 1862.
  • En 1880 est institué un impôt direct, la contribution des patentes sur l’exercice des professions artisanales, industrielles et commerciales.
  • En 1895 sur proposition du gouverneur Feillet, le Conseil général crée l’impôt de capitation payable par les indigènes. Il était de 10 francs par an par homme valide (l’équivalent de 10 jours de travail chez un colon) et dégressif selon le nombre d’enfants. Cet impôt de capitation n’est entré en vigueur que le 22 novembre 1900. Par un arrêté du gouverneur datant de 1922, les indigènes anciens combattants de la Grande Guerre sont dispensés de la capitation pendant 15 ans. En fait, la capitation va disparaître avec la fin du régime de l’indigénat en 1946.
  • La loi du 13 avril 1900 portant fixation du budget général des dépenses et des recettes de la colonie va l’autoriser à percevoir des recettes propres lui accordant ainsi l’autonomie fiscale et l’obligeant à supporter une partie des dépenses de souveraineté (gendarmerie et justice) en un temps où l’expression « transfert de compétences » ne faisait pas partie du langage juridico-politique. C’est à partir de cette loi de 1900 que le système fiscal calédonien va s’élaborer car il sera permis au Conseil général, créé par décret du 2 avril 1885 et doté de la compétence budgétaire et fiscale, de fixer l’assiette, le taux et les règles de recouvrement des impôts sans être obligé de copier les dispositions métropolitaines.
  • La TGI (taxe générale à l’importation), impôt indirect majeur du système fiscal calédonien est institué en 1920.
  • Des centimes additionnels au principal de la patente sont institués en 1900 au profit de la Chambre de commerce et en 1922 au profit de la ville de Nouméa.
  • En 1903, les droits d’enregistrement qui étaient perçus depuis leur création selon les tarifs métropolitains sont désormais réglementés selon des dispositions locales.
  • En 1924 apparaît l’impôt direct sur le revenu des valeurs mobilières (l’IRVM) considéré comme le premier impôt sur le revenu en Nouvelle-Calédonie.
  • Il a été suivi en 1939 par l’IRCDC (impôt sur le revenu des créances, cautionnements et comptes courants), deuxième impôt direct sur le revenu.
  • 1975 : création de l’impôt sur les bénéfices du secteur de la métallurgie des minerais au taux de 50 % en remplacement du régime des droits de sortie basé sur la perception des taxes indirectes ad valorem.
  • 1979 : l’imposition sur les bénéfices est étendue aux entreprises productrices et exportatrices de minerais de nickel qui sont à leur tour soumises à un impôt sur les bénéfices, avec un taux de 20 % à 60 % proportionnel au montant des ventes de minerais.
  • Dans le même temps et par souci d’égalité, les bénéfices de toutes les sociétés commerciales ou industrielles sont imposés au taux de 25 %.
  • 1980 : cette année a vu la création de la CS (contribution de solidarité), impôt direct de 1,5 % sur les revenus des personnes physiques quelle qu’en soit l’origine : revenus d’activités agricoles ou professionnelles, traitements, salaires et pensions. Elle a été par la suite transformée en CES (contribution exceptionnelle de solidarité) au taux de 0,75 %, afin de contribuer au financement du régime d’assurance chômage. Initialement conçue à titre provisoire et reconduite dans les faits chaque année, elle est devenue permanente depuis la délibération n° 100 du 20 avril 1989.
  • Et surtout, en 1982 a été instauré avec 65 ans de retard sur la métropole, l’IRPP (impôt sur le revenu des personnes physiques) dont les taux, l’assiette et les modalités de recouvrement sont fixés par délibération de l’Assemblée territoriale. Cet impôt sur le revenu est largement inspiré de son frère métropolitain puisqu’il s’agit d’un impôt général, familial (avec application à partir de 1984 du quotient familial), et progressif (avec le mécanisme de la progressivité par tranches). Cet IRPP a été créé par la délibération n° 374 de l’Assemblée territoriale en date du 11 janvier 1982, mais cette délibération, irrégulière dans sa procédure, a dû faire l’objet d’une validation législative par le parlement lors du vote de la loi de finances rectificative du 30 décembre 1982, elle-même validée par une décision du Conseil constitutionnel après saisine. La création de l’IRPP en Nouvelle-Calédonie a rendu nécessaire la mise en place d’une convention fiscale avec la métropole dans le but d’éviter les doubles impositions.
  • 1993 et 2000 ont été des années de la diversification de la fiscalité indirecte avec l’imposition des prestations de services d’abord avec la TGPS (taxe générale sur les prestations de services), mise en place pour deux ans et réactualisée en 2000 sous l’appellation de TGS (taxe générale sur les services), avant d’être dénommée TSS (taxe de solidarité sur les services) dès lors qu’elle a été affectée, à partir de 2001 au financement de la CAFAT et de la protection sociale.

Le système fiscal calédonien s’est diversifié dans le temps tout en préservant son autonomie. Mais il devrait évoluer dans les prochaines années dans le cadre d’une réforme fiscale que certains jugent indispensable, car il est reproché à la fiscalité actuelle :

  • d’être encore trop dépendante du marché du nickel ;
  • de trop miser sur la TGI, indéniablement efficace pour le budget, mais trop complexe (108 taux différents portant sur 6482 positions tarifaires) et source de cherté des prix dans un pays dépendant encore largement des importations.

D’où l’idée d’une réforme qui permette de pérenniser les recettes fiscales avec un système mieux adapté aux réalités économiques et sociales. C’est pour la préparer que l’exécutif de la Nouvelle-Calédonie a demandé l’aide et l’expertise du ministère en charge du budget. Une mission dirigée par un expert de Bercy a rendu ses premières conclusions en ce qui concerne la fiscalité indirecte, d’ores et déjà reconnue trop complexe. Et une mission d’expertise du même type, mais cette fois pour la fiscalité directe, est en cours.

La fiscalité a une histoire en Nouvelle-Calédonie, les contribuables savent qu’elle a aussi un avenir.

Sources : documentation Direction des services fiscaux – Nouméa.


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La fiscalité en Nouvelle-Calédonie : une histoire ancienne

22 mai 2011
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Une mise au point sur l’histoire de la fiscalité en Nouvelle-Calédonie, de 1859 à nos jours.


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